À la recherche du bonheur
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Pays:
Américain
Thème (s):
Dieu, Espérance, Idéal, Persévérance, Responsabilité, Vertu
Date de sortie:
31 janvier 2007
Durée:
1 heures 58 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Gabriele Muccino
Acteurs:
Will Smith, Thandie Newton, Jaden Smith
Age minimum:
Famille

À la recherche du bonheur (The Pursuit of Happyness), biopic américain de Gabriele Muccino, 2006. La faute d’orthographe présente dans le titre original est intentionnelle, comme le film l’explique. Adapté de l’autobiographie éponyme de Chris Gardner. Avec Will Smith, Jaden Smith, Thandie Newton.

Thèmes

Espérance, persévérance, idéal, responsabilité, vertus, Dieu.

Commentaire général

Le Français ronchon et américanophobe verra dans The Pursuit of Happyness [1] une énième autojustification du rêve américain indécrottablement positivant et négateur du drame de la vie, alors qu’il est d’abord un film sur l’espérance. Mais une espérance qui, loin d’être un optimisme béat, est un désespoir surmonté. Une espérance qui, si elle ne nie pas la Providence divine, fait aussi appel à la liberté de l’homme. Une espérance qui, loin d’être un simple désir légèrement contrarié ou différé, rime avec persévérance et, parfois, avec souffrance. Une espérance qui, sans nier le réalisme de la vie, se fonde sur l’idéal (appelé ici « rêve ») constamment entretenu.

Une fois n’est pas coutume, nous allons procéder par questions-réponses. De fait, un débat animé pendant le confinement à partir de ces questions données à l’avance m’a permis d’en voir le fruit.

Deux règles de base pour tout débat

  1. Tous les avis sont les bienvenus à partir du moment où ils sont argumentés, c’est-à-dire fondés sur ce que l’on voit ou entend dans le film ? (donc, sont exclues les simples impressions).
  2. Comme les personnes rencontrées dans la réalité, les personnes de films de fiction n’ont pas à être jugées, par exemple par des paroles inconditionnellement négatives (« Untel est un égoïste »), mais respectées.

Questions

Qu’est-ce que le film nous révèle du contexte économique ?

Comment décririez-vous Chris Gardner au point de départ ? Quelles sont ses lumières ? Quelle est sa part d’ombre ?

Comment décririez-vous Chris au terme du film ? Qu’est-ce qui a changé en lui ?

Comment expliquez-vous la relation de Linda (sa femme) avec Chris ?

Le cinéaste adopte-t-il le point de vue de Chris ?

Comment Chris a-t-il changé ? Quelles vertus, morales ou autres, met-il en œuvre ?

En quoi la relation à Dieu intervient-elle et dans quelles scènes ?

Quel regard le film porte-t-il sur Dieu ?

Qu’est-ce que le film nous révèle de la situation économique ?

Le film se déroule dans le San Francisco des années 1980, c’est-à-dire pendant les années Reagan. On voit d’ailleurs le président américain à la télévision expliquer la situation au début du film.

Certes, d’un côté, nous sommes en pleine période de rêve américain où non seulement quelqu’un de très pauvre peut devenir très riche, un immigrant peut se hisser dans l’échelle sociale, une personne qui est arrivée sans savoir ce qu’elle allait devenir, peut donner un sens à sa vie et à celle des autres, mais où, sans jalousie, le peuple américain l’aidera volontiers et généreusement, par exemple, lors d’un entretien d’embauche – comme si, se souvenant de son histoire ou celle d’un de ses ancêtres, il se projetait empathiquement en lui. Ce rêve est illustré par le riche homme d’affaires Walter Ribbon (Kurt Fuller), dont tout exprime l’éclatante réussite sociale, depuis la splendide demeure à trois étages, la famille heureuse, le chien et l’arroseur automatique, en passant par sa prompte générosité et sa capacité à éconduire gentiment Chris incapable de voir en lui autre chose qu’un client potentiel. Il est d’ailleurs significatif que le réalisateur, Gabriele Muccino, signe ici son premier film sur le sol américain et ait été demandé par Will Smith qui lui a soumis le scénario parce qu’il aimait bien ses films italiens.

