Celui par qui le scandale arrive
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Pays:
Américain
Thème (s):
Amour, Pardon, Rédemption, Trahison
Date de sortie:
1960
Durée:
2 heures 30 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Vincente Minnelli
Acteurs:
Robert Mitchum, Eleanor Parker, George Peppard
Age minimum:
Adolescents et adultes

Celui par qui le scandale arrive (Home from the Hill), drame américain de Vincente Minnelli, 1960. Inspiré par le roman de William Humphrey, Home from the Hill, 1957 (trad. Jean Lambert, L’adieu du chasseur, coll. « Du monde entier », Paris, Gallimard, 1960). Avec Robert Mitchum, Eleanor Parker, George Peppard, George Hamilton.

Thèmes

Rédemption, amour, trahison, pardon.

En enrichissant le roman L’adieu du chasseur par le personnage de Rafe, Vincente Minnelli croise six itinéraires de rédemption. Nous pouvons les regrouper par paires : la fille et le père, les époux, les demi-frères (car tel est le secret de famille).

 

Aux deux extrémités, nous trouvons Lisbeth et Albert Halstead. D’un côté, il y a la jeune fille innocente, qui s’est donnée par amour à celui qu’elle coyait être l’homme de sa vie, Theron, mais qui se retrouve injustement abandonnée dans un état considéré à l’époque comme déshonorant et a besoin d’être non seulement protégée, mais sauvée. Et elle le sera, ou plutôt elle consentira à l’être, en refusant de se venger sur son bourreau ou, plus subtilement de le faire payer à son sauveur (au nom de son assimilation aux autres hommes, redoublée de sa proximité familiale avec le père).

De l’autre, il y a le père humilié. Véritable victime lui aussi, il choisit, en revanche, la voie de la vindicte et va jusqu’à abattre Wade. D’abord, symboliquement, à travers son fils, par sa fille interposée. Puis, réellement et par lui-même. Son salut est le plus problématique. Périssant dans un duel où son poursuivant l’abat par légitime défense, il n’envoie aucun signal de remords. Pourtant, cet homme particulièrement psychorigide n’a-t-il pas su montrer qu’il était capable de changer en accueillant sous son toit  le métayer de son ennemi ? De plus, venant d’essuyer une grave humiliation en découvrant qu’il avait pour gendre rien moins que le fils naturel de ce même ennemi, n’était-il pas sous le coup de la colère, cette courte folie ? Enfin, en choisissant de se rendre dans les marais sulfureux, ces lieux d’où l’on ne revient pas, ne cherchait-il pas, tout en fuyant ses poursuivants, à se punir lui-même ?

 

Au centre de la fresque, trône le capitaine Wade Hunnicutt, cet homme doublement blessé, au physique par un des maris qu’il a trompés, et, beaucoup plus profondément, au moral par une épouse qui le rejette quotidiennement depuis dix-huit ans. Cet homme blessé rend coup pour coup et devient un homme blessant : recueillant son fils adultérin comme un simple métayer, donc sans reconnaître sa filialité, il l’oblige à vivre dans une cabane dépouillée, tandis que sa mère est enterrée dans le carré des indigents. Peut-être le garde-t-il auprès de lui par responsabilité – à moins que ce ne soit mû par une inconsciente auto-punition ? Quoi qu’il en soit, l’unique demande que Wade fait alors qu’il est mourant (« Faites venir Rafe ») montre qu’il a toujours gardé au cœur la culpabilité de ne pas l’avoir reconnu et donc la responsabilité de ne l’avoir jamais fait. Et il mourra sans prononcer les deux mots que Rafe a toujours attendus et jamais entendus : « Mon fils », ainsi qu’il le lui reproche amèrement.

Mais, auparavant, ce forestier phallocrate et surprotégé, qui est craint bien plus qu’il n’est aimé, est soudain atteint dans sa chair d’homme quand il est immobilisé par un coup de fusil et, plus encore, dans sa chair paternelle, quand son fils se trouve ridiculisé par les métayers qui le chambrent pourtant sans méchanceté. Grâce à ce double choc justement qualifié de salutaire, Wade va arpenter un véritable et admirable chemin de rédemption : en advenant d’abord à sa paternité, ensuite à sa conjugalité. Cette double métamorphose nous vaut les deux scènes peut-être les plus émouvantes du film.

La première est centrée sur une parole. Après avoir multiplié plus que de raison les raisons, je veux dire les conseils, pour que Theron puisse affronter un très dangereux sanglier, sans pouvoir lui éviter le risque qu’il trouve la mort au lieu de la donner, il avoue, une fois son fils parti à Chauncey (Ken Renard), le vieux domestique de couleur, qui est comme son double empathique : « Pour moi, c’est une journée interminable qui commence ». Comment ne pas entendre en écho, bien entendu de manière beaucoup moins dramatique, le cri poignant de David à la mort d’Absalom : « Mon fils, mon fils Absalom, que ne suis-je mort à ta place ! » ? Wade fait l’expérience cruelle autant que cruciale de tout parent aimant qui cesse de surprotéger son enfant : il aura beau multiplier les protections, il ne pourra jamais agir à sa place et donc l’empêcher de risquer sa vie.

