Downton Abbey
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Pays:
Britannique
Thème (s):
Conscience morale, Justice
Date de sortie:
2010-2015
Durée:
0 heures 50 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Julian Fellowes
Acteurs:
Hugh Bonneville, Michelle Dockery, Maggie Smith
Age minimum:
Tout public

Downton Abbey, série télévisée britannique, de Julian Fellowes, 2010-2015. Elle compte 6 saisons et 52 épisodes d’environ 50 minutes chacun, et un final de 92 minutes. Avec Hugh Bonneville, Elizabeth McGovern, Maggie Smith, Michelle Dockery, Jim Carter, Phyllis Logan, etc.

Thèmes

Justice, conscience morale.

Une des séries télévisées les mieux notées sur IMDb, c’est-à-dire la base de données cinématographiques d’Internet (8,7/10 pour 138 296 votes, le 16 janvier 2019), les plus récompensées, les plus addictives, les plus revues, etc., doit son succès mérité à de multiples raisons. Sans du tout prétendre être limitatif ni hiérarchique : une musique envoûtante (ah le générique !), pour laquelle le compositeur John Lunn fut récompensé d’un Emmy Award en 2014 ; un casting sans faille, dont le premier protagoniste, aussi omniprésent qu’attachant, le somptueux château de Downton Abbey, mais dont la vedette, unanimement plébiscitée, est la Rose âgée de Titanic, je veux dire la comtesse douairière qui, avec ses ineffables mimiques, son passé encore plus indicible et ses jugements clairvoyants, réconcilie les deux principaux atouts de la série, tradition espérée et anticonformisme inattendu ; des personnages complexes dont aucun n’est sans ombre (même le désincarné comte) et dont aucun n’est sans lumière (même le tourmenté Thomas Barrow) ; une peinture historique parcourant une quasi-quinzaine d’années depuis le naufrage du Titanic jusqu’à la fin des Années folles ; une peinture géographique, je veux dire sociologique, tant la hiérarchie des classes s’inscrit dans la topographie verticale de Downton Abbey (les maîtres, comme les domestiques, étant eux-mêmes soigneusement échelonnés) – non sans intégrer la rythmique horizontale de la ville et de la campagne ; sa palette très nuancée d’émotions, depuis l’enivrante nostalgie et la crainte de la disparition de l’ancien monde (cf. Dominique Moïsi, La géopolitique des séries ou le triomphe de la peur, Paris, Stock, 2016) jusqu’à la grisante passion amoureuse (quel prétendant choisira Lady Mary ?), depuis l’éprouvante tristesse (à la mort de Matthew ou de Sybil) jusqu’à la sourde colère (contre les injustes manipulations de Thomas) ; etc.

Pour notre part, nous voudrions ajouter une autre raison, qui est loin d’être anodine : les multiples exemples de vertus édifiantes déployés sans moralisme ni triomphalisme, mais avec conviction et légèreté. Nous souhaiterions en illustrer une : la vertu de justice et son corollaire obligé, l’exercice prudent de la conscience morale.

Commentaire de deux scènes

1) Le juste

Downton Abbey, Saison 1, épisode 1.

La scène se déroule de 0 h. 46 mn. 40 sec. à 0 h. 48 mn. 27 sec. La scène entre le comte et Bates.

Contexte

Ancien compagnon d’armes du comte pendant la guerre des Boers, John Bates est aussitôt nommé par celui-ci comme son valet de chambre attitré, ce qui suscite la jalousie du sombre Thomas. De plus, boîtant à cause d’une vieille blessure, il est dans l’incapacité d’assurer les tâches que l’on attend de sa fonction : porter les bagages, etc. Il s’attire donc le désaveu de certains membres du personnel, à commencer par le psychorigide Charles Carson. C’est l’occasion rêvée pour Thomas. Une cabale est alors montée pour que Bates parte en soulignant son handicap. Inconscient de cette conjuration, Carson fait savoir au comte sa décision comme maître d’hôtel : le départ de Bates.

