Dalloway, science-fiction dystopique franco-belge de Yann Gozlan, 2025. Adapté du roman de Tatiana de Rosnay, Les Fleurs de l’ombre, 2020. Avec Cécile de France, Lars Mikkelsen, Anna Mouglalis, Frédéric Pierrot.
Thèmes
Intelligence artificielle, paranoïa.
À lire le résumé de l’histoire, à voir la bande-annonce ou à entendre raconter le début de l’intrigue (ce qui fut mon expérience), qui ne serait accroché ? Pourtant, le nouveau film du réalisateur du très réussi Boîte noire (2020) est grandement décevant, plus, raté.
- L’IA générative est, on le sait, l’un des thèmes les plus en vogue dans la SF actuelle, en concurrence avec le genre par excellence qu’est la dystopie. Ici, elle est appliquée de manière inédite à la création artistique. Et à un moyen original : la vampirisation de l’artiste non plus en puissance, mais en souffrance. Et à une évolution intéressante : Dalloway paraît au début gentiment intrusive, puis de plus en plus dangereusement manipulatrice, mais au final sincèrement empathique, au point de (presque) s’effondrer quand Clarissa s’effondre.
Passons non pas sur l’improbabilité, mais l’impossibilité ontologique d’une humanisation de ces IA qui sont génératives et non pas créatives [1] : c’est le matérialisme omniprésent dans les neurosciences et les techniques de l’information et de la communication qui nous ont fait oublier que, avant même l’émotion, la cognition requiert l’intériorité, donc l’immatérialité, qui est inaccessible aux artefacts. Non, la dualité hardware-software, matériel-logiciel ne reproduit pas, même de manière lointaine, l’uni-dualité corps-âme ou corps-conscience.
- Alors, où est le problème ? Il est, comme si souvent, narratif. L’histoire tisse trois fils qu’elle mêle tant qu’elle les confond, ce qui finit par rendre l’intrigue illisible et le terme insensible (au sens où il est dénué d’enjeu émotionnel, donc valoriel). En effet, triple, voire quadruple est la difficulté à laquelle doit s’affronter Clarissa.
La première est celle que nous venons d’évoquer. La trame principale est celle d’une IA invasive ou plutôt, la nuance vaut la peine d’être notée, une IA employée de manière totalement utilitariste pour pouvoir se substituer définitivement à un artiste fragilisé. Dès lors, le scénario devient, classique, mais efficace, celui du thriller jouant sur l’incertitude : paranoïa ou véritable complot ?
Malheureusement s’invitent deux ou trois autres facteurs. Le premier est la pathologie psychiatrique de Clarissa dont on découvre qu’elle prend du lithium (ou plutôt qu’elle oublie de le prendre), donc qu’elle souffre de ce grave trouble psychotique qu’est la bipolarité. Le second (qui constitue donc le troisième fil) est le traumatisme qui vient s’ajouter à ce terrain déjà chargé : son fils adolescent s’est suicidé dans des conditions obscures qui ne peuvent que conduire à la plus abyssale des culpabilités (au point qu’elle en fera le matériau de son essai et le possible chemin d’une thérapie). Si l’on ajoute la symbolique, voire la répétition trop transparente, de l’histoire de Virginia Woolf (l’IA s’appelle Dalloway ; le premier projet de Clarissa était une biographie des derniers jours de la romancière britannique ; celle-ci met fin à ses jours comme sa biographe), nous avons une nouvelle raison, d’un autre ordre, pour craindre un terme tragique.
Ainsi cette multiplicité divergente brouille tous les enjeux et interdit au spectateur de savoir ce que le film voulait dire : s’il accuse l’IA, il l’excuse par la souffrance aigüe de son modèle ; et vice versa. Il aurait été beaucoup plus unifiant, clarifiant et innovant de développer une seule trame, en l’occurrence celle d’une rivalité, voire d’une jalousie entre les deux intelligences, humaine et artificielle (qui, justement, n’en est pas une…).
Certains l’ont dit : Dalloway est un mauvais épisode d’un Black Mirror français. Trop de scénaristes (ils sont justement au nombre de trois !) tue le scénario.
Pascal Ide
[1] Allusion à Luc Julia, IA génératives, pas créatives, Paris, Le Cherche midi, 2025.
En 2028, à Paris, dans un monde frappé d’une nouvelle pandémie, Clarissa Katsef (Cécile de France), qui est mariée à Antoine (Frédéric Pierrot), est une romancière qui souffre du syndrome de la page blanche : elle n’a rien écrit depuis six ans. Afin d’écrire un nouveau roman, elle rejoint une résidence d’artistes à la pointe de la technologie, où elle sera assistée numériquement. L’appartement qu’elle occupe est géré par Dalloway (voix : Mylène Farmer), une intelligence artificielle qui sert également d’assistante personnelle. Coincée dans son projet de biographie des derniers jours de Virginia Woolf, une série d’événements et de rencontres vont l’amener à travailler sur un projet plus personnel. Surtout, un autre résident, méfiant, Mathias Nielsen (Lars Mikkelsen), va amener Clarissa à s’interroger sur la place de l’intelligence artificielle dans le processus créatif et sur les véritables projets d’Anne Dewinter (Anna Mouglalis), la directrice de la résidence.