Carlo-Maria Martini, Quelle beauté sauvera le monde ?

Carlo-Maria Martini, Quelle beauté sauvera le monde ? [1]

« C’est dans le silence que l’on apprend les secrets de ces ténèbres […] qui brillent de la lumière la plus éblouissante […]. Celles-ci, tout en restant parfaitement intangibles et invisibles, remplissent de splendeurs plus belles que la beauté les esprits qui savent fermer les yeux [2] ».

Lecture de la Transfiguration de Jésus [3]

Mt 17,1-8 Mc 9,2-8 Lc 9,28-36
1 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne.

2 Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.

3 Et voici que leur apparurent Moïse et Elie, qui s’entretenaient avec lui.

4 Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».

5 Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoutez-le ».

6 A cette voix, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés.

7 Mais Jésus s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous, et n’ayez pas peur ».

8 Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus seul.

2 Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls, à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut trans­figuré devant eux

3 et ses vê­te­ments devinrent resplendis­sants, d’une telle blancheur qu’aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte.

4 Elie leur ap­parut avec Moïse et ils s’entrete­naient avec Jésus.

5 Alors Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : « Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».

6 C’est qu’il ne savait que répondre, car ils étaient saisis de frayeur.

7 Et une nuée survint qui les prit sous son ombre, et une voix par­tie de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le ».

8 Soudain, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne, que Jésus seul avec eux.

28 Or, il advint, environ huit jours après ces paroles, que, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il gravit la montagne pour prier.

29 Et il advint, comme il priait, que l’aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d’une blancheur fulgurante.

30 Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Elie qui, apparus en gloire, parlaient de son départ qu’il allait accomplir à Jérusalem.

32. Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil. S’étant bien réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui.

33 Et il advint, comme ceux-ci se séparaient de lui, que Pierre dit à Jésus : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie » : il ne savait ce qu’il disait.

34 Et pendant qu’il disait cela, survint une nuée qui les prenait sous son ombre et ils furent saisis de peur en entrant dans la nuée.

35 Et une voix partit de la nuée, qui disait : « Celui-ci est mon Fils, l’Elu, écoutez-le ».

36 Et quand la voix eut retenti, Jésus se trouva seul. Pour eux, ils gardèrent le silence et ne rapportèrent rien à personne, en ces jours-là, de ce qu’ils avaient vu.

 


Introduction

Au moment où je m’apprête à écrire cette lettre pastorale qui souhaiterait aider, moi et mes fidèles, à bien vivre le passage du millénaire, je sens que beaucoup, trop nombreux sont les thèmes qui frappent à la porte de mon cœur. Je cherche­rai à mentionner au moins les principaux.

En cette année 2000, qui est le seuil entre deux siècles et deux millénaires, alors que nous faisons mémoire du don de l’Incarnation du Fils de Dieu, depuis vingt siècles accomplis, je voudrais avant tout aider à réfléchir à la signification du temps et de l’histoire. A quel point sommes-nous de notre cheminement hu­main ? Comment le don de Dieu qu’est le Seigneur Jésus fut-il accueilli jus­qu’à maintenant ? Comment l’avons-nous accueilli, nous qui croyons en Lui ? Quel sens peut avoir l’entrée dans un nouveau millénaire ? Cette demande prend une coloration particulièrement dramatique du fait des récent événements survenus dans la guerre des Balkans et des haines ethniques qui se sont vio­lemment manifestés : comment est-il possible que ce vingtième siècle s’achève sur une expérience aussi dramatique, comme si nous n’avions rien retenu de la tragique leçon des deux guerres mondiales, des génocides qui furent perpétrés et de la chute des idéologies ?

Le Pape nous demande de faire une difficile méditation sur l’histoire à la lu­mière du mystère trinitaire, qui est le centre et le cœur de la Révélation chré­tienne. Il a voulu que l’année 2000, après les trois années respectivement dé­diées au Fils, Jésus, à l’Esprit Saint et au Père, fût caractérisée par la louange à la Sainte Trinité [4]. Que veut dire contempler ce Mystère dont tout provient et au­quel tout tend ? Comment celui-ci peut-il nous aider à vivre cette fin de siècle et de millénaire avec un peu d’optimisme et de sérénité ?

Cette question se pose, pour nous, dans le contexte de notre monde occidental, qui se caractérise par la démotivation et les lassitudes. Celles-ci viennent, en particulier, quant à la vie civile, de la dénatalité et quant au climat ecclésial, de la crise des vocations. Qu’est-ce qui peut nous donner une paire d’ailes, une nou­velle impulsion pour avancer, un horizon de joie et d’espérance ?

Tout devrait aussi contribuer à faire vivre les nombreuses initiatives promues par le Grand Jubilé au niveau mondial, national, régional et diocésain, non comme une accumulation de rendez-vous et d’activités disparates, mais comme un chemin unifié de pénitence et de conversion. Ce chemin serait parcouru comme un moment lumineux du grand pèlerinage de l’humanité vers le Père.

Stimulé par tant de réalités, j’ai longtemps cherché, avec les divers Conseils diocésains, une parole qui rassemble, une icône qui unifie. Dans cette re­cherche, rendue parfois douloureuse par la multiplicité des thèmes et la difficulté de les nouer d’une manière convaincante, il montait toujours plus dans mon cœur la demande de Dostoïevski dans son roman L’idiot. Cette demande est po­sée sur les lèvres de l’athée Hippolyte s’adressant au prince Mychkin : « [5]. Le prince ne répond pas à la demande, de même qu’un jour, le Nazaréen devant Pilate ne répondit que par sa seule présence à la demande « Qu’est-ce que la vérité ? » (Jn 19,38). C’est comme si le silence de Mychkin – qui, avec une infinie compassion d’amour, se tient à côté du jeune en train de mourir de tuberculose à dix huit ans – veut dire que la beauté qui sauve le monde est l’amour partageant la souffrance.

La beauté dont je parle n’est donc pas la beauté de la séduction, qui éloigne du véritable but auquel tend notre cœur inquiet. Au contraire, elle est la « beauté si ancienne et si nouvelle » que confesse Augustin et qui est l’objet de l’amour puri­fié par la conversion, la beauté de Dieu [6]. C’est la beauté qui caractérise le Pasteur qui nous conduit avec fermeté et tendresse sur les chemins de Dieu. En effet, l’évangile de saint Jean parle « du beau Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis ». (Jn 10,11) [7] C’est la beauté à laquelle saint François d’Assise se réfère lorsque, dans son Cantique au Dieu Très Haut, il invoque l’Eternel en disant : « Tu es la beauté ! » Elle est la beauté dont le Pape a récemment parlé dans sa Lettre aux artistes, en affirmant : « En remarquant que ce qu’il avait créé était bon, Dieu vit aussi que c’était beau [8]. (…) La beauté est en un certain sens l’expression visible du bien de même que le bien est la condition métaphysique de la beauté [9] ». C’est la beauté en face de laquelle « l’esprit est en même temps conscient de son ennoblissement et de son élévation au-dessus de la simple réceptivité à un plaisir par des impressions sensibles [10] ». Elle ne consiste donc pas seulement en une propriété formelle et extérieure, mais est un moment de l’être. C’est à ce moment que font allusion des termes comme gloire (c’est la parole biblique qui dit au mieux la ‘beauté’ de Dieu qui nous est manifestée), splendeur, fascina­tion : c’est ce qui suscite l’attraction joyeuse, la surprise chérie, la donation fer­vente, l’ennamourement, l’enthousiasme. C’est ce que l’amour découvre dans la personne aimée, cette personne qui se comprend comme digne que l’on se donne à elle, par laquelle nous sommes prompts à nous ouvrir et nous réjouir avec liberté (souplesse, légèreté : scioltezza).

