Du désir en friche au désir blessé. Proposition d’un chemin 1/2

« Du désir en friche au désir blessé. Proposition d’un chemin », Sources vives. Désir, 154 (novembre 2010), p. 93-141.

 

« Le poisson cherche-t-il les arbres et la prairie ? Non, il s’enfonce dans les eaux. L’oiseau nage-t-il dans l’eau ? Non, il s’envole dans les airs. Et l’homme qui est créé pour aimer Dieu que va-t-il faire de toutes ses forces [1] ? »

 

La culture occidentale actuelle fait du désir non seulement le centre, mais le tout de la vie : le désir tout-puissant dans la technique, le désir consommateur dans l’économie, le désir normatif dans le droit, le désir créateur (d’un homme nouveau) en philosophie. Notre monde est plus celui des machines désirantes rêvé par les disciples de Nietzsche que celui du désir barré et non jouissif ausculté par ceux de Freud.

Or, ce désir, évidemment déçu, ne conduit qu’à son apocalypse, soit comme dépression, forme cachée du péché de notre siècle, l’acédie, soit dans le renversement en son contraire qu’est l’extinction du désir. Même l’Orient de bazar que réinvente l’Occident devient, sous l’influence du désir tout puissant, ce New Age où le désir se métamorphose en magie et le monde en Poudlard [2].

Entre ces deux extrêmes avance la foi chrétienne. Le premier article, anthropologique, a montré en détail que le désir se définit, traditionnellement, comme la passion suscitée par un bien à venir aisé à atteindre et, selon la perspective intégrative d’une anthropologie du don, comme l’ouverture par laquelle le sujet se dispose au don. Il n’est donc ni diabolisé – puisqu’il est le sentiment béni qui nous fait soupirer après les bienfaits créés et divins – ni divinisé – puisqu’il ne fait que promettre le bien et, par son autocommunication efficace, ébaucher notre transformation.

Toutefois, le désir humain est-il adapté à ce qui nous est offert ? Cette question vaut déjà pour l’excès du don de la nature et, a fortiori, de l’autre ; elle question prend toute son ampleur et sa gravité lorsqu’il s’agit du don par excellence : le don de Dieu, le don qu’est Dieu, en lequel seule repose ce que saint Augustin appelle « la vie heureuse ». Notre désir n’apparaît-il pas en friche, pécheur (désordonné), blessé, inconnu, étroit ? Aussi requiert-il d’être, respectivement, éduqué (1), converti (2), guéri (3), révélé (4), élargi (5). Telles sont les cinq étapes qui, pour certaines, se chevauchent, d’une théologie pratique du désir. Elle part des promesses de l’aube pour accéder au zénith du désir : ouvrir le cœur à la mesure même du don de Dieu.

1) L’éducation du désir

a) L’indétermination du désir

L’homme naît en friche, en puissance. Nous l’avons dit dans le premier article : le désir de l’animal est pré-orienté par ses instincts, même si la part de l’acquis ne cesse de croître en parallèle avec la complexification et le perfectionnement de l’organisme, pour prendre une place majoritaire chez les mammifères supérieurs. Ce que la bête y gagne en rapidité et ajustement dans l’adaptation, elle le perd en ouverture et plasticité. Tout à l’inverse, l’homme tabula rasa est un spécialiste dans la généralité. Son pied est tout-terrain, sa main est tout-outil, son visage est toute-expression, son intelligence tout-être, c’est-à-dire pure ouverture à tout ce qui est connaissable et sa volonté tout-bien, c’est-à-dire pure ouverture à tout ce qui est aimable. Autant d’aspirations qui demandent à passer de l’indétermination à la détermination, en un mot : à être éduqués. L’enfant doit apprendre de ses parents et des autres éducateurs quels sont les biens qui nourrissent ses désirs et ceux qui, au contraire, les détruisent. En particulier, même si le désir de Dieu est naturel, il s’expérimente seulement comme une aspiration à la plénitude en attente pathétique de nomination.

