Drunk
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Pays:
Danois
Thème (s):
Alcoolisme, Amitié, Dépendance
Date de sortie:
14 octobre 2020
Durée:
1 heures 57 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Thomas Vinterberg
Acteurs:
Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang
Age minimum:
Adolescents et adultes

Drunk (Druk), drame danois co-écrit et réalisé par Thomas Vinterberg, 2020. Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang, Lars Ranthe.

Thèmes

Amitié, alcoolisme, dépendance.

Entre un point de départ festif et un point d’arrivée particulièrement jouissif, Drunk raconte un itinéraire instructif, mais qui me laisse dubitatif.

 

La scène d’ouverture et, beaucoup plus, la conclusion donnent à voir la fête, autant en son contenu que dans sa représentation. Fête des corps qui convoque la totalité des cinq sens. Fête des personnes qui rassemble un moment jeunes et plus vieux, enseignants et enseignés.

Or, entre la première et la seconde frairies, la relation n’est pas tant une inclusion qu’une évolution. La bringue initiale ne vise qu’à l’évasion et, ultimement, à la destruction, tant la détente est à la mesure des tensions engendrées par l’approche du baccalauréat et l’accès aux études supérieures. La festivité finale, elle, est une célébration : celle de la réussite des jeunes, celle de la réconciliation promise pour Martin (« Tu me manques beaucoup »), celle de la possible rencontre pour un autre, celle de l’accès à une vie professionnelle réussie, c’est-à-dire riche de sens, pour les derniers.

Autant la fête-détente est sans fin, c’est-à-dire sans but et sans limite, autant la fête-célébration est finalisée, c’est-à-dire à la fois orientée et dé-finie.

 

Entre les deux, le cinéaste nous montre d’abord l’échec de ces quatre quinquas en crise dans leur vie professionnelle, sentimentale, conjugale et familiale ; mais, plus encore et au-delà, en crise dans leurs idéaux. Martin et ses compagnons croient trouver la rédemption dans cet anti-dépresseur qu’est l’alcool. En réalité, pour ces hommes que, paradoxalement, leur vie bien remplie par les multiples obligations, esseule et isole, le remède se trouve encore davantage et à leur insu dans l’amitié qui les rapproche, les rassemble. Certes, la fausse amitié des copains de galère qui, telle la pseudo-complicité des truands, n’unit les êtres qu’à raison de l’utilité instrumentalisante qu’ils ressentent. Certes, amitié agréable des amis partageant des moments de plus en plus arrosés. Mais aussi, et il faut le souligner, amitié vertueuse où s’exercent une compassion réelle pour les soucis de l’autre, la délicatesse patiente qui console sans moraliser, l’altruisme dépliant l’autre recroquevillée sur la tristesse qui l’isole en le centrant sur les souvenirs heureux qui réunissent ; amitié, enfin, où l’on poursuite un bien commun concrétisé par un objectif au double sens de finalité et de réalité objectivant : étudier les effets psychologiques d’une vie graduellement alcoolisée.

 

Et c’est ici que s’immisce notre interrogation, d’autant que le film ne la soulève pas. D’un mot : si importante soit-elle, l’amitié ne saurait suffire à tracer le chemin d’un salut. Plus encore, c’est en devenant trop importante, c’est-à-dire en s’absolutisant et en devenant autoréférencielle qu’elle devient périlleuse. C’est ce qu’atteste le scénario lorsqu’il systématise le chemin parcouru par les protagonistes en trois étapes : la consommation mesurée universellement à 0,5 gramme ; celle mesurée individuellement ; celle qui est démesurée universellement. Ces étapes qu’ils croient montantes, sont en réalité descendantes. Ce sont autant de degrés dans l’illusion mensongère, redoublée par l’autojustification, autant d’échelons conduisant, à bas bruit, ce qui est une addiction, donc une aliénation – et des plus redoutables.

Or, Drunk ne le montre pas. En effet, le long-métrage n’offre aucun recul et ne pose aucun jugement notamment sur trois faits em- et pro-blématiques : la proposition faite au jeune anxieux de se désinhiber passivement par l’alcool, au lieu d’entrer activement dans l’exercice de la vertu de maîtrise de soi (la tempérance) et de ses peurs (le courage) ; l’absence de protection entre amis lors de leur soirée la plus arrosée qui finira en catastrophe ; l’abandon du professeur de sport à la dépendance qui le conduira à son suicide.