Je sens qu’encore aujourd’hui la demande portant sur la beauté nous stimule fortement : « Quelle beauté sauvera le monde ? » Ce n’est pas assez de déplorer et de dénoncer la brutalité de notre monde. Ce n’est pas assez non plus, de parler à notre époque désenchantée de justice, de devoir, de bien commun, de programme pastoral, d’exigence évangélique [11]. On a besoin d’en parler avec un cœur empli d’amour compatissant, en faisant l’expérience de cette charité qui donne avec joie et suscite l’enthousiasme ; il a besoin de rayonner la beauté de ce qui est vrai et juste dans la vie, parce que seule cette beauté prend vrai­ment les cœurs et les tourne vers Dieu. Il est en somme nécessaire de faire com­prendre ce que Pierre a compris en face de Jésus transfiguré : « Seigneur, il est beau que nous restions ici ! » (Mt 17,4) et ce que Paul, citant Isaïe (52,7), sentait face à son devoir d’annoncer l’Évangile : « Qu’ils sont beaux les pieds de celui qui annoncent la Bonne Nouvelle ! » (Rm 10,15).

Pour celui qui se reconnaît aimé de Dieu et s’efforce de vivre l’amour solide et fidèle dans les diverses situations d’épreuve que réservent la vie et l’histoire, alors la vie de cette fin de siècle, de ce temps qui est le nôtre, devient belle. Elle nous apparaît pourtant brutale et déchirante, mais nous cherchons à l’interpeller en ses énigmes douloureuses et troublantes. Il est beau de chercher dans l’his­toire les signes de l’Amour Trinitaire ; il est beau de suivre Jésus et d’aimer son Église ; il est beau de lire le monde et notre vie à la lumière de la Croix ; il est beau de donner la vie pour ses frères ! Il est beau de miser sa propre existence sur Celui qui non seulement est la vérité en personne, qui non seulement est le bien plus grand, mais est aussi le seul qui nous révèle la beauté divine dont notre cœur a une profonde nostalgie et un intense besoin.

L’icône à qui fait référence dans cette lettre pastorale trouve ici sa naissance. C’est l’Icône de la Transfiguration, qui unifie tout ce à quoi j’ai fait appel jus­qu’ici :

– dans les disciples qui grimpent sur la montagne, portant dans leur cœur toutes les inquiétudes et les pesanteurs qui agitent leur histoire personnelle et collective, il est possible de lire les demandes qui sont en nous sur le sens du temps, la recherche de signification qui vient de l’angoisse produite par la vio­lence et toutes les tragédies du xxe siècle ;

– dans les disciples qui vivent sur la montagne la belle expérience de la révé­lation du Père et du Fils bien aimé dans la nuée de l’Esprit, on peut saisir la re­lation entre toutes ces questions et le mystère trinitaire ; cette relation est ca­pable d’aider le besoin de synthétiser notre cheminement ;

– dans les disciples qui redescendent de la montagne, transfigurés dans leur cœur, on peut lire la nécessité pour nous tous d’aller et vivre notre vie de foi, notre activité pastorale et en particulier les initiatives du Jubilé avec une respira­tion ample et avec un élan sincère de conversion et de renouvellement.

La lettre sera donc conçue avant tout comme une relecture de l’épisode de la Transfiguration selon trois moments : l’ascension de la montagne, la révélation sur la montagne, la redescente de la montagne. Par dessus tout dominera le thème de la beauté de la révélation trinitaire qui résulte du récit synoptique (Mt 17,1-10 ; Mc 9,2-8 ; Lc 9,28-37) placé au début de la lettre.


Intermède méthodologique

Arrivé à ce point, il serait temps de commencer l’exposé, mais il y a encore une chose qui me tient à cœur. Je me demande : comment faire participer ceux qui li­ront cette lettre à ma recherche et à mes fatigues pour l’écrire ? Comment faire pour que cette connaissance ultérieure de la Trinité, vers laquelle tend la lettre, soit une véritable expérience spirituelle ? Un simple exposé de la doctrine que l’on peut trouver dans tout catéchisme ne suffit pas [12]. Le mystère trinitaire de­mande de s’impliquer, voire en acceptant la souffrance.

En effet, il y a diverses approches du mystère de la Trinité. La plus classique considère Dieu dans son mystère d’unité et de multiplicité, étudie les relations entre les personnes et recueille avec fruit une certaine réflexion, au sujet de cette multiplicité-communion, dans la communauté humaine, à commencer par la famille. La Trinité apparaît comme un modèle de relations entre les personnes et peut motiver une juste manière d’appréhender la société et, par-dessus tout, l’Église.

Aujourd’hui, l’approche plus habituelle est historique et sotériologique [13] : la Trinité se manifeste dans la succession des événements du salut dont le centre est le mystère de l’Incarnation. Dieu se révèle Père en nous envoyant le Fils ; le Fils révèle son unité avec le Père en s’abandonnant à Lui et à sa volonté jusqu’à la mort ; l’Esprit est donné par le Fils et en continue la présence auprès des hommes. Ainsi, à partir du mystère pascal, Dieu se montre Père, Fils et Esprit Saint.

Parcourant ces divers modes d’approches, qui, loin de s’exclure, sont complé­mentaires, j’ai senti comme un besoin d’entrer dans un chemin de connaissance plus personnel, comme par une certaine connaturalité. Une connaissance de la Trinité qui signifie aussi un pas en avant dans la foi, l’espérance et la charité ; qui coûte quelque chose, qui exprime un dépassement de soi pour laisser un es­pace à la connaissance de Dieu. Une connaissance qui soit une clé de lecture « bel et bien achetée » (cf. 1Co 6,20 et 7,23) d’une part du temps et de la significa­tion des vicissitudes humaines, et d’autre part de mon propre moi et du « nouvel aujourd’hui » de l’Église. S’il est vrai qu’une connaissance de Dieu purement « objective » est impossible, mais qu’on ne peut le connaître qu’en entrant en rela­tion et en se donnant, le chemin d’accès est celui même de Jésus, qui aime et se donne sans retour.

L’entrée dans le mystère de la Trinité à partir du Fils dont on parle est donc un mouvement spirituel qui implique toute la personne. Jésus lui-même a dit : « Personne ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler ». (Mt 11,27) Il faut donc entrer dans l’expérience du Fils.

Cette expérience s’exprime surtout en deux moments : dans la gratitude et dans l’abandon. Le moment de la gratitude est exprimé dans des textes comme Mt 11,25 : « Je te bénis, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre » ou comme Jn 11,41 : « Père, je te rends grâce de m’avoir écouté ». Il s’agit de participer à la gratitude de Jésus qui reçoit tout de son Père et en toutes choses trouve l’occasion de le louer. En vivant dans un esprit de reconnaissance et de joie filiale pour tout ce que nous recevons et aussi pour ce qui contrarie nos attentes, nous entrons dans cette connaissance que Jésus a du Père et nous vivons en Lui quelque chose du mystère trinitaire.