Toutefois, d’un autre côté, l’Amérique commence à connaître une grave crise. Pour la première fois, le rêve d’un enrichissement constant de la classe moyenne est mis à mal ; la fracture financière et sociale entre plus riches et plus pauvres, loin de se combler, se creuse. Cette fracture est d’ailleurs à la fois effectuée et symbolisée par la différence des zones composant la ville de San Francisco, restitués avec une précision presque scrupuleuse : d’un côté, ses quartiers riches, lumineux, aux larges voitures décapotables, où déambulent des personnes bien habillées, des hommes d’affaire très affairés ; de l’autre, ses quartiers presque misérables (comme Chinatown), où se pressent des camionnettes déglinguées et dont les habitants sont mal fagotés.

Ajoutons deux données culturelles en décalage avec nos pays latins : aux États-Unis, il est possible de faire un stage, même dans une prestigieuse firme de courtage, sans être rémunéré ; aux États-Unis, il est possible d’être mis en prison si l’on ne paie pas ses impôts.

Comment décririez-vous Chris Gardner au point de départ ?

Chris joint un haut idéal avec une puissante volonté, autrement dit la fin et les moyens.

Ce haut idéal est montré dans la scène décisive de la rencontre avec l’homme à la Ferrari rouge. Chris est littéralement subjugué par la réussite étincelante de cet homme souriant et avenant à qui il pose deux questions : « Que faites-vous et comment le faites-vous ? » La deuxième interrogation, qui paraît secondaire, est aussi importante que la première, pour lui qui n’a pas fait d’études. Et lorsqu’il entendra que, pour être courtier en bourse, il suffit d’aimer les chiffres et d’aimer les personnes, se produira un déclic, plus, un tsunami. En effet, l’exemple qui va suivre montrera que Chris est à l’aise avec le calcul et les nombreuses rencontres dans le film attesteront aussi qu’il est doué d’une intelligence relationnelle. Surtout, le signe que Chris entre en état de flow (cf. l’article sur le site : « Le bonheur maximal. La théorie du flow »), c’est la manière dont il voit les personnes : « Les gens semblaient nager dans le bonheur. Pourquoi pas moi ? »

Par ailleurs, Chris est présenté comme un homme volontaire, persévérant jusqu’à l’obstination. Quand il découvre le Rubics Cube, qui était très à la mode dans les années 80, il ne s’arrête pas avant d’avoir découvert les règles qui permettent de résoudre le problème. D’ailleurs, pour l’anecdote, Will Smith qui s’est peut-être projeté dans son personnage et en tout cas a pleinement et comme kénotiquement épousé son rôle, a lui aussi appris à trouver la solution, si bien que dans la scène du taxi avec Jay Twistle (Brian Howe), il est tellement absorbé par son cube polychromatique (il ne joue pas à être absorbé, il l’est vraiment !!) que le cinéaste a dû prolonger la scène jusqu’à ce qu’il ait totalement homogénéisé ses faces !

Chris ne présente-t-il pas aussi quelques ombres ?

Comme c’est souvent le cas, si Chris nourrit un haut idéal, il est aussi idéaliste. Il a acheté un stock invraisemblable de cet « ostéodensitomètre portable » dont il nous dit pourtant qu’il est voué à l’échec…

Par ailleurs, il fait une confiance aveugle à des personnes qui ne la méritent pas. Ainsi, en laissant son appareil à la hippie guitariste, il court le risque non seulement de perdre une de ses précieuses boîtes, mais aussi de perdre la possibilité d’un nouvel emploi.

Comment décririez-vous Chris au terme du film ? Qu’est-ce qui a changé en lui ?

Considérons les quatre, cinq dernières scènes. L’on peut faire deux constats presque contraires.