C’est ce que permet de comprendre l’histoire bouleversante d’une fillette de quatre ans racontée par la professeur suisse de théologie protestante Lytta Basset :

 

« Souffrant de la profonde mésentente de ses parents, se sentant très isolée, elle se trouve en vacances avec eux dans une vieille pension de famille. Elle est assise dans l’escalier extérieur par une grosse chaleur d’après-midi estival. Très sensible à la nature, elle regarde les hirondelles voler autour d’un clocher. Elle n’a jamais entendu parler de Dieu ni de la prière. Tout à coup, une plénitude, un bonheur absolu l’envahissent tout entière. Elle a la révélation qu’elle n’est pas seule. C’est le sentiment d’une Présence, sur laquelle elle est incapable de mettre des mots. ‘Absolu’, ‘plénitude’ – manière rétrospective de parler d’une expérience indicible. Elle court la raconter à ses parents qui font la sieste. Ils ne comprennent strictement rien et la renvoient jouer dehors. Tristesse et solitude, encore. Mais l’événement ne la quittera jamais. Au Noël suivant, elle entend pour la première fois, de la bouche de son père, le récit de l’évangéliste Luc : c’est alors qu’elle fait le lien avec ce qui lui est arrivé en été. La femme adulte, aujourd’hui, ne doute pas de la relation entre l’enfance blessée et la perception de Dieu : de la blessure jaillit la réponse de l’Amour, affirme-t-elle. Le souvenir est encore vivant de sa réaction première : un besoin irrépressible de communiquer. Et ce qui, dans sa vie, est resté inaltéré, c’est la présence du Dieu Un, la révélation que tout est harmonie malgré les divisions et les ambivalences du quotidien [3] ».

b) L’anarchie du désir

L’éducation de nos attraits est nécessaire pour une seconde raison. Les désirs ne sont pas seulement indéterminés mais anarchiques. Très vite, le petit d’homme fait l’expérience que ses aspirations le tirent en des directions contraires. Certes, il désire la vérité, mais il est aussi parfois attiré par la sécurité illusoire du mensonge. Certes, il voudrait être en bonne santé, mais il est tellement agréable de se bourrer de friandise. Plus encore, l’expérience montre que ces désirs ne sont pas symétriques, mais que les attraits sensibles s’expriment de manière plus véhémente que les inclinations spirituelles ; de même, les désirs spontanément incurvés vers soi crient plus fort que ceux qui nous portent vers autrui ; enfin, les désirs me portent davantage non pas vers l’objet qui leur est présenté, mais vers ce que l’autre désire (voilà pourquoi René Girard qui a montré cette logique violente en détail, parle de désir mimétique). Ici, il devient nécessaire non plus de préciser l’objet des désirs, mais de les hiérarchiser. Donc de les éduquer. Si, pour la première raison, la nécessité absolue de la discipline devait s’affirmer contre l’idéologie rousseauiste d’un homme intégralement bon et orienté par nature, pour la seconde raison, elle doit s’opposer à l’idéologie utilitariste et hédoniste qui régit nos sociétés de consommation.

De ces deux raisons justifiant la nécessité de l’éducation, la première se fonde sur la nature de l’homme et la seconde sur sa condition historique, celle de l’humanité d’après la chute originelle.

c) La tempérance, promotion et modération du désir

Il est hors de question d’entrer dans le détail de l’éducation du désir. Celle-ci présente deux volets : le discernement et la culture [4]. Cette dernière s’identifie en grande partie à l’acquisition de la vertu de tempérance. Rappelons seulement trois points essentiels :