La seconde scène est centrée sur un geste. Après avoir tenté de reconquérir l’amour de son épouse toujours très aimée, Wade, contre toute attente, pose humblement un genou en terre et lui demande sincèrement pardon. Et ce qui pourrait apparaître encore seulement comme une parole, même accompagnée d’un humble geste d’agenouillement, est scellé par une proposition : l’emmener à nouveau au lieu fondateur de leur amour. « Nous retournerons à Naples où tout a commencé ».

 

En contrepoint autant qu’en vis-à-vis, nous rencontrons Hannah. Avant de navrer et grièvement son époux en se fermant en son cœur et en son corps, elle fut d’abord profondément meurtrie dans sa dignité de femme par ce mari volage dont elle doit subir au quotidien et au plus près les conséquences de son infidélité, dans la présence de Rafe. Toutefois, elle va, elle aussi, opter pour la voie de la vengeance, et doublement : d’abord, nous l’avons dit, en se refusant à son époux, et, dans un cercle vicieux autant que manipulateur, en aggravant sa frustration, donc en le poussant à la faute, donc en s’autolégitimant au dedans et en l’accusant triomphalement au dehors ; ensuite, en gardant pour elle l’éducation de son fils, donc en confisquant l’unique affection ou fierté que son mari pourrait avoir, et en recevant de Theron toute l’affection qui lui manque. Nouvelle cascade destructrice de péchés-blessures : la victime devient le bourreau d’une innocente victime qu’elle prend en ôtage pour se venger. « Il est à moi », lancera-t-elle à Wade à propos de celui que, jamais, ils n’appellent « Notre fils ».

Hannah initiera le chemin de son rachat en acceptant le retour aux sources que fut le voyage de noces ; même s’il n’aura finalement pas lieu, l’épouse montre que son cœur s’est à nouveau entrebaillé lorsque, à son époux implorant son pardon, elle reconnaît pudiquement dans un murmure qu’elle s’est sentie heureuse à Naples. Mais, pour celle qui se présente encore comme son « ennemie », ce n’est qu’une amorce : « Peut-être finiras-tu par me pardonner peu à peu », ajotue Wade.

Hannah entrera définitivement dans la réconciliation quand, enfin « capable d’humanité une fois dans sa vie », elle fixera dans le marbre, donc pour toujours, le nom de Raphael, renoncera au secret de famille en affirmant « Pourquoi le cacher ? Il avait deux beaux fils », et scellera sa parole en glissant son bras sous celui de Rafe et donc en consentant de venir loger chez lui.

 

De tous les personnages, Rafe est le plus attachant. S’il est, lui aussi, l’innocente victime qui ne peut que subir les écarts de Wade et bientôt des vengeances d’Hannah, il ne fait pas que pâtir, à la différence de sa future épouse. Il prend les moyens de se sauver en sauvant autre et même autres que lui. De manière limpide, il se rédimera en arrachant autant le futur bâtard à l’exclusion que la mère à la flétrissure. Dans un admirable don de soi qui vaut agapè et ne va pas sans éros, il offre à Lisbeth et son enfant un amour et un foyer ; et il trouvera sans trop tarder une récompense immanente dans la réponse conjugale qui est plus que de la tendresse. Aujourd’hui, nous nous inquièterions surtout de ce que cet amour ne soit pas que l’attachement de la sauvée à son sauveur. Quoi qu’il en soit, si la répétition apparaît scénaristiquement un peu trop facile et l’interprétation psychologiquement un peu trop limpide, la leçon n’en est pas moins de grande portée éthique : seuls le don de soi et le pardon conjurent la fatalité. Voilà pourquoi les deux meurtres finaux de Wade et d’Albert n’apparaissent en rien comme des sacrifices apaisant faussement une lente montée de violence mimétique. Mais, si généreux soit Rafe, il ne peut donner autant d’amour sans s’épuiser que s’il consent aussi à le puiser, donc à le recevoir. Voilà pourquoi il ne guérira définitivement que lorsqu’il pourra lire ce que celle qui fut si longtemps son ennemie a gravé dans le marbre rouge : « Beloved father of Raphael », à savoir non seulement son prénom enfin intègre, mais la reconnaissance de son rang qui est premier et surtout l’amour de son père. Aussi, peut-il enfin entendre en lui la réponse à la question adressée à son père et demeurée sans retour : « Jusqu’à maintenant, il n’en avait qu’un [fils] ».