D’un côté, on voit Chris, qui a été successivement mis à la porte de son appartement, puis du motel et maintenant à la rue, profondément atteint. Dans un merveilleux jeu d’acteur, Will Smith nous le montre absent, n’y croyant plus. Alors que Jay lui adresse un compliment sincère, la petite partie de lui encore émergée remercie, alors que toute la partie immergée, en menace très prochaine d’effondrement psychique, ne peut plus adhérer. Non seulement il est exclu de tout emploi et de toute reconnaissance sociale, mais il s’auto-exclut. Désormais, il ne peut plus se regarder ni regarder l’autre, lui que plus personne ne regarde. Il sait secrètement que, s’il échoue à l’examen, il sera définitivement voué à rester SDF. La scène de la perte de la chaussure anticipait cette atteinte en profondeur de l’estime de soi : cette perte signifie autant qu’elle effectue cette auto-amputation qui rime avec auto-dépréciation. D’ailleurs, elle le conduit à clocher dont on sait que, en français, c’est l’étymologie du mot clochard (qui, marchant dans le caniveau autant que sur le trottoir, était forcé de claudiquer).

De l’autre côté, pourtant, lorsqu’il parle au courtier, Chris demeure courtois, lorsqu’il répond au téléphone, il sourit comme s’il y croyait, lorsqu’il se présente à ses trois juges, il garde sa dignité jusque dans son habillement. Il y va beaucoup plus que de seulement conserver sa dignité, il y va d’une espérance qui espère contre toute espérance. Alors qu’il menace de s’abîmer définitivement et irréversiblement, Chris se bat jusqu’au dernier souffle. Comme cette lampe de l’appareil qui brille faiblement, mais réellement, il garde sa faible lampe intérieure allumée.

Et il finira par cueillir le fruit. Quand il sortira de la rencontre si émouvante avec Martin Frohm (James Karen) et les deux autres courtiers, là encore le jeu si fin de Will Smith nous donne de contempler toute la métamorphose opérée en lui. Il est bien entendu bouleversé par cette nouvelle aussi inespérée qu’attendue qui fait enfin basculer sa vie. Le cinéaste et toute son équipe ont pleuré en visionnant la scène ; non seulement j’ai versé des larmes la première fois, mais aussi la seconde, en écoutant le commentaire. Ensuite, quelque chose dans la démarche montre qu’il a recouvré toute sa fierté. Enfin et surtout, il renaît à son humanité. Denis Vasse disait que la santé, la « normalité », consistait à accepter d’être un parmi d’autres [2] : un, c’est-à-dire unique, irrépétable ; parmi d’autres, c’est-à-dire frère en humanité. Chris tout à la fois se différencie de cette foule par sa joie sans mesure et s’identifie à elle. D’ailleurs, dans la toute dernière scène, la caméra le montre en train de croiser le vrai Chris Gardner, sur lequel il se retourne longuement ; puis, restant fixe, elle le filme en train de s’enfoncer sous l’horizon avec son fils : Chris a pleinement réintégré la société des hommes sans plus risquer de s’y dissoudre.

Comment expliquez-vous la relation de Linda avec Chris ?

Linda est une femme en grande souffrance. Elle doit travailler considérablement, faire des heures supplémentaires, et donc se priver de la présence de son fils. De plus, ses conditions de travail sont éprouvantes. Dans une scène symbolique, lorsque Chris l’appelle de prison, nous la voyons dans son milieu professionnel. Or, le cadre clos, sans fenêtre semble tout aussi oppressant que celui de la prison.

Par ailleurs, c’est une femme de grande exigence. Décisive est la scène où elle se retrouve avec Chris dans la salle de bains. Alors que celui-ci lui raconte la rencontre qui vient de faire basculer sa vie, cet idéal de courtier que, dorénavant, il ne lâchera plus, Linda ne se contente pas de ne pas l’écouter, mais s’acharne à torpiller son objectif. Centrée sur ses multiples frustrations, elle est incapable de se réjouir de l’expérience que Chris lui partage. Voilà pourquoi, se sentant atteint au plus profond de lui-même, Chris se mettra en colère contre Linda et lui reprochera de ne pas le respecter.

