Cœurs ennemis
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Pays:
Germano-britannico-américain
Thème (s):
Adultère, Amour, Fidélité, Pardon
Date de sortie:
1er mai 2019
Durée:
1 heures 48 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
James Kent
Acteurs:
Keira Knightley, Jason Clarke, Alexander Skarsgård
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

 

Cœurs ennemis (The Aftermath), drame germano-britannico-américain de James Kent, 2019. Avec Keira Knightley, Jason Clarke, Alexander Skarsgård.

Thèmes

Fidélité, amour, adultère, pardon.

Comment ne pas saluer avec reconnaissance une histoire d’amour où la fidélité triomphe de l’adultère !

 

De prime abord, sont rassemblés tous les ingrédients devenus traditionnels de l’histoire romantique : la personne prise et éprise, en l’occurrence, une femme mariée déchirée entre deux êtres attirants (le mari par la beauté de son cœur et de son engagement, le possible amant par celle de son corps, c’est-à-dire sa promesse de vie, mais aussi par sa finesse artistique : « Il y a une philosophie derrière chaque objet ») – le tout sur fond de guerre. En effet, le drame universel avive, nourrit et imprègne le drame passionnel.

Voire le drame de la chute est d’autant plus attendu que, paradoxalement, il semble impossible : et parce que Rachael nourrit une haine farouche et généralisée envers ces Allemands qui ont assassiné son enfant, et parce que son époux, répétons-le, est un homme admirable en tous points – du moins envers ceux du dehors (ses collègues, les étrangers, les plus démunis).

Le film pose donc deux questions : pourquoi cette chute improbable, sinon impossible, se produit-elle ? Pourquoi la rédemption, qui devient encore plus incertaine, advient-elle ? Heureusement, l’histoire ne répond pas explicitement à ces interrogations et laisse donc le soin au spectateur d’arpenter les chemins intérieurs de ces cœurs ennemis.

 

  1. Pourquoi l’adultère ? Il y a bien sûr l’évolution de ce mari. De tendrement aimant (il garde soigneusement la tabatière et en exigera la restitution), il est devenu lointain, étranger (« Quand es-tu devenu bien pensant ? »), voire insensible (d’où les larmes silencieuses et poignantes de l’épouse dans son bain). Mais il y a, beaucoup plus, le changement opéré chez Rachael.

Écartons résolument un quelconque syndrome « Emma Bovary ». Si Rachael est une femme sans travail et sans enfant dans cette belle grande maison perdue dans une campagne trop froide à son goût, cette femme volontaire et distante n’a rien d’une rêveuse.

En revanche, même si elle se contente de traverser la ville en ruines dans le monde protégé qu’est sa voiture à chauffeur, elle prend de plus en plus rudement contact avec ses habitants dont l’âme (ils cherchent leurs morts ensevelis dans les décombres) souffre encore plus que leur corps (ils meurent de faim). Et la distance toujours plus grande qu’elle prend à l’égard de son amie britannique atteste une distance intérieure avec cette attitude insupportable de vainqueur méprisant et tout-puissant. La population cesse alors de lui apparaître comme un coupable complice du régime hitlérien, voire crypto-nazie, pour la voir en ce qu’elle est en vérité : la triste et première victime de la démence assassine que fut le Troisième Reich.

Mais la passion amoureuse emprunte des voies beaucoup plus incarnées. L’on comprendra au terme, même si on peut le deviner dès la scène pudique des retrouvailles, combien toute intimité physique, voire toute proximité affective, a déserté le couple. Et, par voie de conséquence, combien toute vie s’est retirée du cœur de cette femme, comme toute chaleur de son pâle visage toujours frigorifié et de son corps toujours recroquevillé. Dès lors, le baiser que Stefan impose par dépit et provocation – dont, assurément, l’intention est trouble, sinon double – va soudain révéler à une Rachael, toute en défense et en interdit, quel feu couvait en elle et ne demandait qu’à s’embraser. Son amie ne manquera d’ailleurs pas de le lui exprimer – même si l’épouse trop secrète s’empressera aussitôt de le dénier à son amie trop indiscrète.