Commentaire

La première scène, qui se déroule entre le comte et Bates parle de la vertu de justice. La question posée est : qu’est-il juste, qu’est-il droit de faire dans cette situation ?

a) L’objet

Considérons les paroles du comte. D’abord : « Je vous avais promis une période d’essai, et c’est ce que j’ai fait ». Ensuite, il fait appel à une autre donnée : « Servir à table dans une réception, porter des choses ». Son corps lui-même est parlant : Grantham se tourne vers Bates et lui parle en face : le corps droit signale un esprit droit. De même, le comte regarde Bates dans les yeux : un homme faux se dérobe au regard d’autrui.

De plus, à chaque fois, les considérations sont objectives, ne font pas intervenir des données personnelles. Le juste est ce qui est conforme au bien objectif. Il est juste que, si le comte a promis, il tienne sa promesse ; il est juste qu’un valet serve à table. Ce que fait un valet de pied ne dépend pas de son appréciation personnelle. De même, une promesse est une promesse.

La boulangère ne fait pas payer la baguette plus cher à un client qui lui est antipathique… du moins si elle est honnête. De toute manière, celui-ci pourra toujours faire valoir le prix qui est affiché.

b) La définition de la justice

Bates lui-même ne se laisse pas vaincre en justice : «  Quand il faudra un autre valet de pied, retenez-le sur mes gages ». Puis : « Je veux être payé pour le travail accompli ».

Nous touchons ici un autre aspect de la justice qui est sa définition même. La justice est la vertu qui consiste à rendre à chacun selon ce qui lui est dû. Et cette vertu règle aussi l’amitié, sans que celle-ci s’y réduise.

On objectera que tout ne relève pas de la pure justice. Le comte ajoute : « Je vous aiderai ». Et, après : « Vous recevrez un mois de gage, j’insiste là-dessus ». Ce qui est un surcroît suscitant la réaction de cet homme droit qu’est Bates. Mais, là encore, celui-ci est un homme d’honneur qui se défend de faire appel à autre chose qu’à la justice, pour ne pas incommoder le comte : ainsi il dit ne pas savoir pourquoi il est tombé, alors qu’il sait pertinemment que ce n’est pas de sa faute. La justice est alors dépassée par la miséricorde qui introduit de la chaleur et de la gratuité dans ce que la justice pourrait avoir de trop anonyme et de trop froid.

c) Le jugement

Pour énoncer le droit ou le juste, il faut un jugement. Celui-ci applique la loi à ce cas particulier : si j’ai brûlé un feu de signalisation, je suis en tort. Mais, en matière complexe ou contingente, deux lois peuvent se trouver en conflit. C’est le cas ici : d’un côté, le bien de Downton Abbey (et aussi des domestiques), de l’autre, le bien de Bates. Or, quoiqu’il s’agisse de deux biens, il semble qu’ils soient incompatibles. Dès lors, le jugement doit trancher et déterminer ce qui est juste. Que l’on se souvienne du jugement du roi Salomon.

Or, poser ce jugement fait aussi appel à une autre vertu : la prudence. Nous reviendrons plus loin sur l’instance qui pose le jugement.

d) Limite et entrée en scène de la conscience morale

Pourtant, un autre critère peut aussi intervenir, d’ordre subjectif, qui complète la justice sans entrer en compétition avec elle. En effet, au terme de l’entretien, on sent le comte divisé. Sa décision ne l’a pas mis en paix. Deux signes. Le premier est verbal. Au lieu d’employer une affirmation, ce qui est le genre littéraire du jugement, le comte pose une question : « Vous vous rendez compte que Carson ne peut pas se permettre de compromettre l’efficacité de son personnel ? ». De plus, au terme, il conclut : « C’est une sale affaire, mais j’ignore comment faire autrement ». L’autre signe est non verbal : le corps du comte se rigidifie ; son regard cesse de fixer Bates. Il signale ainsi une gêne, mais une intériorisation. Le regard troublé devient ce que l’on pourrait appeler un « regard de conscience », sur lequel nous allons revenir. Ces signes indiquent que, malgré les paroles et l’apparence, son jugement n’est pas arrêté.

2) La conscience morale

Downton Abbey, Saison 1, épisode 1.