Ainsi, la grande souffrance jointe à la grande exigence conduit à la durcir et à la fermer. Seule une scène, en flashback nous la montre heureuse, souriante et même riante, toute en complicité avec Chris. Or, justement, il s’agit d’un moment où elle en partage le rêve : ce qui montre bien qu’elle l’aimait pour l’élévation de son idéal. Est ainsi discrètement évoqué que, en se séparant intérieurement de ce que son époux porte en lui de plus précieux, de cette flamme qui lui fera brûler tous les obstacles, elle se prépare à s’en séparer physiquement.

Le cinéaste adopte-t-il le point de vue de Chris ?

La scène de la rupture définitive est riche de symbole. La caméra suit Chris dans un mouvement continu, puis s’interrompt lors de l’échange entre les deux époux dans la cuisine, enfin le plan reprend là où il s’est arrêté, conservant le point de vue de Chris. Muccino explique dans son commentaire qu’il souhaitait faire un plan-séquence que lui a interdit l’exiguité de la cuisine, l’obligeant à une suite de gros plans sur Chris et Linda. N’est-il pas paradoxal de présenter une rupture par une prise continue ? Et si, au contraire, le cinéaste voulait d’abord montrer combien les perspectives des deux époux sont incommensurables et donc combien ceux-ci sont désormais incapables de se rejoindre ? C’est ce que confirme le plan si riche métaphoriquement et si intense dramatiquement où l’on voit, au premier plan, Chris à l’entrée de la chambre et, à l’arrière-plan, Linda avec Christopher, le corps endormi de celui-ci montrant que l’enfant inconscient ne peut donc plus servir de médiateur dans cette rupture devenue irréversible.

Mais pourquoi avoir choisi le point de vue de Chris ? Et si le réalisateur voulait aussi attirer l’attention sur celui-ci et comme implicitement lui donner raison ? En manquant de confiance en son mari, Linda a comme brisé aussi sa famille.

Pourtant, objectera-t-on, elle semble seule affectée par la rupture : dans un très beau jeu d’acteurs, Thandie Newton quitte son mari, le visage ravagé par les larmes, alors que Will Smith demeure apparemment insensible. Mais ce serait manquer le plan suivant où, assis au pied du lit, il est surmonté, dans la pénombre, par l’image de Magic Johnson : le contraste avec cette photographie rayonnante de bonheur fait alors ressortir la tristesse abyssale qui affaisse le visage de Chris.

Comment Chris a-t-il changé ? Quelles vertus met-il en œuvre ?

Chris exerce successivement toutes les vertus cardinales. Égrenons-en quelques illustrations.

Chris est prudent. Le prud’homme est l’homme qui a le sens de la finalité et le sens de la responsabilité. Or, nous avons vu que le héros est habité, animé, informé par un puissant idéal. Et cette haute visée jamais démentie s’incarne dans l’improbable parole du président Thomas Jefferson, selon laquelle tout homme a le droit de poursuivre le bonheur. Elle est d’ailleurs si importante que non seulement Chris la cite à deux reprises, mais qu’elle s’inscrit dans le titre du film. On objectera que le rêve américain incarné par Chris est bien matérialiste : il s’agit de passer du statut de pauvre, voire de misérable, à celui de riche. Mais un commentaire de Muccino contredit cette interprétation. En effet, pour lui, le véritable sens du film est le suivant : « La pauvreté en rêves est pire que la pauvreté matérielle ». C’est ce que symbolise la scène où père et fils se retrouvent à l’hôtel et s’effondrent de sommeil devant la télévision allumée, alors qu’une actrice dit : « Tu n’as jamais rêvé d’avoir ta maison, toi aussi ? ».

Ce sens de la responsabilité se traduit notamment par le refus de toute victimisation (jamais nous ne voyons Chris se plaindre contre le sort ou accuser autrui) et la capacité à tirer les leçons de ses échecs (« Ce chapitre de ma vie, je l’ai intitulé : L’art d’être stupide »).