Surtout, outre l’amertume amère à l’encontre des Allemands, la mort de leur fils Michael (Frederick Preston) explique la mort de son couple, mais d’abord la propre mort spirituelle de Rachael : « Ma femme est morte dans le bombardement ». L’expression plusieurs fois répétée : « a new beginning [un nouveau départ] » n’est pas une hyperbole facile, mais l’expression très exacte de cette nécessité vitale de renaissance. L’expérience en témoigne : le décès d’un enfant est d’une telle violence intime que, si le couple n’est pas uni en profondeur, si la parole ne circulait pas avant pour toujours plus les rapprocher et recoudre les déchirures antérieures, cette violence intime cherchera à se métaboliser en force dia-bolisante, c’est-à-dire à se projeter sur soi jusqu’à accuser l’autre, ou se retourner sur soi jusqu’à se culpabiliser, et à rendre la séparation inéluctable.

Puisque l’histoire ne peut se retourner ni l’un des conjoints se repentir (nul n’est responsable, bien évidemment), la seule conversion possible semble être de se tourner vers un personne extérieure au couple. Face à l’abîme insondable qui s’est creusé entre deux êtres, le seul pont qu’il soit possible de franchir sera celui qu’un autre aura jeté.

 

  1. Alors, comment expliquer le retour intime autant que géographique de Rachael vers Lewis ? À trop clarifier les raisons de ce qu’il faut oser appeler une trahison du lien (et non une passion béatifiante et revitalisante : « Jamais je n’aurais pensé être aussi heureuse », avoue-t-elle à Stefan), ne rend-on pas ce retournement fidèle incompréhensible, voire insensé ?

Là encore, nous en sommes réduits à interpréter la tempête dans un cœur (plus que sous un crâne) qui s’est déroulée chez Rachael entre son domicile où elle croit décider de quitter son époux et la gare où elle décide réellement de revenir vers lui (dans tous les sens du terme, puisqu’elle lui demande : « Pardonne-moi »).

D’abord, leur ultime dialogue l’a bouleversée. L’humble demande de Lewis conjure enfin la fuite répétée : « Comment ça s’est-il passé ? A-t-il souffert ? ». Plus encore, l’ultime aveu de Lewis vaut pardon pour son abandon – d’autant qu’il l’expose dans un langage incarné passant en revue chaque sens (« Je vois son visage à chaque fois que je te vois […]. L’odeur de ta peau me rappelle Michael ») : ce verbe fait chair n’est pas seulement le sceau de l’authencitié, mais ouvre à ce rapprochement physique, sensoriel et bientôt sensuel, qui lui a tant manqué.

Sans doute aussi a joué un grand rôle, la liberté que le mari donne à celle qu’il ne cesse d’aimer, en se refusant à menacer son épouse, comme à se venger sur celui qu’il pourrait sans difficulté expulser et envoyer dans un camp. Mais, plus encore, l’empathie avec laquelle il dit comprendre son besoin d’un nouveau commencement. Lewis a pu trouver, au-delà de la fuite, un sens dans son travail si prenant qui manque à cette femme désœuvrée, en menace d’acédie. Surtout, tout le film montre la constante compassion d’un militaire qui ne se résout jamais à la solution facile de la violence (« Pas de coup de feu ! »), va au plus près, en ce corps à corps compatissant (s’agenouillant auprès du jeune allemand tué pour avoir forcé les lignes, mais dont la seule faute a été d’avoir désespéré), comprenant-reprenant son collègue se plaignant-justifiant de l’haleine fétide des Hambourgeois affamés. Comment Rachael ne finirait-elle pas par admirer à la dérobée cet homme dont le cœur est aussi large au dehors qu’il s’est rétréci au dedans ? Dès lors, comment ne ferait-elle pas mémoire de cette bonté jamais démentie, toujours approfondie ? Comment un moment de folie dans les bras de cet homme qui la fait revivre sensiblement effacerait des années de sagesse aux côtés de son homme qui fait vivre ceux qui l’approchent ?

