Du pouvoir à l’autorité (dimanche 31 janvier 2021. 4e dimanche du temps ordinaire, année B)

Aujourd’hui, Jésus apparaît comme celui qui agit et « enseigne avec autorité », nous dit l’évangéliste saint Marc au début et au terme de ce passage (Mc 1,21-28). Pour les Saintes Écritures, qu’est-ce que l’autorité de Jésus ? Pour nous, ses disciples, qu’est-ce que cela nous enseigne ?

 

  1. Quand nous entendons autorité, nous entendons pouvoir, force. Mais ce n’est pas le sens de ce mot dans la Bible ou dans la Tradition.

Un père me racontait l’histoire suivante. Son fils, 4 ans, était en train de s’habiller dans sa chambre. Comme il tardait, il l’appelle : « Est-ce que tu veux que je t’aide ? » Et il entend une petite voix aiguë, mais résolue lui répondre : « Oh, non, papa, maintenant, je fais tout seul ! » Le « papa » commenta : « Quand mon fils a dit cela, je me suis senti partagé. D’un côté, un sentiment de fierté parce qu’il devenait autonome. De l’autre, un pincement au cœur : ça y est, il commence déjà à m’échapper ! » La deuxième réflexion me révèle ce qu’est le pouvoir, la première ce qu’est l’autorité.

En effet, il y a deux manières d’exercer sa puissance, son gouvernement. La première est celle du pouvoir. L’homme de pouvoir est celui qui fait tout. Il est d’autant plus puissant qu’il agit. Si le père avait aidé son fils à s’habiller, il aurait été plus vite et il aurait fait mieux. Mais il aurait perdu une chose immense : le rayonnement de son fils qui un jour deviendra un père. L’homme d’autorité est celui qui pourrait agir, parce qu’il en a toute la puissance, mais qui fait faire. Comme dit Jésus dans un autre passage : « Les grands font sentir leur pouvoir ; pour vous, il ne doit pas en être ainsi ». Dans la perspective du pouvoir, le père fait des fils comme le maître cherche des disciples ; dans la perspective de l’autorité, le père engendre d’autres pères et le maître forme d’autres maîtres qui peut-être le dépasseront en autorité. L’homme de pouvoir est efficace, l’homme d’autorité est fécond. Observez bien que le pouvoir peut s’exercer pour le bien des gouvernés : « C’est pour votre bien », disent tous les gouvernements du monde. Ce n’en est pas moins une conception dictatoriale de la puissance.

De même, il y a deux conceptions de la puissance de Dieu. A l’origine du monde, nous plaçons soit une Force infinie qui s’exerce, soit une bonté infinie qui se communique. De fait, historiquement, l’identification entre la puissance de Dieu et le pouvoir de Dieu s’est opérée à la fin du Moyen-Âge avec Guillaume d’Ockham. Désormais, le premier attribut de Dieu devient sa toute-puissance, qui se trouve découplée de son amour et de sa sagesse. Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le détail historique. Mais cette conception nous a durablement marqués. Au point d’expliquer l’athéisme contemporaine. En effet, combien d’athéismes proviennent de révoltes contre un Dieu qui laisse faire le mal. Ils pensent Dieu soit méchant, soit impuissant. Mais ils confondent le Dieu de pouvoir qui fait passer l’amour après sa puissance, et le Dieu d’autorité, celui qui agit par et avec amour. Ils demandent à Dieu d’être un père qui vient nous habiller au lieu de nous apprendre à nous habiller « tout seul ».

Or, au commencement, dans la Bible, chez les Pères de l’Église et les grands docteurs médiévaux, Dieu est d’abord un Dieu de sagesse et de bonté, et sa puissance est mesurée par elles. Toi qui « as créé toutes choses avec sagesse et par amour », dit la quatrième prière eucharistique. C’est d’ailleurs ce qu’évoque l’étymologie du terme autorité. En latin, auctoritas vient du verbe augere, « augmenter ». Exercer l’autorité, c’est faire grandir celui qui nous est confié. Dans sa trilogie marseillaise, Marcel Pagnol fait dire un moment à César qui prend un enfant et le soulève de terre : « Élever un enfant, c’est l’élever ». Admirable jeu de mots ! Le terme grec utilisé par l’Évangile n’est pas moins éloquent : exousia est composé de la racine ousia, « essence » ou « substance » et du préfixe ex, qui signifie la sortie de. Donc, l’autorité n’est pas la conservation de son pouvoir, mais au contraire, la communication de celui-ci qui n’est rien d’autre que le don de soi.

 

  1. Qu’est-ce que ce juste sens du terme autorité nous enseigne aujourd’hui ?

D’abord, nous avons peut-être à convertir notre regard sur Dieu, à passer du Dieu de pouvoir au Dieu d’autorité. Attention, il ne s’agit pas de jouer l’amour contre la toute-puissance, mais de comprendre que l’amour est toute-puissant. Dieu peut faire tout ce que la nature et l’homme peuvent faire. Infiniment mieux et infiniment plus vite. Toutefois il a décidé de créer non pas des sujets passifs, mais des coopérateurs : « Nous sommes les coopérateurs de Dieu », dit saint Paul (1 Co 3,9). « Je mettrai mes paroles dans votre bouche », disait la première lecture : Dieu veut passer par nous, nos mains, nos bouches, nos cœurs.