Chris est juste. Il ne supporte pas que le terme happiness soit mal orthographié et qu’on laisse un mur taggé. Il épingle toutes les improbités, comme celle de la Chinoise gardant son enfant, et sait réclamer les 14 dollars qui lui sont dûs. Même happé par son nouvel idéal, il continue à démarcher les médecins et donc accomplir son devoir d’état. À son employeur qui exige qu’il paye son loyer, il propose de repeindre gratuitement son appartement. Voire, Chris grandit en justice. Alors que, au début, nous le voyons une fois ou l’autre mentir ou s’arranger avec la vérité, lorsqu’il se retrouve face à ses trois juges pour son embauche comme stagiaire, il a l’honnêteté de ne rien maquiller des faits.

Chris est courageux. Cette fortitude qui est à la fois affrontement de l’obstacle (aggredi) et persévérance malgré lui (sustenere) est symbolisée par les multiples courses éreintantes de Chris dans San Francisco. Dans le titre, commente Gabriele Muccino, le mot le plus important n’est pas « bonheur », mais « poursuite », avec tout ce que cela suppose comme énergie, volonté, ténacité. Qui ne s’est senti encombré par le sac qui pend à une de ses épaules et n’a ressenti douloureusement l’appareil de 20 kilos qui pend à l’autre bras ? Pourtant, jamais Chris ne lâche ses instruments de travail. Qui n’a été édifié par cet homme multitâche qui cumule la responsabilité de père, de représentant de commerce et d’étudiant ? Qui n’a été bouleversé par ce père debout en train de capter le moindre rai de lumière afin de préparer ses examens ?

Enfin, Chris est tempérant. Face aux deux hippies qui lui ont volé sa machine et qui sont pris-surpris, honteux et confus, il s’abstiendra de toute représaille violente. Jamais on ne le voit noyer son chagrin dans l’alcool et sa solitude dans les rencontres faciles. Mais, quand il réussira à vendre ses dernières machines, il offrira à lui et à son fils une nuit à l’hôtel. Sobriété n’est pas insensibilité, modération n’est pas abstention.

À ces vertus morales se joignent d’autres bons plis. Par exemple, l’imagination qui aide Chris à multiplier les possibles. Elle nous vaut cette merveilleuse scène où, pour protéger son fils, le papa invente cette boîte à voyager dans la préhistoire, rencontrer les dinosaures, et enfin fuir dans la caverne où ils vont pouvoir se réfugier. Qui n’a alors songé à une autre scène tragicomique, celle de La vie est belle (Roberto Benigni, 1998) ? Dans les deux cas, la situation la plus sombre qui soit (un camp d’extermination d’un côté, l’obligation de dormir dans les immondes toilettes du métro de l’autre), un père mobilise toutes les ressources de son imagination pour subcréer un monde où son fils puisse se sentir en sécurité.

Au carré des cardinales se joint comme un analogue du triangle des théologales : la foi qui lui fait voir en l’autre ce qu’il a de beau et de bon ; l’espérance qui lui fait tenir alors même que les appuis humains s’effritent de plus en plus ; surtout l’amour qui le conduit à donner son sang pour son fils dans une scène qui, plus encore que l’échange sordide sang-argent, témoigne du don de soi jusqu’à l’extrême.

En quoi la relation à Dieu intervient-elle ?

Dieu est présent dans le film. De trois manières dans trois scènes différentes. D’abord, il est prié dans l’église. Précisément, nous voyons Chris l’écouter avidement à travers la prédication du pasteur, puis le supplier intensément, debout, son fils dans les bras, les yeux fermés.

Ensuite, Dieu est raconté. En effet, il est au cœur de la merveilleuse anecdote racontée avec conviction par Christopher, que nous commenterons plus bas.

Enfin, Dieu est suggéré dans l’avant-dernière scène, celle où Chris se retrouve dans la foule. En effet, celle-ci est filmée légèrement en surplomb. Or, cette perspective est ce que l’on pourrait appeler « le regard de Dieu » [3]. Ainsi, discrètement, Muccino évoque une présence tutélaire, providentielle : la prière de Chris a été exaucée. « Passerai-je un ravin de ténèbres, Tu es avec moi » (Ps 22,4).

Quel regard sur Dieu ressort du film ?