Le moment de l’abandon est exprimé dans des textes comme Mt 26,39 : « Non comme je veux mais comme tu veux », et comme Lc 23,46 : « Père, entre tes mains je remets mon esprit », lu à la lumière de Mt 27,47 : « Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-tu abandonné ? » Alors Jésus exprime le sommet de sa confiance to­tale dans le Père, dont il se sent pourtant comme abandonné. C’est en entrant dans l’intimité du cœur du Christ par une expérience semblable à la sienne, en éprouvant les sentiments du Fils, que nous pouvons dire que nous connaissons un peu plus le Père. A certains moments, dans la vie, une telle expérience re­quiert une donation de soi héroïque. Nous sentons alors plus clairement qu’il ne nous appartient pas de vivre de tels sentiments, mais que c’est l’Esprit Saint qui les suscite à l’intérieur de notre cœur. Nous faisons alors dans notre vie l’expé­rience que Jésus fait et du Père et de l’Esprit. La Trinité n’est plus alors un théo­rème abstrait ou une simple succession d’histoires, mais quelque chose que nous éprouvons à l’intime de nous-mêmes et qui nous fait vibrer à l’unisson avec le mystère divin. Partant de ce centre spirituel, il devient possible de considérer à nouveaux frais les questions sur le monde et sur l’histoire : non pas pour avoir des réponses encore une fois théoriques et à distance de nous, mais pour deviner quelle doit être notre participation à cette passion d’amour et de miséricorde par laquelle la Sainte Trinité a créé le monde et l’a aimé en vue de la conduire à sa plénitude.

Toute cette lettre pastorale a été vécue, avant d’être écrite, en se laissant conduire par l’Esprit pour entrer dans le cœur du Fils et ainsi connaître le Père. Je n’ai pas d’autre but, en la diffusant, que d’aider chacun à accomplir ce che­min.

Nous sommes donc prêts à entrer dans la lectio divina de l’épisode de la Transfiguration de Jésus.


1. Quelle Beauté sauvera le monde ? La montée au Thabor et les demandes des disciples

Les apôtres que Jésus invite à monter avec lui sur la montagne, six jours après l’annonce d’une manifestation prochaine du Fils de l’Homme (cf. Mt 17,1), por­taient avec eux la question toujours plus grave qui venaient d’émerger dans leur cœur. Se tenant avec Jésus et se préparant à confronter leur précédente vision de la vie et de l’histoire avec tout ce que Lui venait de faire et d’enseigner, ils se demandaient : de quelle manière ce Maître, qui exerce une telle fascination, cor­respond à la promesse de Dieu relative au salut de son peuple ? Comment un homme si bon et si doux peut-il mettre de l’ordre dans un monde si mauvais ? et que signifie cette destinée d’échec et de mort dont il vient de parler (cf. Mt 16,21-23) ?

Telles sont les demandes que, nous, chrétiens, sentons émerger à nouveau en cette fin de siècle et de millénaire : comment la douce beauté du Crucifié res­suscité peut-elle porter le salut à cette humanité cynique et cruelle ?

C’est l’interrogation que Dostoïevski mettait dans la bouche d’Hippolyte il y a un siècle et qui retentit aujourd’hui sous diverses formes. Par exemple :

– dans le grand scénario de l’histoire, où la guerre des Balkans a rouvert des blessures dont certains pensaient, en Europe, qu’elles avaient été écartées pour toujours ;

– dans la fatigue et la lassitude que souvent les croyants éprouvent aussi entre eux à rendre raison, avec enthousiasme et conviction, de l’espérance qui est en eux face au mal présent dans le monde ;

– dans le découragement qui tente un peu tout le monde face à la banalité du quotidien et de tant de formes de laideur de la vie et dans l’incapacité à y lire un renvoi à quelque chose de plus grand, qui vaut la peine de se dépenser.

a) Le scénario du temps : le siècle le moins court

Les événements de 1999 dans les Balkans ont comme fait chanceler le juge­ment diffus selon lequel ce siècle était le « siècle court » (Eric Hobsbawm), conclu avec l’année fatidique de 1989. Ce qui semblait ne pas pouvoir se répéter des atrocités du xxe siècle reparaît : guerres, génocides, destructions et morts. Le siècle qui semblait se clore avec la crise des idéologies se retrouve traversé par des enfermements et des oppositions idéologiques analogues à celles des deux guerres mondiales ou des longues décennies de la guerre froide : en ce sens, on pourrait dire que notre siècle est « le siècle le moins court ». C’est le siècle dans lequel les idéologies que l’on croyait finies continuent en réalité à nous influen­cer, avec leur logique d’opposition, les options des individus et des peuples, conduisant à de nouvelles et terribles violences. Nous savons en fait que ce qui est advenu dans les Balkans n’est pas une des tragédies qui ensanglantent tant d’autres pays, par-dessus tout l’Afrique.

Au seuil de l’année jubilaire – où nous sommes invités à vivre comme une contemplation du déroulement du temps dans le sein de la Trinité –, il semble donc que reviennent les dramatiques demandes de toujours, enracinées dans la souffrance humaine : quel sens présente l’histoire ? comment Dieu se révèle-t-il dans la tragédie ? pourquoi le Père des miséricordes semble-t-il se taire face aux souffrances de ses créatures ? pourquoi permet-il qu’à travers elles la vie ??? soit si odieuse et si violente ?

b) Le scénario du cœur : la fatigue de conjuguer le salut et l’histoire

Ce qui semble s’imposer à la méditation de notre foi, c’est l’effort pour conju­guer l’aujourd’hui de la douleur humaine à l’aujourd’hui du Dieu Sauveur, dont le Jubilé célèbre les 2000 années de la naissance dans le temps. Une lecture synthétique de ces vingt siècles, dont le potentiel tragique semble se résumer dans les récentes guerres, cherche la lumière dans la Révélation de l’amour trini­taire qui s’accomplit dans la Pâque (le mystère pascal) de la résurrection du Crucifié. La Pâque révèle le sens de l’histoire : une histoire orientée vers la vic­toire finale de Dieu, dont la Résurrection du Crucifié est l’anticipation et la pro­messe. Cependant, il semble que dans le cœur des croyants, elle soit bien fatiguée pour rendre raison de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3,15).

Il est donc urgent d’écouter la parole proche et consolante de Dieu, révélée à Pâques : c’est là que Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique (cf. Jn 3,16) ; c’est là que le Père se révèle comme amour dans le geste suprême du sacrifice de Jésus (cf. 1 Jn 4,8 s). C’est face à cet amour que chacun de nous peut faire sienne la parole de Pierre sur la montagne face à la Révélation de la Trinité : « Il est beau pour nous de demeurer ici ». C’est dans cet amour révélé sur la Croix qu’il est possible de reconnaître et de montrer à tous – croyants et non-croyants en recherche – la beauté qui sauve et qui s’offre comme lumière et force même dans le fragment désorienté et douloureux de notre présent.

C’est dans la « contemplation » du mystère pascal que je trouve comme un « chiffre », une clé de lecture de mon chemin épiscopal durant ces vingt années. Nous avons voulu nous exercer à contempler l’histoire à la lumière de la Trinité et la Trinité dans la trame des événements de ce monde.

c) Les négations de la beauté et la demande sur le sens de la vie et de l’histoire

Ce qui nous pousse à chercher avec tant d’intensité la beauté de Dieu révélée à Pâques est aussi son contraire, à savoir la négation de la beauté. La vraie beauté est partout niée et le mal semble triompher. Partout la violence et la haine prennent la place de l’amour et la vexation celle de la justice. Mais la vraie beauté est aussi niée où il n’y a plus de joie, spécialement là où le cœur des croyants semble s’être arrêté à l’évidence du mal, où il manque l’enthousiasme de la vie de foi et où la ferveur de celui qui croit et sui le Seigneur de l’histoire ne rayonne plus.