La scène se déroule de 1 h. 1 mn. 55 sec. à 1 h. 2 mn. 12 sec. (le très bref échange entre Lord et Lady Grantham), puis 1 h. 2 mn. 36 sec.à 1 h. 4 mn. 17 sec. Donc, en sautant le bref échange entre le Comte et Carson dans le salon.

Entre les deux scènes

Homme droit qui ne veut pas décevoir le comte, Bates accepte son départ. Le comte de Grantham, lui, est divisé. Au fond de lui, il sent l’injustice, et pourtant il entend les arguments, notamment de Carson. Que faire ? Le voici avec son épouse, Lady Cora ; puis, le lendemain, lors du départ de Bates (avec une autre personne, mais il importe peu ici).

Commentaire

Une nouvelle fois, la scène montre plusieurs éléments constitutifs de la vertu de justice, mais ici dans la lumière de la conscience morale.

a) Sa source

La source de la justice réside dans la conscience morale. Or, la conscience du comte lui dit qu’il est en train de laisser se commettre une injustice. Deux faits l’attestent : sa parole et le langage non-verbal.

D’abord, le soir, en dialoguant avec son épouse, le comte parle de « conscience ». Ensuite, lorsqu’il voit Bates, son visage est tourmenté, son regard dirigé au-dedans de lui. Tout, dans son corps dit son malaise.

En effet, nous l’avons vu, le comte de Grantham est divisé par cette décision qui lui échappe et qu’au fond, il n’a pas prise. Or, toute désunité subie se traduit dans le corps, les mots ou les gestes.

b) Son objet

L’objet de la justice n’est pas la loi comme on le croit souvent, mais ce qui est droit, ce qui est juste. Or, les paroles du Comte à Carson disent l’objet de la justice, le droit : « It was not right ! ». Il le redit une seconde fois, soulignant ainsi que son propos est bien arrêté. Il ne dit pas plus, montrant combien il agit mû par sa conscience et non pas quelque raisonnement analytique. Celui-ci pourra être utile pour clarifier l’intelligence, voire expliquer à autrui la décision prise. Mais c’est sa conscience morale qui l’éclaire et dicte son action.

Rappelons un point essentiel : suivre sa conscience suppose que celle-ci soit droite, donc que la personne se comporte habituellement de manière juste, qu’elle cherche le bien commun et non son bien propre. Alors, l’inclination spontanée de la personne exprime la justice. Or, tel est le cas du comte dont on a vu dans le premier épisode qu’il cherche ce qui est droit.

Redisons-le aussi : le droit est objectif. Il s’agit ici du bien de Bates. Ce qui suppose que le comte mette son propre bien entre parenthèses, qu’il ne détermine pas ce qui est juste en fonction de son bien subjectif, mais en fonction du bien objectif qui est celui de Bates – le contraire même de ce qui a conduit à l’éviction de Bates.

Le comte est aussi sans doute touché par l’absence de plainte de Bates qui, à aucun moment, ne se plaint du sort injuste qui lui est fait.

c) Son acte

La justice ne peut s’exercer que si ce qui est juste (ou droit) est déterminé. Cela requiert un acte spécifique, à savoir le jugement ou la sentence qui énonce et prescrit ce qui est droit. Or, c’est ce que fait le comte en une parole laconique, mais précise. Après avoir demandé à Bates de descendre, il lui dit : « Vous rentrez », ce qui signifie : « Je vous garde à mon service ». Cette détermination ne correspond pas d’abord à une loi (au contraire, Grantham transgresse ce que tout le monde attend de lui), mais à ce qui est droit.

d) L’exécution de l’acte et le lien aux autres vertus

Juger ne suffit pas. Encore faut-il exécuter. Et, de nouveau, les vertus ne vont pas les unes sans les autres : ici, pas de justice sans courage (face à l’opinion des autes, du personnel, comme de sa famille) ; pas de justice sans prudence (résolvant son dilemme de conscience, le comte agit sans procrastination ni précipitation). Enfin, il fait ce qu’il dit.

e) Les conséquences ou le rayonnement de l’acte

Tout acte a des conséquences. Même si les effets ne sont pas traditionnellement comptés parmi les éléments constitutifs d’un acte humain et parmi les critères de moralité, les négliger ampute l’action de tout son impact social. Peut-être une conception plus holistique ou systémique de l’acte humain devrait-elle les prendre en compte, sans pour autant nier le caractère complet de chaque acte moral, et donc le droit de l’évaluer comme tel, indépendamment de toute la série d’où il émerge et toute celle dont il sera l’inaugurateur.