Cette grave cécité du film peut s’éclairer à partir d’un outil introduit par Éric Berne, le fondateur de l’analyse transactionnelle : le triangle permission-protection-puissance [1]. Pour qu’une personne puisse pleinement accéder à sa puissance, c’est-à-dire à ses ressources, elle a besoin de deux moyens : intérieurs et extérieurs [2]. Intérieurement, la personne se donne le droit ou la permission. Mais ce droit intérieur peut se trouver débordé ; la personne devra alors bénéficier d’une protection qui, du dehors, enveloppe le lien [3]. Autrement dit, la permission jointe à la protection conduit à la puissance ; inversement, la permission disjointe de la protection conduit à la perdition. Or, autant les amis s’offrent mutuellement la permission, la désinhibition de l’alcool redoublant la dérégulation de l’amitié, autant ils ne se protègent pas en instituant des règles intransgressibles.

Le mal dicte le remède. Si compatissante et altruiste soit-elle, l’amitié n’est authentiquement salvatrice que si elle s’inscrit sur un fond de normes universelles inconditionnelles. Sinon, elle finit par devenir le creuset de l’apologie bien connue du groupe contre la totalité totalitaire (cf. la pochade d’Yves Robert, Les copains, 1965, rendue célèbre par la chanson de Brassens, Les copains d’abord). S’affranchir de toute règle, c’est tôt ou tard s’affranchir de tout bien. Autrement dit, face à la double pathologie de l’individualisme dépressif et de le collectivisme paranoïaque, la particularité de l’amitié n’est rédemptrice que si elle intériorise les valeurs vécues par les deux autres figures de l’humanité, la liberté de la personne et l’universalité de la nature humaine, donc de la loi naturelle. Concrètement, l’amitié ne protège et ne fructifie que si elle met en œuvre les règles humanisant notre agir – à commencer par le Décalogue. Certes, Drunk plante deux poteaux indicateurs : la sobriété qui conjure l’ébriété, mais congédie aussi son contraire qu’est l’abstinence ; la fragilité. Belle leçon lors de l’oral du bac qui donne à entendre une profonde vérité énoncée par leur compatriote Kierkegaard dans Le concept d’angoisse : être homme, c’est accepter de faillir et, plus encore, avoir conscience qu’on a failli.

Toutefois, ces poteaux sont considérés comme des idéaux, de surcroît individuels et ponctuels, et non comme des vertus que tout homme se doit d’acquérir par un long chemin d’efforts multipliés. Surtout, aucun exemple vertueux ne les incarne en les rendant attirants : où sont passés les saints modèles que le vigilant de Copenhague campait dans ses œuvres ? [4]

 

Mais revenons à la dernière scène. Libation rime avec libération. Libération du corps de Martin qui, enfin, donne à voir sa danse en free jazz. Mais, plus encore, libération de l’addiction qu’attestent le coup de pied dans la canette et la plongée symbolique dans… l’eau.

Pascal Ide

[1] Éric Berne introduit le concept de permission qui, des trois, est le plus central, dès 1947 (The Mind in Action, New York, Simon and Schuster, 1947, p. 290. Réédité sous le titre, A Layman’s Guide to Psychiatry and Psychoanalysis, New York, Penguin, 31971). Voici ce que dit la meilleure étude sur la permission : c’est une transaction « entre thérapeute et patient à un certain point de la thérapie, où le thérapeute effectue un changement en direction du comportement ou de l’attitude du patient qui, avant ce moment, aurait semblé soit impossible soit intenable » (Patricia Crossman, « Permission and Protection », Transactional Analysis Bulletin, 19 [1966] n° 5, p. 152-154, ici p. 152).

[2] De fait, permission et protection sont proches : « Quand le thérapeute donne permission, il implique protection : c’est-à-dire que cela ira bien de désobéir à la mère ou au père, que l’Enfant ne sera pas exclu, mort ou puni pour désobéissance » (Patricia Crossman, « Permission and Protection », p. 153).

[3] Cf. Patricia Crossman, « Protection », in Permission et protection. Classique en analyse transactionnelle, 2, 1977, p. 81-83.

[4] Et, en cette société profondément individualiste qu’est le Danemark, qu’est devenue l’harmonieuse complémentarité de l’homme et de la femme ?

Quatre amis, professeurs dans le même lycée et quinquagénaires en crise, Martin (Mads Mikkelsen), Tommy (Thomas Bo Larsen), Nikolaj (Magnus Millang) et Peter (Lars Ranthe), se retrouvent au restaurant. Face à leur déboire, ils décident de boire. Et, pour cela, de mettre en pratique et de concert la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Faisant preuve d’une rigueur prétendument scientifique, ils relèvent ensemble le défi dans l’espoir d’améliorer tant leur vie privée que leur activité professionnelle. Si, dans un premier temps, les résultats sont encourageants, la situation dérape rapidement, et échappe à leur contrôle. Leurs couples, leur travail se dissoudront-ils dans l’alcool ?

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