Il est vrai que, arrivé à ce point, un lecteur de bonne volonté pourrait dire : mais moi, qui pourtant voudrais aimer le Seigneur, suis-je certain de le rayonner ? Il y a tant de souffrances physiques, psychiques et spirituelles qui appesantissent la vie et donnent l’impression de ne pas savoir communiquer la joie de l’Évangile. Toutefois celui qui lit dans votre cœur y déchiffre au fond une paix qui est le té­moignage silencieux du sens d’une vie donnée au Christ.

Mais je parle ici de cette négation de la beauté qui est souvent subtile et enva­hissante et habite la vie des croyants et des non croyants : c’est la médiocrité qui progresse, le calcul égoïste qui prend la place de la générosité, l’habitude répé­tée et voulue qui se substitue à la fidélité vécue comme nouveauté continuelle du cœur et de la vie. Comme croyants, nous devons nous demander si l’Église que nous construisons chaque jour est belle et capable de rayonner la beauté de Dieu. Ceux qui se sont préparés à une fidélité mutuelle dans l’amour conjugal se demanderont si, au-delà des poids inévitables de la vie, transparaît quelque chose de la beauté de leur don réciproque. De même, les prêtres et les consa­crés s’enquerront de savoir si parfois l’habitude ou les immanquables désillusions, n’ont pas éteint l’enthousiasme des débuts. Aucune négation de la beauté n’est aussi triste que celle qui provient de la personne qui a été appelée par toute sa vie à être le témoin de l’Amour crucifié, et donc l’Apôtre de la Beauté qui sauve.

Avant de conclure cette première partie, je sens qu’une autre interrogation af­fleure dans mon cœur. Dans quelles conditions nos enfants et adolescents sont-ils appelés aujourd’hui à recueillir la beauté de Dieu et de la vie selon l’Évangile ? Comment pouvons-nous, dans un monde consumériste, où il semble que l’on peut tout acheter avec de l’argent, ne pas nous laisser tromper par ce qui est éphémère et, en revanche, nous décider pour ce qui vaut et coûte un sacrifice ? Comment leur faire comprendre que la vocation à la beauté passe par une cou­rageuse ascèse de l’esprit et du cœur ? Pensons au « beau témoignage » (cf. 1 Tm 6,13) de Celui qui a donné la vie par amour de chacun de nous. Reflété dans les pages de l’Écriture, assimilé dans la lectio divina et incarné dans la vie de tant de témoins de notre temps (du Père Kolbe à Gianna Beretta Molla et Mère Teresa de Calcutta…), il est tout autant capable aujourd’hui de vaincre les conditionne­ments de notre temps et d’enthousiasmer pour la vraie beauté de Dieu.


2. La Révélation de la Beauté qui sauve : la Transfiguration, la Trinité et le mystère pascal

Nous sommes donc montés sur la montagne en compagnie des trois disciples à côté de Jésus, portant avec nous leur demande et la nôtre. Que va maintenant répondre le Seigneur ? En réalité, sur la montagne, Jésus ne nous parle pas : il est transfiguré ! « Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls, à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux et ses vêtements devinrent resplendissants, d’une telle blancheur qu’aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte. Elie leur apparut avec Moïse et ils s’entretenaient avec Jésus. Alors Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : ‘Rabbi, il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie.’ » (Mc 9,2-5). Le récit de Luc dit aussi que les deux personnes participent de la beauté de Jésus : « apparus dans la gloire » (Lc 9,31).

Dans la Bible, la montagne est le lieu de la révélation, nouveau Sinaï où Dieu parle à son peuple. Jésus est la Loi en personne, la Torah faite chair, qui se manifeste dans la splendeur de la lumière divine : il est la Vérité vivante, attestée par deux témoins par excellence, Moïse et Elie, figures de la Loi et des Prophètes. Cette expérience apparaît aux disciples non seulement vraie et bonne, mais aussi belle : c’est la fascination de la vérité et de la Beauté, c’est la beauté de Dieu qui s’offre à eux. Le récit de la révélation mystérieuse de la Trinité parle de cette Beauté : « Et une nuée survint qui les prit sous son ombre, et une voix partie de la nuée : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le.’ » (v. 7) L’ombre et la nuée sont la figure de l’Esprit de Dieu. La voix est celle du Père et Jésus est désigné comme le Fils, l’Aimé : la Trinité est donc révélée aux disciples. La Beauté à laquelle l’exclamation de Pierre fait référence est donc celle de la divine Trinité.

Le récit de Luc indique expressément ce qui achève la pleine révélation de la Trinité : l’événement pascal. « Ils parlaient de son départ [14], qu’il allait accomplir à Jérusalem ». (Lc 9,31) Dans les autres Évangiles synoptiques, l’allusion à cet événement se produit au moment de la descente : « Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : ‘Ne parlez à personne de cette vision, avant que le Fils de l’homme ne ressuscite d’entre les morts.’ Et les disciples lui posèrent cette question : ‘Que disent donc les scribes, qu’Elie doit venir d’abord ?’ Il répondit : ‘Oui, Elie doit venir et tout remettre en ordre ; or, je vous le dis, Elie est déjà venu, et ils ne l’ont pas reconnu, mais l’ont traité à leur guise. De même le Fils de l’homme aura lui aussi à souffrir d’eux.’ » (Mt 17,9-12)

La mort et la résurrection du Fils de l’homme sont donc le lieu où la Trinité se révèle définitivement au monde comme l’amour qui sauve : « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime d’expiation pour nos péchés ». (1 Jn 4,10)

La Transfiguration nous permet alors de reconnaître dans la révélation de la Trinité la révélation de la « gloire » et renvoie à l’accomplissement plénier d’une telle révélation dans la suprême livraison de l’amour qui se réalise sur la Croix. C’est lui « le plus beau des enfants des hommes » (Ps 44,3) qui s’offre – sous les traits paradoxaux de son contraire – comme « homme des douleurs […] devant qui on se voile la face ». (Is 53,3) La Beauté est l’Amour crucifié, révélation du cœur divin qui aime : du Père source de tout don, du Fils livré à la mort par amour de nous, de l’Esprit qui unit le Père et le Fils et est répandu sur les hommes pour conduire ceux qui sont loin de Dieu vers les abysses de la charité divine.

Nous accompagnons alors les disciples dans le chemin que Jésus leur a mon­tré sur la montagne : nous contemplons avec eux la gloire de Dieu, la divine beauté dans la Croix et la Résurrection du Fils, du Vendredi Saint – l’heure des ténèbres où la Beauté est crucifiée – jusqu’à la splendeur du jour de Pâques. Je voudrais que ce chemin ne se limite pas à une succession de souvenirs bi­bliques, mais représente comme un parcours de feu, où nous entrions par déci­sion personnelle et ensemble, avec crainte et tremblement, en nous laissant brûler à la flamme divine.

a) La Beauté crucifiée : le Vendredi Saint et l’aujourd’hui de la dou­leur de l’homme

La Croix est la révélation de la Trinité à l’heure de la « livraison » et de l’abandon : le Père est Celui qui livre le Fils à la mort pour nous ; le Fils est Celui qui se livre par amour pour nous ; l’Esprit est le Consolateur lors de l’abandon du Fils, il est livré par lui au Père à l’heure de la Croix (« Et inclinant la tête, il donne l’Esprit » : Jn 19,30 ; cf. He 9,14) et par le Père au Fils à la Résurrection (cf. Rm 1,4). Sur la Croix, la douleur et la mort entrent en Dieu par amour de ceux qui sont sans Dieu : la souffrance divine, la mort en Dieu, la faiblesse du Tout-Puissant sont, autrement, des révélations de Son amour pour les hommes. C’est cet amour, tout à la fois in­ouï et doux, qui, attirant, nous entraîne et nous fascine, amour qui exprime la vraie Beauté qui sauve. Cet amour est un feu dévorant, auquel nul ne résiste si­non par une incrédulité obstinée ou un refus persistant à se mettre en silence devant son mystère, refus de la « dimension contemplative de la vie ».