  1. Comme le nom l’indique, cette vertu paraît avoir pour but de calmer, freiner, en l’occurrence les plaisirs et les désirs. Ainsi, pour le Petit Robert, elle est la « modération dans tous les plaisirs des sens ». Cette définition présente l’inconvénient majeur de considérer la sensibilité d’une manière suspicieuse : celle-ci ne serait qu’un mustang dangereusement sauvage qu’il faut domestiquer et, s’il n’obtempère pas, maintenir à l’écurie. Or, saint Thomas faisait de l’insensibilité, c’est-à-dire de l’incapacité à ressentir un désir, un vice opposé à la tempérance, au même titre que sa démesure [5]. Loin de venir du lointain Orient, cette tentation est et a toujours été interne à l’Occident : les stoïciens identifiaient la passion à une maladie. De fait, pathos n’a-t-il pas engendré le terme pathologie ? A côté de cette forme plus systématique, l’annulation ou l’abolition de l’émotion se présente sous une forme simplement vécue que résume un axiome de vie, voire de survie : ne pas désirer pour ne pas être déçu, ne pas s’ouvrir pour ne pas souffrir.
  2. Contrairement à cette conception encore bien présente, la tempérance authentique ne vise pas d’abord la répression mais la promotion des désirs sensibles. Karol Wojtyla, dans un écrit de sagesse trop peu connu, Amour et responsabilité, a dénoncé cette vision seulement répressive de la chasteté qui est une des espèces de la tempérance, celle-ci ayant pour objet les désirs et plaisirs sexuels), proposant d’y lire d’abord une intégration de l’affectivité dans l’amour de la personne : « Fausse est l’opinion selon laquelle la vertu de chasteté a un caractère négatif. […] La modération des états et des actes inspirés par les valeurs sexuelles sert positivement celles de la personne et l’amour [6]». Le Catéchisme de l’Église catholique s’inscrit dans la droite ligne de cette perspective renouvelée en définissant la chasteté comme « l’intégration réussie de la sexualité dans la personne et par là l’unité intérieure de l’homme dans son être corporel et spirituel [7] ». Le Père capucin Benedict Groeschel écrivait avec humour : « lorsque des personnes disent avoir demandé la grâce de la chasteté, elles ont souvent demandé la grâce d’être un ange – grâce qu’elles ne recevront pas. Cela ne signifie pas qu’elles ne veulent pas pécher, mais qu’elles ne veulent pas être tentées [8] ».
  3. Conjurons toutefois l’erreur opposée, celle qui limiterait l’éducation tempérante à vivre le plaisir de manière épanouie. La modération, voire le renoncement sont nécessaires, surtout dans notre « sexycivilisation [9]». Il ne s’agit toutefois pas d’imaginer que la vertu comporte deux faces symétriques : l’une modératrice et l’autre encourageante. Ainsi que l’a montré le premier article à propos du manque, le « non » se comprend à partir du « oui ». L’ombre est la carence de lumière, mais la lumière n’est pas l’absence d’ombre. Ainsi, le « non » attentif et contrôlant de la tempérance n’est qu’un des moments du « oui » joyeux au désir : il s’inscrit au sein de l’accueil et de la célébration non suspicieuse de l’affectivité. Plus encore, il ne s’agit pas tant de renoncer au désir que de l’harmoniser avec un désir plus radical, le désir spirituel de voir Dieu qui habite tout cœur – donc de redécouvrir une anthropologie qui hiérarchise désirs inférieurs et supérieurs, comme l’affirmait saint Thomas, ou superficiels et profonds, selon l’heureuse question du bénédictin Bernard Forthomme : « Comment enraciner l’émotion dans la passion profonde [10]? » Dès lors, la modération devient intégration.

Un exemple de juste chasteté raconté par Jean-Miguel Garrigues incarnera et vérifiera ces notions[11]. L’été 1968, alors qu’il a vingt-quatre ans, il se retrouve dans sa famille en Andalousie avec quelques frères dominicains dont son ami Christoph Schönborn. Il rencontre la fille d’un couple ami de ses parents. « Je fus aussitôt sous le charme de sa personnalité secrète […]. Jeune fille au corps de femme, pas très grande mais bien proportionnée dont la silhouette, selon ma mère, évoquait celle des majas de Goya ; je revois surtout le beau regard rêveur de ses yeux sombres d’icône byzantine. Elle entra dans mon cœur d’une manière singulière. Je m’en ouvris à Christoph qui m’avoua ressentir lui-même un penchant pour elle. Elle n’avait que dix-huit ans et elle n’était encore qu’une belle princesse endormie dans le bois de l’enfance. Nous, nous n’avions que vingt-quatre ans et nous n’avions pas encore été ordonnés prêtres. Pourtant, ni Christoph ni moi n’envisageâmes un instant la possibilité du mariage : nous avions conscience que notre appel à la consécration dans la vie religieuse était incontestable. Rien ne fut donc dit. Je ne crois pas qu’elle s’aperçut de quelque chose. Il me semble que Christoph assez vite ne pensa plus à elle. Quant à moi, je ne devais jamais l’oublier.