Quoi qu’il en soit, ici, les effets de cet humble acte sont grandement bénéfiques. Tout d’abord, le comte assure et rassure le personnel : si quelque injustice est commise, Grantham n’hésitera pas à intervenir et défendre ses domestiques, au mépris du respect humain. Plus encore, il agira quoi qu’il en coûte, y compris sa réputation, pour défendre les siens, y compris le personnel. En outre, il montre qu’il est capable de reconnaître une erreur et de s’en corriger. Enfin, il atteste qu’il est un homme de responsabilité pour qui, lorsque le temps est opportun, décision vaut mieux que précision.

 

Un ami, qui m’a signalé cette scène, me disait avoir pleuré en la regardant. Pour nous laisser émouvoir, il nous faut changer de siècle, de pays et de culture. En ce château, les classes sociales sont aussi cloisonnées que les étages : par exemple, on ne verra jamais une cuisinière dans le salon des Grantham. Il y va plus que d’une question de convenance, il y va de la cohérence d’une société. Or, qu’observons-nous ici ? Une inversion (temporaire) de la hiérarchie sociale où, contre toute attente et toute convenance sociale, un homme de la high class course un homme de la low class. De petits pas extérieurs, un grand déplacement intérieur…

Pascal Ide

Cette série met en scène la vie d’une famille aristocratique anglaise fictive, les Crawley, et de leurs domestiques, à Downton Abbey, un château anglais entouré d’un domaine rural situé dans le Yorkshire, au Royaume-Uni.

L’intrigue de la première saison commence le 15 avril 1912, le jour du naufrage du Titanic. Dans les étages où vivent les maîtres (upstairs), la famille Crawley reçoit par télégramme la mauvaise nouvelle que les héritiers du domaine ont péri lors du naufrage. En effet, le domaine est soumis à l’entail, c’est-à-dire qu’il doit intégralement passer à un héritier mâle, le titre de Comte de Grantham, le domaine et la fortune de la famille étant indissociables. Or, lord Robert (Hugh Bonneville) – entre autre fils de Lady Violet Crawley (Maggie Smith), comtesse douairière de Grantham – et lady Cora Crawley (Elizabeth McGovern) n’ont aucun fils, mais seulement trois filles, l’aînée Mary (Michelle Dockery), la cadette Edith (Laura Carmichael) et la benjamine Sybil (Jessica Brown Findlay), qui ne peuvent prétendre ni au titre ni à l’héritage. C’est le cousin au troisième degré de Lord Grantham, Matthew Crawley (Dan Stevens), avocat et fils d’Isobel Crawley (Penelope Wilton), qui est le nouvel héritier. Il arrive à Downton Abbey où il découvre avec étonnement un style de vie fait de règles très strictes régissant la vie entre aristocrates et serviteurs. S’adaptera-t-il ? Acceptera-t-il ce pesant héritage ?

Pendant ce temps, dans les sous-sols (downstairs) où travaillent les domestiques, le maître d’hôtel et majordome Charles Carson (Jim Carter) et l’intendante Mrs Elsie Hughes (Phyllis Logan) dirigent un personnel nombreux. John Bates (Brendan Coyle), un ancien compagnon d’armes du comte pendant la guerre des Boers, est embauché par lui comme valet et vient s’installer à Downton. Mais il s’attire aussitôt l’hostilité de plusieurs serviteurs, en particulier de l’ambitieux Thomas Barrow (Rob James-Collier), qui convoite cette place depuis longtemps. Surmontera-t-il les traquenards que lui tendra Barrow ?

Les saisons ultérieures suivront l’évolution de tout ce monde, pendant la première Guerre mondiale, et jusqu’en 1925.

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