Assurément, le Dieu chrétien ne donne pas une réponse théorique à la ques­tion sur le pourquoi de la souffrance du monde. Simplement, il s’offre comme le « gardien », le « sein » de cette douleur, le Dieu qui ne laisse perdre aucune larme de Ses fils, car il les fait Siennes. C’est un Dieu proche, qui, dans la proximité, révèle Son amour de miséricorde et Sa tendresse fidèle. Il nous invite à entrer dans le cœur du Fils qui s’abandonne au Père et à éprouver ainsi notre présence dans l’intimité du Mystère même de la Trinité.

Le Fils est le grand compagnon de la souffrance humaine, celui qui nous est donné de reconnaître dans toutes les souffrances, surtout celles qui arrivent aux « innocents » : que l’on songe à la force de ce motif de la « souffrance de l’innocent » dans l’œuvre inlassable d’un don Carlo Gnocchi pour ses « mutilés ». Le visage « devant qui on se voile la face » (Is 53,3) nous apparaît comme un beau visage, celui que Mère Teresa de Calcutta contemplait avec tendresse dans les pauvres et les mourants.

b) La splendeur de la Beauté : Pâques et le salut du monde

A Pâques resplendit la Beauté qui sauve, la charité divine répandue sur le monde. Dans le Ressuscité, comblé de l’Esprit de vie par le Père, la victoire sur le pouvoir de la mort s’accomplit et nous est présentée la figure de l’Homme nouveau, qui est dans la plénitude selon le projet de Dieu. Il s’accomplit aussi le suprême « exode » de Dieu vers l’homme et de l’homme vers Dieu ; cette ouver­ture à l’autre que soi, à laquelle aspire le cœur humain, s’actualise. Si, dans la foi, nous faisons nôtre l’événement pascal, nous sommes aussi entraînés dans ce vortex qui nous invite à sortir de nous-mêmes, à nous oublier, à goûter la beauté du don gratuit de soi [15].

c) La rencontre avec la Beauté qui sauve : les récits des apparitions

La révélation de la Trinité comme la Beauté divine qui sauve rejoint la vie des disciples dans les rencontres dont témoignent les récits des apparitions. Dans la variété chronologique et géographique de ces scènes, il émerge une structure récurrente : c’est le Ressuscité qui prend l’initiative de se montrer vivant (cf. Ac 1,3). La rencontre vient à nous de l’extérieur, à travers un geste et une parole qui nous rejoignent et qui sont aujourd’hui le geste et la parole de l’Église annon­çant le Ressuscité. Gestes et paroles qui suscitent une surprise joyeuse, exultant de la gloire du Ressuscité, consolation de se sentir si aimé, volonté de se donner à Celui qui nous appelle à participer à la plénitude de sa vie, désir de crier l’heu­reuse confession de foi : « C’est le Seigneur » (Jn 21,7) ; « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28)

Le Ressuscité invite celui qu’Il a rencontré à être son témoin : la ren­contre pascale change la vie de celui qui l’expérimente. Les fuyards peureux du Vendredi Saint deviennent les témoins courageux de Pâque, jusqu’à donner leur vie pour confesser leur Seigneur. Sa splendeur a vraiment saisi leurs cœurs et fait d’eux les annonciateurs du don de Dieu : ayant fait l’expérience du salut et ayant goûté la beauté et la joie, ils éprouvent le besoin irrépressible de porter aux autres le don reçu.

Transfigurés par l’amour qui sauve, les disciples deviennent les témoins de cette transfiguration : la beauté qui les a saisis eux-mêmes, devient la beauté qui les pousse à donner à tous gratuitement tout ce qui leur a été gratuitement donné.

d) Le « beau Pasteur » et l’Église de l’amour

Etre témoins de la Beauté qui sauve vient de ce que l’on en fait une expérience continue et toujours nouvelle : c’est ce que Jésus lui-même fait comprendre lorsque, dans l’Évangile selon saint Jean, il se présente comme le « beau Pasteur » (selon l’expression de l’original grec, même si on préfère habituellement traduire « le bon Pasteur »). « Je suis le beau pasteur. Le beau pasteur donne sa vie pour ses brebis. […] Je suis le beau pasteur, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et je connais mon Père ; je donne ma vie pour mes brebis ». (Jn 10,11.14) La beauté du Pasteur tient à l’amour avec lequel il s’offre lui-même à la mort pour chacune de ses brebis et établit avec chacune d’entre elles une re­lation directe et personnelle d’amour très intense. Cela signifie que l’expérience de sa beauté se fait lorsqu’on se laisse aimer par Lui, qu’on livre son propre cœur pour qu’il soit inondé de sa présence et qu’à l’amour ainsi reçu corres­pond l’amour que Jésus même nous rend capable d’avoir (en retour).

Le lieu où cette rencontre du bel amour vivifiant avec le Pasteur est possible, c’est l’Église : c’est en elle que le beau Pasteur parle au cœur de chacune de ses brebis et rend présent dans les sacrements le don de sa vie pour nous ; c’est en elle que les disciples peuvent toucher par la Parole, par les événements sa­cramentels et la charité vécue dans la communauté, la joie de se sentir aimés par Dieu, gardés avec le Christ dans le cœur du Père. En ce sens, l’Église est l’Église de l’Amour, la communauté de la Beauté qui sauve : en faire partie par une adhésion pleine d’un cœur qui croit et qui aime est l’expérience de la joie et de la beauté, que personne au monde ne peut donner de cette manière. Être appelés à servir cette Église avec la totalité de sa propre existence, dans le sa­cerdoce et la vie consacrée, est un don beau et précieux, qui nous fait nous ex­clamer : « Le cordeau me marque un enclos de délices, et l’héritage est pour moi magnifique ». (Ps 16,6) [16]

Une confirmation de ceci nous vient de la vie des Saints : ceux-ci, non seule­ment ont cru au « beau Pasteur » et l’ont aimé, mais, par-dessus tout, se sont lais­sés aimer et modeler par lui. Sa charité est devenue la leur ; sa beauté s’est in­fusée dans leurs cœurs et a rayonné dans leurs gestes.