« Je ne la revis que des années plus tard, alors que j’étais dans la quarantaine et qu’elle-même allait l’atteindre. Elle vint me rendre visite à Lyon, ayant obtenu mes coordonnées par mes parents. La jeune fille en fleur de mon souvenir était devenue une femme dont les cheveux commençaient à grisonner. A l’émotion que me causèrent ses premières rides, je compris que je l’aimais toujours. Au cours d’une longue conversation dans le paisible jardin public qu’est maintenant le cloître du Palais Saint-Pierre, elle me raconta l’histoire d’une vie sentimentale. Elle le fit avec simplicité et bonne humeur, ce qui me la rendit encore plus chère. A un moment, levant les yeux vers moi, elle me demanda si j’étais heureux dans ma vie actuelle. Cette question allait-elle au-delà d’une sollicitude bienveillante ? Je ne le lui demandai pas, et je lui répondis que oui, ce qui était l’exacte vérité. De mon côté, je ne sais pas si je sus lui cacher qu’elle était pour moi unique. En effet, parmi mes amis de cœur, il y a eu quelques femmes que j’aime d’amitié, et je suis avec l’une ou l’autre en profonde communion spirituelle. J’éprouve envers celles-ci un tendre sentiment de grand frère protecteur, analogue à celui qui m’attache si doucement à ma sœur. Mais avec elle, et avec elle seule, c’est tout autre chose. Non pas une passion, mais l’attrait puissant et paisible de ce qui aurait pu, je le crois, être un amour conjugal, unique et durable. C’eût été une autre vie, sans doute heureuse, mais pas celle qui s’est avérée être davantage la nôtre, pour elle comme pour moi.

« Je devais encore une fois en ressentir la force à quelques années après ces retrouvailles lyonnaises. […] Elle avait désormais un couple durable et semblait très épanouie ». Célébrant la messe, alors qu’elle est présente dans la nef, il ressent « amour et amitié de nouveau, mais plus profondément enracinés dans ma vie adulte et dans ma vocation religieuse que vingt ans auparavant. A la fin du séjour nous partîmes elle et moi pour Paris, par le même train de nuit. A la gare, nous étions tous les deux accoudés côte à côte à la fenêtre du wagon, pour dire au revoir à mes parents. Soudain, en un éclair, je sentis l’immense douceur que c’eût été de la garder à côté de moi toute la vie, de chercher à la rendre heureuse et d’avoir d’elle des enfants qui eussent été les nôtres. Je n’en ressentis néanmoins ni tentation ni regret, car il me fut donné de voir au même moment que c’eût été une autre vie, une vie où j’aurais certes connu aussi le bonheur, mais qui n’aurait pas tracé en ce monde le sentier par lequel je devais, moi, aller vers Dieu. Ce fut donc un sentiment tendre et paisible qui monta dans mon cœur sous la forme d’une action de grâces : il restera toujours en moi comme un bouton de rose à jamais non éclos dans ma vie telle qu’elle aura été, mais qui lui donne en silence un peu de son parfum [12] ».

Tirons quelques remarques de ce récit sobre qui, dénué d’exhibitionnisme, ne transforme pas le lecteur en voyeuriste.