Le regard sur Dieu est particulièrement ajusté. En effet, l’homme est constamment tenté par deux conceptions partielles et opposées : le pélagianisme (l’homme sans Dieu) et le quiétisme (Dieu sans l’homme). Or, les deux scènes où il est explicitement fait mention de Dieu ont pour mission de conjurer ces tentations symétriques : la prière dans l’église écarte le volontarisme prométhéen et la fable de Christopher le providentialisme victimaire. Et cette ligne de crête que suit l’espérance, la prédication l’indique en convoquant un symbole très biblique : « Nous devons tous escalader des montagnes. Des montagnes aux sommets hors de portée et aux vallées où l’on s’abîme. Nous les gravissons en chantant ».

Commentaire d’une scène

Contexte et scène

Attardons-nous sur l’une des scènes les plus importantes du film [4]. Elle illustre un double processus : la fusion du fils avec le père, qui lui fait abandonner sa propre conviction ; la défusion du père d’avec le fils, en reconnaissant son tort, et donc en acceptant que son fils désidéalise.

Chris et Christopher ont dû abandonner leur maison pour aménager dans un motel. Est-ce aussi l’occasion d’abandonner leurs rêves ? Ou, au contraire, est-ce le moment ou jamais de croire à « la belle vie » ? Chris propose à son fils d’aller faire du basket, puisque c’est samedi, le jour de tous les matchs où s’affrontent les équipes de ce sport national.

Et voici l’échange décisif au terme :

 

« Ne laisse jamais personne te dire que tu n’arriveras pas à faire quelque chose. Pas même moi. D’accord ? [Don’t ever let somebody tell you, you can’t do somethin’. Not even me. All right?]

– D’accord. [All right]

– Tu as un rêve, tu dois le protéger. Quand les gens n’arrivent pas à faire quelque chose eux-mêmes, ils te disent que tu n’y arriveras pas non plus. Tu veux quelque chose, tu vas le chercher. Point barre [You got a dream, you gotta protect it. People can’t do somethin’ themselves, they wanna tell you you can’t do it. You want somethin’, go get it. Period] ».

Commentaire

Le père est d’abord tout enthousiaste de jouer au basket avec son fils et, lorsqu’il rate son panier, il commence à se justifier en critiquant ce jeu : « Tu vas exceller dans des tas d’autres domaines. Je refuse que tu envoies des ballons du matin au soir. D’accord ? » Son fils ne veut pas décevoir son papa et acquiesce : « D’accord ! » Mais, manifestement déçu, il perd le sourire, baisse la tête, abandonne le ballon d’un geste las et le range dans un sac en plastique. Chris que l’on voit soudain regarder vers la ville, les yeux perdus dans le lointain, rentre en lui-même, comme le fils prodigue. Il est en train de comprendre la grave erreur pédagogique qu’il vient de commettre. Pire encore, il saisit qu’il vient de faire à Christopher ce qu’il reproche à Linda de lui avoir fait : ne pas croire à son rêve et, chez un enfant, en plus, le priver de la confiance en lui. Aussi, lorsqu’il se retourne vers son fils pour lui parler, le visage grave, douloureux, le regard ému, Christopher sait qu’il va dire quelque chose d’important, que ses paroles ne sonnent pas comme une leçon de morale, mais comme une leçon de vie, que son père se donne à lui avant même qu’à son fils : « Eh !, l’interpelle-t-il. Ne laisse jamais personne te dire que tu ne peux pas faire quelque chose [you can’t do something]. Même pas moi ». Il fait valider : « All right ? – All right ! » Puis, il continue : « Tu as un rêve. Tu dois le protéger. Les gens qui ne peuvent pas faire quelque chose eux-mêmes feront tout pour te dire que tu ne peux pas le faire. Si tu veux vraiment quelque chose, tu dois le faire [go get it] ».

Pour la petite histoire, le réalisateur avait d’abord écrit une scène où Chris décourageait son fils, sans plus, donc s’arrêtait au moment où. Mais la veille, il sentit que cette scène ne fonctionne pas, et il ajoute cette remise en question du père.