Lorsque l’Église de l’amour actualise pleinement son identité de communauté rassemblée par le « beau Pasteur » dans la charité divine, elle s’offre comme une « icône » vivant de la Trinité et annonce au monde la beauté qui sauve. Cette beauté est l’Église qui nous a engendrés à la foi et a continuellement rendu notre cœur beau grâce à la lumière de la Parole, le pardon de Dieu et la force du pain de vie. Elle est l’Église que nous voulons être, nous ouvrant à la splendeur qui rayonne d’en haut afin que celle-ci – en demeurant dans notre communauté – attire le « pèlerinage des peuples ». Telle est la superbe vision du salut final qu’offrent les Prophètes : « Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie en tête des montagnes et s’élèvera au-dessus des collines. Alors toutes les nations afflueront vers elle, alors viendront des peuples nombreux qui diront : ‘Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob, qu’il nous enseigne ses voies et que nous suivions ses sentiers.’ » (Is 2,1-3 ; cf. Mi 4,1-3; Za 8,20 s ; 14,16 ; Is 56,6-8 ; 60,11-14). A travers le peuple du « beau Pasteur », la lumière du salut pourra rejoindre beau­coup en les attirant à lui et sa beauté sauvera le monde.


3. Témoins de la Beauté qui sauve. La descente de la montagne et l’invitation « Relevez-vous et ne craignez pas ».

La réaction des disciples au don de la transfiguration est de s’arrêter à la beauté dont ils ont fait l’expérience : « Maître, il est beau pour nous d’être ici. Dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ». (Lc 9,33) Pourtant, la beauté ne peut être possédée, elle est un don et, comme telle, elle est donnée, on ne peut la retenir. Aux disciples prosternés en adoration et saisis d’une grande crainte, Jésus, s’avançant et les touchant, dit : « Relevez-vous et ne craignez pas » (Mt 17,7) Nous sommes invités à reprendre sans peur le chemin, à des­cendre de la montagne vers la vie ordinaire et à entreprendre le grand voyage qui conduira le Fils de l’homme à Jérusalem pour accomplir sa propre destinée.

Nous sommes aussi invités à suivre notre pèlerinage vers la Jérusalem du ciel sans peur, sachant qu’Il est avec nous et que, grâce à cela, la vie est belle et qu’il est beau de s’engager pour le Royaume. Nous sommes invités à accueillir, annoncer et vivre avec tous la Beauté qui sauve. Actualisant pour notre aujourd’hui cette réflexion, nous pourrons dire que redécouvrir la beauté de Dieu signifie redécouvrir les raisons de notre foi face au mal qui dévaste la terre et les motivations profondes de notre engagement au service de tous, pour la gloire de Dieu. Celui qui fait l’expérience de la Beauté apparue sur le Thabor et reconnue dans le mystère pascal, celui qui croit à l’annonce de la Parole de la foi et se laisse réconcilier avec le Père dans la communion de l’Église, découvre la beauté d’exister à un niveau que rien ni personne au monde ne pourrait lui donner.

De cette Beauté qui vient d’en haut, le disciple de Jésus doit se nourrir et tou­jours de nouveau s’en faire le messager, pour la partager avec ceux qui ne la connaissent pas et avec qui sous des formes diverses il est en recherche. L’invitation nous rejoint tous particulièrement en cette année de grâce et de re­nouvellement qu’est l’année jubilaire 2000. Pour cela, au nom de Jésus Crucifié et Ressuscité, je voudrais vous dire à tous la parole qui retentit sur le Thabor : « Relevez-vous et ne craignez pas ! » Je vous invite à faire l’expérience du don de Dieu, vraie beauté qui sauve, à l’annoncer par la parole et la vie afin de partager avec tous la splendeur du vrai et du bien, qui est la lumière de la Beauté divine.

Conforté par l’icône de la Transfiguration qui m’a conduit à contempler avec vous la révélation de la Trinité et de Sa beauté dans le triduum [17], j’aimerais m’exclamer avec vous : « Seigneur, il est beau pour nous de demeurer avec Toi ». Cela avec le désir de trouver une incitation dans cette expérience de grâce à vivre notre vocation et la mission avec une joie toujours plus grande. En particu­lier, je voudrais rappeler à mes frères dans le ministère ordonné les paroles avec lesquelles l’apôtre Paul dessine la tâche qui nous est confiée : « Nous sommes les collaborateurs de votre joie » (2 Co 1,24). Et à tous les consacrés, nous rappe­lons ce que leur dit Jean-Paul II, à partir, justement, de l’épisode de la Transfiguration : « La personne (Ep 5,27) [18] ».

a) Faire l’expérience de la Beauté qui sauve : conversion et réconci­liation

Faire l’expérience de la Beauté qui sauve signifie avant tout vivre le chemin de la foi, spécialement dans la prière personnelle et liturgique vécue comme prière en Dieu, dans l’Esprit, par le Fils allant au Père et recevant tout de Lui dans la paix. C’est l’expérience de se reconnaître aimé et sauvés, éperdument confiés au Dieu vivant, nés avec le Christ dans les relations d’amour de la Trinité. On accède à une telle expérience à travers la conversion du cœur et la réconciliation avec Dieu et avec la communauté.

La Beauté de la charité divine – une fois expérimentée au fond du cœur – ne peut pas ne pas conduire à un dépassement de l’individualisme, pourtant si ré­pandu, même parmi les chrétiens. Nous venons, conduits à redécouvrir la valeur du « nous » dans notre vie, tant au niveau des communautés ecclésiales que dans les communautés familiales singulières et sous toutes les formes où, comme croyants, nous nous trouvons à vivre la relation avec les autres. En particulier, la beauté de la communion devra resplendir dans la communauté des consacrés et des consacrées qui, par leur vocation, sont appelés à être une icône de la com­munion de toute l’Église, fondée dans la communion de la Trinité divine.

Celle-ci devra resplendir aussi dans la liturgie. Tant est importante une célébra­tion liturgique qui, dans ses temps, ses gestes, ses paroles et ses objets cultuels reflète quelque chose de la beauté du mystère de Dieu !

Chaque fois, dans le cœur de la célébration eucharistique, l’exclamation « mys­tère de la foi » jaillit de la stupeur consciente de l’orant, quand la splendeur de la vérité se manifeste à lui dans la plénitude. Après avoir accompli ce que le Seigneur Jésus a commandé aux Apôtres de refaire « en mémoire de Lui », les yeux de la foi s’ouvrent, comme ceux des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,30-31) et nous confessons avec stupeur et gratitude le « mystère de la piété » (1 Tm 3,16). La Beauté se révèle dans le mystère du Christ qui culmine à Pâques : la célébration eucharistique en constitue le mémorial. L’exigence de célébrer bien s’enracine dans cette conviction. Les rythmes de la parole, silence, chant, musique, action dans le déroulement du rite liturgique contribuent à cette expérience spirituelle [19].

b) Annoncer la Beauté qui sauve

En cette fin de siècle et de millénaire, la rencontre avec la Beauté donne une nouvelle impulsion à la passion missionnaire sous toutes ses formes : proclamer la beauté de la Trinité divine, éduquer à en faire l’expérience, témoigner de la charité qui en découle et de l’effort pour la justice, former les jeunes à ces va­leurs, sont autant de devoirs qu’exige la « descente de la montagne ».

L’itinéraire jubilaire présente une façon particulière de vivre cette annonce de la Beauté qui sauve, avec ses cinq moments : spirituel, ecclésial, caritatif, pénitentiel et marial [20].