 

Autant la personnalité de Rafe est limpide, autant celle de son demi-frère Theron est trouble, troublante et d’abord troublée. Bénéficiant apparemment de la présence de ces deux parents, de l’amour de sa mère et de la protection de son père, il est en réalité le plus traumatisé : si son hypersensibilité n’est pas sans jouer un rôle, il subit surtout l’indifférence d’un père lointain et l’instrumentalisation d’une mère trop proche qui ne l’aime que pour le prendre en ôtage et le retirer à son père. Or, rien n’est plus fondamentalement destructeur qu’un amour utilitariste, donc conditionnel.

L’issue hors de sa souffrance et donc le commencement de son salut proviendra de l’impulsion enfin responsable du père. Wade arrache Theron à la tutelle mortifère et infantilisante d’Hannah. Mais le fils ne se détache de sa mère vampirique que pour se mettre à si bien admirer en son père ce qui lui manque, le courage du chasseur, qu’il en vient à imiter son pire défaut : la chasse non pas des bêtes sauvages, mais des jeunes filles. Mais, contrairement au capitaine Hunnicutt, après avoir engrossé Lisbeth, il n’en assume pas la responsabilité. La conséquence ne se fait pas attendre : il régresse et retombe sous la coupe maternelle.

Au terme, le chemin de Theron est encore marqué par l’ambiguïté. D’un côté, il protège son demi-frère et fait héroïquement justice à sa place (« Toi, tu as une famille »). De l’autre, il affirme à Rafe : « Je me suis perdu » et décide de s’enfuir droit devant, loin de tous. Pourtant demeure une parole d’espérance, donc de salut. À la question de son demi-frère s’inquiétant de ce qu’il va devenir, Theron apporte une réponse dont on ne saurait minimiser la portée : « Je ferai comme toi, Rafe ». Autrement dit, désormais, je lâche le modèle paternel et choisis d’imiter le seul de la constellation familiale qui soit indemne de compromission – ce que symbolise la transmission de la veste.

 

Le titre américain du film qui est aussi celui du roman inspirateur, Home from the Hill, est extrait du poème Requiem de Robert Louis Stevenson (Underwoods, 1887). Il se termine ainsi : « Il repose là où il l’a tant souhaité, / Marin de la mer revenu, / Et chasseur, des collines redescendu [And the hunter home from the hill] ». Comme la forêt et les marécages qui sont tour à tour le terrain de morts sauvages (lors de la chasse au sanglier) et un jardin édénique (lors de la scène du pique-nique), ce riche drame met en scène des personnages complexes qui, s’ils y consentent, s’arrachent à leur ambivalence et leur violence, pour accéder à la rédemption et au pardon.

Pascal Ide

Le capitaine Wade Hunnicutt (Robert Mitchum) fait une partie de chasse avec ses métayers quand un homme lui tire dessus. Il est sauvé in extremis par Rafe (George Peppard), le plus jeune métayer qui pourrait avoir l’âge d’être son fils. Le meurtrier s’avère être l’un des multiples maris que Wade a cocufiés dans cette ville où il est l’homme le plus influent.

Alors que, dans le salon paternel aux tentures rouges et larges fauteuils, trônent fusils, trophées et chiens de chasse, son fils Theron (George Hamilton), dix-sept ans, vit dans une chambre encombrée de jouets et de passions enfantines. Il est ridiculisé par les métayers qui partent chasser avec lui la bécasse et le laissent seul dans la nuit. Puis, il est terrorisé à l’idée d’inviter la jolie fille d’Albert (Everett Sloane) et de Sarah Halstead (Anne Seymour), Elizabeth (Luana Patten), dite Libby ou Lisbeth, au point qu’il demande à Rafe de le faire à sa place. Ces attitudes immatures viennent de ce qu’Hannah (Eleanor Parker), sa mère, s’est jusque-là occupée seule de son éducation. Elle a obtenu cette exclusivité en échange de sa présence à la maison malgré les infidélités répétées de son mari. En fait, il s’agit d’une vengeance, parce qu’elle se refuse à lui depuis son unique grossesse.

À la suite de l’humiliation subie par son fils, Wade Hunnicutt décide de rompre le contrat avec sa femme et de prendre enfin en main son éducation : « La forêt sera ton maître ». Il confie Theron à Rafe pour qu’il l’entraîne et, le jour venu, l’envoie chasser le sanglier sauvage. Theron réussit avec brio cet exercice très périlleux où il risque sa vie et une fête célèbre son exploit. Fier de son fils, Wade se rapproche d’Hannah en reconnaissant : « Ensemble, on a fait quelque chose de bien ». Mais, glaciale, celle-ci le repousse. En réalité, un autre secret de famille ronge les Hunnicutt, un dramatique secret dont la présence lancinante ronge le capitaine de culpabilité et son épouse de ressentiment…

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