– Le frère Jean-Miguel n’éprouve pas seulement de l’amitié mais de l’amour, avec ce que cela comporte d’intensité, de présence intérieure (« son souvenir, ou plutôt sa présence en moi »), d’exclusivité, de poésie [13] et d’attirance physique.

– Sans peur ni auto-jugement, mais avec grande vérité intérieure, il nomme non seulement la présence de ce désir amoureux, mais ce qu’il signifie : la possibilité du mariage, avec les besoins qu’il révèle et qu’il nourrirait, c’est-à-dire la communion, la paternité, etc. Avançant jusqu’où il est légitime d’aller sans mettre en cause sa vocation, le frère dominicain évite deux extrêmes : l’infidélité à son appel et le déni de la possibilité de l’autre vocation.

– La vertu de chasteté se tient elle-même dans un juste milieu entre l’impureté et le dessèchement du cœur. Le rejet de la première est attesté par l’absence de compromission en acte et en intention, c’est-à-dire en pensée [14], et celui du second par l’accueil non jugeant du sentiment amoureux et aujourd’hui, « dans la sérénité de l’âge », chacun étant stabilisé dans son état de vie, par une relation plus proche et sereine, enfin, par la gratitude (l’« action de grâces »). Or, contre l’impureté (qu’il s’agisse de la fusion ou de la sensualité), la tempérance se présente plutôt comme répressive et contre l’insensibilisation comme intégratrice. L’éducation du désir conduit donc à la purification du cœur, non à son amputation.

Cette vision éthique positive du désir se fonde sur une anthropologie qui croit possible la réunification de l’homme [15]. Certes, il demeurera toujours ce que le Concile de Trente appelle le « foyer de concupiscence », cette anarchie irrésorbable qui est une séquelle du péché des origines. C’est lui qui explique que, au terme de sa vie, arrivée au sommet de la sainteté, une petite Thérèse qui laisse échapper un mouvement de colère ou a toujours peur des grosses araignées ! [16]. Entre l’optimisme d’un Descartes qui s’imaginait que l’homme pouvait devenir maître et possesseur de… toutes ses passions et le pessimisme d’un Freud ou d’un Lacan convaincus que le ça ou le désir de fusion demeurent à jamais indomptables, et l’homme à jamais fracturé, la perspective catholique affirme l’homme en chemin de réconciliation, « l’Esprit se joignant à notre esprit ».

d) Un désir normatif ?

L’éducation du désir est enfin nécessaire pour une autre raison. L’introduction remarquait qu’aujourd’hui le désir est devenu tout-puissant, voire magique. Si impérieux soit-il et justement parce qu’il est impérieux, le désir immédiat n’est en rien normatif. Un minimum de bon sens nous l’assure pour l’enfant. Mais l’adulte tend à l’oublier. Or, aujourd’hui, le désir est devenu, implicitement, voire explicitement, une source de droit. Prenons le cas du désir d’enfant chez un couple hypofertile ou stérile. Ce désir est profondément ancré dans notre psychisme [17], au point qu’on a pu parler .pour l’enfant d’un « irrésistible désir de naissance [18] ». Il ne s’agit donc pas de minimiser et encore moins de juger la souffrance liée à l’hypofertilité ou à la stérilité : « Je suis jeune, j’ai vingt-six ans et, comme on dit, j’ai mon avenir devant moi. Tous les espoirs me sont donc permis. Tous, oui, hormis celui de donner la vie… Comment accepter cette condamnation ? Je sens qu’au fond de moi, une mise à mort a commencé [19]… » Mais il s’agit d’interroger l’identification entre le désir d’enfant et le droit à l’enfant.

Déjà, l’expression « droit à l’enfant » est illégitime. Deux juristes constatent avec justesse : « le droit ou la liberté ‘de’ faire ou d’agir dans tel ou tel but pour la réalisation ou l’obtention de tel ou tel bien ne peut se confondre avec l’attribution directe de ce bien. ceci est manifeste dans le droit des personnes : la liberté ou le droit de se marier n’équivaut pas au droit à un mari. La liberté ou le droit d’engendrer un enfant n’équivaut pas à un droit à l’enfant. Ce serait un droit direct sur les personnes [20] ».