L’art est aussi une annonce de la Beauté qui sauve. [21]

Je souligne en particulier la signification des œuvres architecturales et de l’ico­nographie sacrée. Désirer qu’elles naissent avec l’empreinte de la beauté res­pecte leur fonction première : témoigner de l’irruption de la grâce divine dans notre quotidien. Les œuvres architecturales et d’iconographie sacrée désuètes et répétitives, qui ne s’efforcent pas de respecter la volonté de notre Synode 47 [22], ne sont pas en état de susciter l’émotion propre au mystère auquel elles font allu­sion, n’émeuvent ni ne portent à la louange. Tout au contraire, elles devraient être une flèche lancée à notre intériorité, dans la langue de la beauté, un support pour la contemplation.

c) Partager avec tous la recherche et le don de la Beauté

Se mettre à l’écoute des vraies questions du cœur humain, c’est recueillir les nostalgies de la beauté, afin que celle-ci soit présente, sur notre chemin de recherche commune de la Beauté qui sauve. C’est un devoir urgent de vivre l’élan œcu­ménique, le dialogue interconfessionnel et interreligieux, pour respecter et promouvoir tous ensemble la Beauté comme justice, paix et sauvegarde de la création. On pourra ici valoriser l’expérience du dialogue avec les non-croyants quelle forme de recherche commune de la Beauté qui sauve.

Partager le don de la Beauté signifie en outre vivre la gratuité de l’amour : la charité est la Beauté qui rayonne et transforme ceux qu’elle rassemble. Dans la charité, il n’y a pas de relation de dépendance entre celui qui donne et celui qui reçoit, mais un changement dans la commune participation au don de la Beauté cru­cifié et ressuscité, de l’Amour divin qui sauve. Alors, je redécouvre la valeur de l’autre et du différent, compris sur le modèle des relations liant les trois Personnes divines : l’autre non pas comme concurrent ou dépendant, mais comme richesse et grâce dans la diversité.

d) Vivre l’amour jubilaire dans l’unité des trois dimensions sacramen­telle, prophétique et caritative

L’unité de ces trois dimensions – celle de l’expérience sacramentelle de la Beauté qui sauve, celle de l’écoute de la Parole qui l’annonce et de la proclama­tion de celle-ci, celle du partage dans la charité – a toujours été recherchée. Cependant, elle est une urgence propre et particulière à l’année jubilaire. Elle ne sera pas vécue si elle n’embrasse pas une lecture renouvelée de la vie et de l’histoire à la lu­mière de la Trinité, à l’école de la parole de Dieu proclamée et accueillie, si elle ne se nourrit pas des sacrements de la vie, redécouverts dans toute leur richesse à partir de lieux de rencontre avec la Beauté qui sauve, et si elle ne vit pas l’effort de partager avec tous le don de cette même Beauté. Liturgie et vie spirituelle, catéchèse et évangélisation, dialogue et service de la charité devront connaître dans l’année jubilaire un nouvel élan, motivé par une rencontre renouvelée avec la beauté de Dieu ; on expérimentera l’élan dans cette sorte de Thabor du che­min du temps qu’est l’année 2000 [23].


Conclusion. Méditer dans le cœur l’œuvre de Dieu : l’icône de l’An­nonciation

Nous pouvons nous aider d’une icône biblique pour conclure cette lecture du temps présent à la lumière du mystère pascal, révélation de la Trinité, et mieux dépasser les résistances liées aux nombreuses négations de la beauté : c’est la scène de l’Annonciation (cf. Lc 1,26-38).

Marie est la figure de la croyante qui se tient à l’écoute du mystère de Dieu et de Ses desseins inscrutables : « Comment cela se fera-t-il ? Je ne connais point d’homme ». (Lc 1,34) Elle ne doute pas : elle veut seulement être guidée par le Seigneur sur Ses voies. C’est déjà la femme du Vendredi Saint, où une épée lui transpercera l’âme (cf. Lc 2,35). C’est déjà la Vierge du Samedi saint, seule à garder la foi au moment du silence de Dieu et de Son apparente défaite dans la lutte contre la puissance de ce monde. Pourtant, c’est déjà la femme de la réconciliation, la Vierge que le Très Haut prend sous son ombre pour qu’elle conçoive le Verbe dans la chair, enveloppée dans les relations entre Dieu le Père et le Fils qui se fait présent en elle dans la force de l’Esprit.

En tout, elle s’approche de nous, dans la fragilité de la condition de créature. Dans l’expérience douloureuse d’accompagner son Fils jusqu’à la Croix, Marie est la femme qui, dans le « oui » de sa foi, fait de son aujourd’hui l’aujourd’hui de Dieu. Elle « conservait toutes ces choses et les méditait dans son cœur ». (Lc 2,19), c’est-à-dire – comment pourrait-on mieux traduire le terme grec ? – les mettait en relation les unes avec les autres et le tout avec le mystère de Dieu. A l’An­nonciation, Marie nous enseigne à lire notre aujourd’hui à la lumière de la Trinité qui l’enveloppe. Elle nous apprend à reconnaître dans le déroulement du mys­tère pascal la mystérieuse Beauté qui illumine notre temps et le déroulement to­tal des siècles, spécialement des deux mille années qui nous séparent de la première venue de l’Eternel dans le temps.

Par l’intercession de Marie, Vierge de l’écoute et Mère du Bel Amour, nous de­mandons la capacité de reconnaître en chaque être et en chaque situation de la vie et de l’histoire la présence de l’amour trinitaire de Dieu, gardien de tout ce qui existe. Essayer de vivre une sorte de contemplation pour obtenir l’amour, analogue à celle que propose Ignace de Loyola dans ses Exercices spirituels [24], donne de reconnaître et de confesser dans le présent, en chaque chose, le Dieu Amour dans l’acte de se donner à nous et de s’offrir comme référence ultime de chaque valeur. J’ai cherché à ce que mon service épiscopal au milieu de vous tende à ce regard contemplatif de l’Amour, convaincu qu’il n’y a pas de don plus grand que d’accueillir et transmettre le don de la gloire de Dieu et du regard de­venu capable de la reconnaître et d’en témoigner à chaque instant.


Appendice

Quelques demandes pour la révision de vie personnelle et communautaire

1. Relecture à partir de « Intermède méthodologique »

Est-ce que je sens le désir d’entrer un peu plus profondément et personnelle­ment dans le mystère de la Trinité ? Est-ce que je l’éprouve quelquefois à me mettre dans le cœur du Christ pour rendre grâce au Père en Lui et avec Lui et pour m’abandonner à la volonté du Père aussi aux moments difficiles, confiant dans la grâce du Saint Esprit ?

2. Relecture à partir de « La descente du Thabor et la demande des disciples »

Quelles demandes est-ce que je porte, est-ce que nous portons avec nous en cette fin de millénaire ? Parmi les demandes exprimées en ce chapitre, les­quelles nous touchent le plus ? Portons-nous dans notre cœur d’autres de­mandes d’ordre moral, social, civil et religieux ? Remettons-nous ces demandes face à Dieu, dans la prière, afin de recevoir la lumière; ou bien laissons-nous ce qui pèse au-dedans de nous, sans espérance de réponse ?

3. Relecture à partir de « La transfiguration, la Trinité et le mystère pascal »

Est-ce que j’arrive à contempler dans le Crucifié quelque chose de la beauté de l’amour qui sauve ? Est-ce que je saisis dans les apparitions du Ressuscité la réverbération de la beauté de Dieu, qui touche aussi ma vie depuis le bap­tême ? Dans l’Église, est-ce que je vois seulement les aspects humains, quel­quefois trop humains, qui me dépriment ou est-ce que je cherche à lire la pré­sence du « beau Pasteur » qui guide, malgré toutes nos faiblesses, l’humanité vers la plénitude du Royaume ?