Deux ajouts

Ajoutons les deux petites scènes qui suivent : elles confirment et approfondissent la leçon de vie qui vient d’être donnée.

Dans la première, on les voit maintenant dans le métro en train d’aller porter la machine qu’il va finalement réussir à vendre. Son fils l’interroge sur la raison de leur déménagement dans le motel. Chris répond : « Parce que je vais avoir un meilleur travail ». Ce n’est pas à proprement parler une réponse ! Voire, cela pourrait passer pour une manipulation, si l’on ne prenait pas en compte la discussion qui précède. Ce dont l’enfant a besoin, ce n’est pas d’un éclaircissement sur les motivations immédiates de son père, mais d’une espérance : que l’arrachement à sa maison, avec tout l’inconfort que cela comporte, a un sens, qu’il vaut la peine. Voilà pourquoi Chris lui donne des raisons d’espérer. En même temps, en demandant à son fils : « Tu crois vraiment en moi [You gotta trust me] ? », le père avoue que, s’il doit trouver l’énergie en lui, ne pas se laisser détourner de son rêve par qui que ce soit, il n’est pas tout-puissant, il a aussi besoin des autres, et notamment de la confiance de son fils. Voilà pourquoi la réponse de celui-ci est capitale : « J’ai confiance en toi [I trust you] ».

Dans la seconde scène, Christopher raconte une histoire. Même si elle est prononcée d’un ton léger et si son papa n’a pas l’air d’y prêter attention, cette anecdote résume excellemment l’esprit du film qui n’est une apologie ni du volontarisme, ni du quiétisme. Christophe montre aussi qu’il a complètement assimilé la « leçon » donnée par Chris : « Papa, j’ai une histoire. Un jour, un Monsieur se noya dans la mer. Et un bateau passe et lui dit : ‘Avez-vous besoin d’aide ?’ Il dit : ‘Non, merci. Dieu me sauvera’. Un autre bateau passe : ‘Avez-vous besoin d’aide ?’ Il dit : ‘Non, merci. Dieu me sauvera’. Il se noya et il arriva au Paradis. Et il dit : ‘Dieu, pourquoi tu ne m’as pas sauvé ?’ Et Dieu lui dit : ‘Je t’ai envoyé deux gros bateaux, imbécile [dummy] ».

Pascal Ide

[1] La faute d’orthographe présente dans le titre américain – The Pursuit of Happyness – est intentionnelle, comme le film l’explique.

[2] Cf. Denis Vasse, Un parmi d’autres, coll. « Le champ freudien », Paris, Seuil, 1978.

[3] Nous avons commenté plus longuement ce type de point de vue dans le film Gravity d’Alfonson Cuaron, 2013.

[4] À la poursuite du bonheur, biopic américain de Gabriele Muccino, 2006. La scène se déroule de 0 h. 51 min. 47 sec. à 0 h. 54 mn. 20 sec.

Représentant de commerce, Chris Gardner (Will Smith) peine à gagner sa vie. La déception vis-à-vis de ses promesses répétées d’une issue favorable hors de cette vie précaire a raison de la patience de sa compagne, Linda (Thandie Newton) qui finit par le quitter. Sur l’insistance de Chris, elle accepte de lui laisser leur petit garçon de cinq ans, Christopher (Jaden Smith, le propre fils de Will Smith dans la vie). Désormais seul responsable de son fils, Chris se démène pour décrocher un nouveau travail, mais sans succès. Jusqu’au jour où il voit des courtiers sortir, tous heureux, d’une banque. Alors, il comprend (ou croit comprendre) que c’est son rêve. Contre toute attente, il obtient un stage dans une prestigieuse firme de courtage, mais non rémunéré. Il se donne à fond à ses études, tout en continuant son travail de représentant si mal payé. Mais sa situation s’aggrave. Incapable de régler son loyer, il se retrouve à la rue avec Christopher, doit chercher un motel. Mais bientôt, il sera encore mis à la porte même de celui-ci et ne pourra plus vivre que dans un foyer gratuit. Quo non descendam ?

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