Mais il y a plus. La scène dramatique qui aurait pu être tragique, la veille dans la nuit, de retour à la maison, demeure gravée en elle. En un instant, tout aurait pu être perdu : son mari, par le jeune fanatique double-8 ; Freda, en voulant imprudemment sauver celui qui l’a au fond manipulé ; elle-même, que son époux a enjoint de demeurer dans la voiture.

Tout (ou presque) a été sauvé par la grâce d’un homme dont elle découvre soudain la multiple bonté : un homme pardonnant qui renonce à tuer son assassin ; un homme miséricordieux, qui refuse aussi de se venger de son rival amoureux, bon amant et mauvais père, en laissant sa fille mourir ; un homme compatissant qui pleure son ordonnance comme sur le fils qui aurait eu son âge. Anticipant les sanglots qui, le lendemain, ravineront enfin son visage et secoueront son corps, quand il tombera sur le pull de cet enfant si aimé et jamais pleuré. Symboliquement, en empêchant la jeune fille de sombrer à son tour dans le lac gelé, Lewis annonce le dégel d’un cœur qui a trop longtemps enfoui sa souffrance et, avec elle, son amour. Renaissant enfin à la vie de son amour paternel, il permet à Rachael de renaître à son amour conjugal : « C’est ce que je voulais : prendre un nouveau départ » – ce que ratifie, par surabondance, le don de la tabatière par l’ennemie intime ; en ce don converge une double symbolique : celle de son amour au fond jamais démenti et toujours fidèle (« Lewis. De la part de Rachael. Je t’aime. 1941 ») ; celle de la repentance vis-à-vis du mal commis et de son amour au fond lui aussi toujours déjà là pour le père aimant (« Rien n’est plus important que toi pour moi »).

 

Au titre énigmatique The Aftermath – « conséquence » ou, plus proche de l’étymologie, « contrecoup » –, le français a préféré celui, suggestif de « Cœurs ennemis ». Cet oxymore (le cœur est le symbole de l’amour) épouse le mouvement dialectique du film : le bonheur initial (évoqué à travers les photos des jeunes mariés, rappelé comme le temps d’avant la mort de Michael), la crise présente et la réconciliation finale. Pour autant, la recréation n’est pas la simple répétition de la création qui annulerait le moment de la décréation. Au terme de sa vie, méditant sur la rédemption, Simone Weil notait de manière suggestive dans le Cahier X : « Toute destruction, toute désunion des contraires, libère de l’énergie. Cette énergie peut être laissée à la dégradation, ou bien captée et orientée », c’est-à-dire « utilisée pour quelque chose de plus élevé que ce à quoi elle servait [1] ». De même que le par-don est le don parfait, l’infidélité pardonnée est le triomphe de l’amour.

Pascal Ide

[1] Simone Weil, Œuvres complètes. Tome VI. Cahiers 3, éd. Alyette Degrâces, Pierre Kaplan, Florence de Lussy et Michel Narcy, Paris, Gallimard, 2002, p. 273.

Hambourg, 1946. Au sortir de la guerre, Rachael Morgan (Keira Knightley) rejoint son mari Lewis (Jason Clarke), colonel anglais en charge de la reconstruction de la ville dévastée par l’aviation ennemie. Elle emménage près de la ville dans une somptueuse demeure qui appartient – ou plutôt appartenait, car elle a été réquisitionnée depuis la défaite des Allemands – à un architecte allemand, Stefan Lubert (Alexander Skarsgård) qui y vit seul avec sa fille Freda (Flora Thiemann) après le décès de sa femme pendant les bombardements. Alors que, la relation conjugale étant distendue, elle espérait un peu d’intimité avec Lewis, celui-ci lui demande de cohabiter avec les anciens propriétaires, au lieu de les expulser et de les envoyer dans un camp, ainsi qu’il en a le droit. Son inimitié envers les Allemands (elle ne serre pas la main de Stefan) lui rend l’acceptation difficile. Mais, seule et inoccupée, Rachael supporte difficilement la vie quotidienne dans un Hambourg sous pression où un époux de plus en plus absent de par ses lourdes responsabilités, risque tous les jours sa vie. Seule ? Non. Car proche, très proche est le beau, doux et délicat Stefan…

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