4. Relecture à partir de « Les témoins de la Beauté qui sauve »

Est-ce que je sens comme il est beau de se réconcilier avec Dieu, avec ses frères et sœurs dans la foi, avec la communauté ? Est-ce que je me laisse saisir par la joie d’annoncer l’Évangile ? Qu’est-ce que je fais pour que la liturgie à laquelle je participe soit « belle » et attirante (ce serait déjà beaucoup si tous les fidèles ré­pondaient ensemble et chantaient tous d’une seule voix !) ? Quels engagements relatifs à l’année jubilaire pouvons-nous prendre en personne et en commu­nauté ?

traduction inédite de l’italien  par Pascal Ide

[1] Carlo-Maria Martini, Cardinal Archevêque de Milan, Quale bellezza salverà il mondo? Lettera pastorale 1999-2000, Milano, , Centro Ambrosiano, 1999. Cet opuscule fut traduit : Quelle beauté sauvera le monde ?, Lettre pastorale pour l’an 2000, trad. Gabriel Ispérian, Saint-Augustin, 2000. J’en avais fait la traduction sur l’original italien lorsque le document est sorti. J’en livre ici ma propre traduction.

[2] Denys l’Aréopagite, Théologie mystique, I, 1, cité par Jean-Paul II dans son Allocution de l’Audience générale du 19 janvier 2000, Osservatore Romano, langue française, 25 janvier 2000, p. 12.

[3] Les textes des trois Évangiles dits synoptiques sont donnés par le cardinal Martini en parallèle, comme dans une Synopse. Les traductions des textes de l’Écriture sont empruntés à la Bible de Jérusalem.

[4] Jean Paul II, Lettre apostolique Tertio millennio adveniente sur la préparation du Jubilé de l’An 2000, 10 novembre 1994, n. 55.

[5] Fedor Dostoïevski, L’Idiot, 3e partie, chap. v, trad. Albert Mousset, coll. « Folio », Paris, Gallimard, 1953, p. 464.

[6] Les confessions, L. X, 27, éd. Aimé Solignac, coll. « Bibliothèque augustinienne » n° 14, Paris, DDB, 1962, p.

[7] Les traductions françaises parlent du « bon Pasteur » (BJ, TOB), l’italien aussi. Le cardinal Martini expliquera plus loin les raisons de son choix (NdT).

[8] La note 4 de la lettre du pape ajoute : « La traduction grecque des Septante a bien exprimé cet aspect, en rendant le terme t(o-)b (bon) du texte hébraïque par kalon (beau). (NdT)

[9] Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999, n. 3. Les deux premiers soulignements sont de Mgr. Martini.

[10] Emmanuel Kant, Critique du jugement, I, § 59, Œuvres philosophiques, trad. Jean-René Ladmiral, Marc B. de Launay et Jean-Marie Vaysse, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1985, tome 2, p. 1144.

[11] « Dans un monde sans beauté – même si les hommes ne peuvent se passer de ce mot, et l’ont sans cesse à la bouche en le prostituant – dans un monde qui n’est peut-être pas dépourvu de beauté, mais n’est plus capable de la voir, de compter avec elle, le bien a aussi perdu sa force d’attraction, l’évidence « qu’il doit être accompliî ; et l’homme en face de lui se demande pourquoi il faut le faire plutôt que son contraire, le mal. […] Dans un monde qui ne se croit plus capable d’affirmer le beau, les preuves de la vérité ont perdu leur caractère concluant ». (La Gloire et la Croix. I. Apparition, trad. Robert Givord, coll. « Théologie » n° 61, Paris, Aubier, 1965, p. 17) Toute la trilogie de von Balthasar, c’est-à-dire les huit volumes de La Gloire et la Croix, la Théodramatique et la Théologique, approfondit cette compréhension du mystère de Dieu du point de vue du « beau » et de son expression parfaite dans le Verbe Incarné et dans son Église agissant au sein de l’histoire.

[12] Cf., par exemple, Conférence Episcopale Italienne, La vérité vous rendra libre. Catéchisme pour adultes, 1995, p. 165-180.

[13] Sotériologique vient du terme grec sôter, sauveur : l’adjectif signifie donc « ce qui a rapport avec le salut ».

[14] A noter que le terme grec traduit par « départ » est exodos, c’est-à-dire « exode » (NdT).

[15] La beauté de la Pâques est en même temps totalité, harmonie et splendeur : en elle se trouvent donc ces trois aspects de la beauté que la tradition classique a toujours souligné. Saint Thomas affirme (Somme de théologie, Ia, q. 39, a. 8, c.) : « Puchritudo habet similitudinem com propriis Filii : La beauté présente une similitude avec ce qui est propre au Fils ». Expliquant sa thèse, il ajoute que, pour qu’il y ait beauté, il faut trois choses : la « totalité » (integritas), la « proportion » ou « harmonie » des parties (proportio) et la « splendeur » (claritas). Thomas reconnaît la présence de ces trois éléments dans le Fils : en particulier, le « tout » de la divinité se fait présent et resplendit dans le « fragment » qui est l’humanité du Sauveur. En Jésus, la Beauté se manifeste en tant que Lui – icône parfaite du Père – est la révélation du mystère divin qui se fait connaître et aimer de nous, en même temps, en tant qu’il est la porte qui introduit dans l’abîme de l’amour trinitaire et nous communique cet amour.

Comme l’écrit Jean-Paul II dans la Lettre aux artistes, « en se faisant homme, le Fils de Dieu a introduit dans l’histoire de l’humanité toute la richesse évangélique de la vérité et du bien, et, en elle, a révélé aussi une nouvelle dimension de la beauté : le message évangélique en est totalement rempli ». (n. 5)

[16] Il s’agit de la part des lévites dont le Seigneur est lui-même l’héritage selon le verset d’avant (v. 5). Le cordeau dont il est parlé est la corde d’arpentage. L’italient traduit différemment la première partie du verset, l’allusion au cordeau disparaissant : « Pour moi, le sort est tombé sur des lieux de délice » (NdT).

[17] On appelle Triduum, en latin « Trois jours », les trois jours du mystère pascal, du Vendredi saint au dimanche de Pâques.

[18] Jean-Paul II, Exhortation apostoliqueVita consecrata, n. 19.

[19] Ce chemin d’expérience renouvelée de la Beauté qui sauve se rencontre spécialement dans le don de la grâce que sont les sacrements. C’est dans ce chemin que se situe le propos de valoriser l’itinéraire de l’année liturgique et particulièrement les temps forts autres que l’itinéraire proprement jubilaire. Cela pour arriver, à travers la conversion et la pénitence à redécouvrir la beauté de Dieu et sa signification pour la vie et pour l’histoire. Sur ce point, j’invite tout le monde à utiliser les indications qu’offre l’Instrument de travail pour les Conseils pastoraux, dont le titre est Travailler ensemble 1999-2000, spécialement l’itinéraire pastoral selon l’année liturgique (p. 8-13).

[20] Cf. Travailler ensemble 1999-2000, p. 14-19.

[21] Jean-Paul II, Lettre aux artistes, n. 15.

[22] Cf. Const. 540.

[23] Travailler ensemble 1999-2000 propose des suggestions utiles pour faire de la célébration du Jubilé la grande occasion action ??? de grâce offerte à tous pour rencontrer et vivre le don de Dieu comme un don de réconciliation et de joie.

[24] Ibid., n. 230-237.

12.9.2017
 

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