Ensuite, Jésus est un homme qui impressionne par son autorité. Redisons-le : l’homme d’autorité, qui est un homme de bonté, n’est en rien impuissant. Ce qu’il donne de faire, il pourrait le faire lui-même. Un homme me racontait qu’il était en plein doute sur la divinité de Jésus. Il entend l’Évangile de la tempête apaisée, celui d’ailleurs que la liturgie proclamait hier (cf. Mc 4,35-41), et voit Jésus qui intime à la mer en furie de s’apaiser. Comme les disciples, il est saisi par la puissance de Jésus, il tombe à genoux, s’exclame : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » Et il confesse la divinité de Jésus, donc sa toute-puissance. Il nous est bon de nous rappeler le premier article du Credo « Je crois en Dieu le père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ». Plus encore, en ces temps si particuliers où le découragement, voire le désespoir peuvent nous tenter, il nous est nécessaire de nous rappeler que rien, absolument rien n’échappe à la puissance et à la providence divines. Dieu est maître de l’histoire comme de l’univers. Et si un doute nous prend, demandons-nous si nous ne croyons pas à un Dieu qui agirait à notre place, donc à un Dieu de pouvoir plus que d’autorité.

Enfin, et c’est le troisième enseignement que j’aimerais tirer des lectures de ce jour, l’autorité de Jésus se caractérise par l’autorité qu’il nous délègue, non pas qu’il nous prête à l’occasion, mais que, véritablement, il nous donne. « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes » (Jn 14,12). Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Trois pistes parmi d’autres.

Tout d’abord, comme lui, Jésus nous donne autorité sur les démons. Oui, cette puissance n’est pas réservée au Christ, comme nous la voyons s’exercer dans l’évangile de ce jour, ni aux seuls exorcistes, ni même aux seuls prêtres. Elle est commune à tous les laïcs qui agissent dans un esprit de foi. Nous pouvons prier pour la délivrance. Le petit exorcisme de Léon XIII, dont nous trouvons le texte sur internet peut être prononcé par les fidèles du Christ. Or, la vie spirituelle est aussi une vie de combat et nous vivons une période particulière de combat spirituel. Nous avons reçu de Jésus l’autorité de chasser les démons qui nous tentent, nous avons reçu l’autorité pour nous délier de ce serpent qui nous strangule et nous pousse à la violence ou à l’abattement. Je ne peux rentrer dans plus de détail, mais vous renvoie aux livres simples, concrets et équilibrés de Neal Lozano, dont le troisième vient juste d’être traduit.

Un autre chemin est celui du jeûne. Il y a des démons que nous ne pouvons chasser « que par le jeûne et la prière », nous dit Jésus (Mc 9,29). Le jeûne exerce un grand pouvoir quand il est effectué non pour des raisons diététiques, mais par amour. Voilà pourquoi les évêques de France ont décidé d’utiliser cette arme pour nous opposer aux lois iniques de bioéthique qui vont bientôt être soumises au vote. Oui, il s’agit d’une arme, mais non violente, comme les manifestations qui vont avoir lieu cet après-midi. Et le jeûne pratiqué dans l’amour et la prière sont d’autant plus efficaces qu’ils s’opposent à une société de consommation pour qui la frustration du moindre besoin est vécue comme un mal absolu. Je l’ai expérimenté la semaine dernière. Une personne me demande de prier pour une situation tendue dans une communauté religieuse. Je réponds que je vais le faire. Alors, me vient l’idée – l’inspiration ? – de sauter un repas à cette intention, donc de jeûner. Aussitôt après, je reçois un mail enthousiaste : « Merci ! ». Je ne pourrai jamais prouver qu’il y a là une relation de cause à effet, que c’est mon jeûne qui a produit cette conséquence heureuse. Mais je crois à la parole de Jésus et à l’autorité qu’il nous a transmise par ces moyens à la portée de tous : la prière et le jeûne.

Enfin, un autre chemin d’autorité est celui de la bénédiction. Jésus, le Verbe, nous donne la parole pour que, comme lui, nous prononcions des paroles bonnes sur les autres, sur le monde, sur nous. Or, « dire du bien », c’est, étymologiquement, bénir. Parents, bénissez vos enfants, imposez-leur les mains en les signant du signe de la Croix ! Époux, bénissez-vous les uns les autres ! Au volant de votre voiture, plutôt que de vous agacer de cet interminable embouteillage et de la conduite d’autrui, bénissez ! Dans la file de la grande surface encore ouverte, au lieu de vous impatienter contre la personne qui cherche son chéquier et contre vous-même qui avez pris la mauvaise file, bénissez ! Dans la rue, au lieu de rêvasser ou d’écouter je ne sais quoi, bénissez !

 

Merci, « Père des lumières de qui vient tout don parfait » (Jc 1,17) de ton autorité qui, par Jésus, dans l’Esprit, nous rend féconds. Augmente la foi en cette autorité que tu nous as transmise pour que le monde soit transformé ! Fais de nous des coopérateurs de ton action bienfaisante en nous et autour de nous !

Pascal Ide

31.1.2021
 

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