Quant à eux, le désir et la souffrance sont des passions et donc neutres du point de vue éthique. Ils ne sont pas humanisants par eux-mêmes et nécessitent la présence d’un principe régulateur. En effet, explique un moraliste jésuite, « le désir est par nature insatiable, illimité, sans frein : il ne disparaît pour un temps de notre corps, de notre imaginaire que lorsqu’il est apaisé, sublimé ou comblé ». De plus, les motivations de ce désir sont multiples et diversement humanisantes : « désir vital de donner la vie, désir d’entrer dans une lignée […], désir d’une rentabilité économique (pour l’entreprise familiale, pour les vieux jours), désir de revanche, désir de devenir vraiment adulte en étant père ou mère, […] désir de combler la solitude ». On comprend dès lors la nécessité de la raison éthique : « Face aux désirs, les nôtres et celui des autres, doit se dresser le rempart de la réflexion ». Voilà pourquoi « l’Église réaffirme sans cesse que le désir de l’enfant est bon et légitime, à condition qu’il s’inscrive dans le respect du ‘sujet désiré’ [21] ». Concrètement, la régulation rationnelle de ce désir d’enfant doit remplir « deux conditions morales. 1. Il faut que les actes qu’elle implique soient de parfaite rectitude. Le ‘conséquentialisme’ ne suffit pas à fonder une éthique ; la fin ne justifie pas les moyens. 2. Il faut que la technique ne porte pas atteinte aux droits des personnes concernées, en particulier aux droits de l’enfant à naître [22] ».

2) La conversion du désir

a) Le désir pécheur

Le désir de l’enfant (mais aussi de l’adulte) demande à être éduqué par l’acquisition de la vertu de tempérance. Sans elle, le bouton du désir n’éclôt pas et ne peut s’élargir pour recevoir un don à la mesure des attentes de l’homme. Mais le désir peut s’opposer plus radicalement à ce don en le contrariant : tel est le cas des désirs pécheurs. Le désir en friche est encore en puissance, inéduqué et donc non orienté vers le bien authentique qui le finalise. Le désir fautif, lui, s’oppose orthogonalement et volontairement au véritable bien. Tel est le cas de nombreux péchés listés par la seconde table des dix commandements, celle qui concerne la relation au prochain : si l’on écarte le premier (le seul commandement positif, concernant la piété filiale), la moitié des six restants (qui sont tous des interdits) portent sur la convoitise, donc sur le désir, mais détourné de sa fin : qu’il s’agisse des personnes (sixième et neuvième) ou des choses (dixième).

Mais peut-on parler de « désir pécheur » ? Le désir n’est-il pas moralement neutre ? Le péché n’est-il pas un acte de liberté et non de l’affectivité ? Une telle objection se fonde sur une conception dualiste de l’homme. L’orientation fixée par la liberté imprègne toute la personne. De même que la tempérance n’est pas une vertu de la liberté mais de la sensibilité [23], de même l’intempérance est un vice qui a aussi pour siège l’affectivité [24].

Mais le péché n’est-il pas une privation, une destruction du bien authentique, alors que le désir est une orientation positive vers le bien ? Le péché présente deux faces : certes, l’aversio a Deo, le détournement de Dieu ; mais aussi la conversio ad creaturam, la préférence pour la créature, son désir mis au centre, c’est-à-dire à la place de Dieu. Tel fut le cas du péché des origines. Le fruit de l’arbre lui étant apparu « désirable » (Gn 3,6), la première femme, et le premier homme à sa suite, désobéirent à la Parole de Dieu qui est Dieu même. Aussi le dernier Concile parle-t-il de ce péché, racine et paradigme de tout péché, en termes de désir : « Établi par Dieu dans un état de sainteté, l’homme séduit par le Malin, dès le début de l’histoire, a abusé de sa liberté, en se dressant contre Dieu et en désirant parvenir à sa fin hors de Dieu [25] ». Pécher, c’est donc incurver son désir vers la terre.

b) Le désir converti

Au désir en friche remédie l’éducation. Au désir désordonné remédie la conversion ou le repentir. Comme l’étymologie de ces mots, ainsi que les skieurs le savent, la conversion s’identifie à un demi-tour et le repentir à un changement de pente. La sortie du désir pécheur n’est pas l’entrée dans l’indifférence, mais sa purification, c’est-à-dire sa métamorphose et sa réorientation. Saint Augustin l’exprimait à partir d’une somptueuse image géographique, opposant l’occident du péché (qui introduit dans les ténèbres) à l’orient de la grâce (où se lève la lumière) : « Quand le péché est remis, tes péchés se couchent [occidunt] […] et la grâce par laquelle tu es libéré est à son lever [in ortu] […]. Tu dois tourner tes regards vers le lever [ad ortum], tu dois te détourner [averti] du coucher. Détourne-toi de tes péchés, tourne-toi [convertere] vers la grâce de Dieu [26] ».

Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le détail. Soulignons seulement un point. Lorsque le désir pécheur grave est devenu habituel, c’est-à-dire vicieux, la conversion suppose souvent une décision radicale qui signifie et incarne le désir de changement de vie. Un prêtre qui entretenait une relation luxurieuse avec une femme avait plusieurs fois tenté d’abandonner cette vie désordonnée, mais avait chaque fois rechuté. Il ne réforma réellement et durablement son existence qu’en prenant conscience, au cours d’une retraite, qu’il lui fallait signifier par un acte radical son désir de conversion : revenant de retraite, il vendit la voiture qui lui permettait de se rendre dans le village voisin où vivait sa maîtresse. Ajoutons que, de même que la vertu commence au premier acte, de même le vice se perd au premier acte contraire. Toutefois, c’est aussi par la multiplication des petits actes que s’acquiert la vertu (c’est en forgeant que l’on devient forgeron) ; la conversion ne se stabilise que si elle s’incarne humblement dans un entraînement, ascétique par sa persévérance, vertu morale, et mystique par l’amour de charité qui le motive. La conversion rejoint ici l’éducation.

c) Le désir suspecté

Nous avons parlé des désirs destructeurs, mais n’est-ce pas le désir qui est en lui-même aliénant ? Tous les péchés ne sont-ils pas reconduits à la triple concupiscence (1 Jn 2,16) ? N’avons-nous pas vu que bien des interdits du Décalogue concernent la convoitise ? Dans une parole du Sermon sur la Montagne, Jésus paraît disqualifier le désir comme tel : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (Mt 5,27-28). Or, Jésus parle de « désirer », purement et simplement, sans ajouter un adverbe (par exemple, « de manière perverse ») qui en réduirait la portée. Plus encore, il s’agit du désir de toute femme, quelle qu’elle soit, englobant donc aussi le cadre du mariage, ce qui prohiberait donc le désir même entre époux légitimes. Enfin, ce désir est prohibé au nom du sixième commandement qui condamne l’adultère. Or, celui-ci corrompt le plus grand bien créé, la communion entre les personnes. Ainsi, Jésus semble porter à son comble la suspicion contre le désir.

Limitons-nous à cette dernière difficulté qui, par certains côtés, inclut les autres. Jean-Paul II s’affronte à l’objection avec une précision encore trop ignorée, en commentant longuement ce passage de l’Évangile, dans le cycle des 129 catéchèses qu’il a consacrées au corps humain [27]. Nous ne pourrons qu’aller à l’essentiel [28], mettant de côté les développements fort riches sur l’adultère, le regard et le cœur [29], pour nous concentrer sur le seul désir.

D’emblée, le pape distingue deux significations du terme désir : « biblique » dont on verra qu’elle est éthique, et « psychologique ». Du point de vue psychologique, le désir s’identifie à « une intense aspiration vers l’objet à cause de sa valeur […] sexuelle ». Il s’agit de « l’éternelle attraction réciproque de l’homme vers la féminité, de la femme vers la masculinité ». Ainsi compris, le désir est moralement neutre ; plus encore, il est psychologiquement bon, intouché par le péché, même originel. Du point de vue biblique, en revanche, le désir est « la duperie du cœur humain à l’égard de l’éternelle vocation » de l’être humain. En effet, sans « sous-évaluer l’aspect psychologique », l’Écriture « met surtout en relief l’aspect éthique, étant donné qu’il s’agit d’une valeur qui se trouve lésée ». Dès lors, le désir s’entend de l’attraction de l’homme vers la femme (et réciproquement) considéré non pas abstraitement en lui-même mais dans le cadre de l’état de nature déchue (après la faute originelle), et plus encore en celui de la liberté responsable, s’incarnant dans la relation entre les personnes [30]. Du premier point de vue (psychologique), le besoin sexuel est une « dimension objective de la nature humaine », il « peut et doit servir à la construction de l’unité ‘de communion’ » de l’homme et de la femme. Du second point de vue (éthique), « l’une des deux personnes existe seulement comme sujet d’apaisement du besoin sexuel [31] ».

Jean-Paul II pousse plus loin son analyse et propose une anthropologie (non une psychologie) du péché qui permet de préciser avec finesse en quoi consiste le désir pécheur, en sa structure et son vécu, ici l’impureté du cœur. Pour cela, il fait appel à la catégorie d’intentionnalité, entendue non pas au sens phénoménologique, mais au sens courant d’intention, c’est-à-dire de but visé par la personne, par son « cœur ». En effet, « la richesse personnelle de la féminité » ou de la masculinité comporte d’autres valeurs, à commencer par la signification sponsale du corps sur laquelle nous reviendrons. Or, le désir au sens biblique réduit l’autre « au sexe comme objet convenant à la satisfaction de sa propre sexualité ». Cette concupiscence se traduit donc par « une ‘réduction’ intentionnelle », c’est-à-dire par « une limitation ou obstruction de l’horizon de l’esprit et du cœur » Précisément, triple est cette réduction.

  1. Elle concerne d’abord la connaissance [32]. Chez celui qui désire, au sens biblique, il y a non seulement « conscience que la valeur du sexe fait partie » de l’être humain, mais il y a réduction de la conscience de l’autre à cette seule valeur. Ainsi, autant le désir psychologique « libère » l’homme, autant le désir au sens éthique, biblique « limite» l’homme en « dénaturant la hiérarchie des valeurs ». Dès lors, féminité et masculinité ne sont plus « un langage spécifique de l’esprit » et « la sublime signification sponsale du corps » se perd [33]. Jean-Paul II fait aussi appel à la distinction qui lui est chère, celle du sujet et de l’objet : dans la concupiscence pécheresse, « la femme que regarde l’homme cesse d’exister comme sujet de l’éternelle attraction et devient seulement objet de convoitise charnelle [34] ».
  2. Mais « l’intentionnalité cognitive elle-même ne signifie pas encore asservissement du ‘cœur’ [35] ». Plus profondément, l’intentionnalité touche la volonté libre : alors « la ‘concupiscence’ s’est rendue maîtresse de la volonté [36] ». En effet, je ne désire et ne veux que ce que je connais. Or, l’ « ‘aspiration’ […] s’oriente toujours vers une fin, c’est-à-dire vers un objet connu sous l’aspect de la valeur [37] ». Ici, le désir « tend directement à une fin exclusive : satisfaire seulement le besoin sexuel du corps ». Et, l’immoralité ne vient pas de la tendance, mais de son caractère réducteur et exclusif [38]. Désormais, « ce changement de l’intentionnalité de l’existence […] s’actualise dans le ‘cœur’ du fait qu’il s’est actualisé dans la volonté [39] ».
  3. Enfin, la réduction de l’intentionnalité touche l’existence. En effet, par le désir, l’intelligence et la volonté tendent vers l’existence de l’autre. La question est alors : « qui ‘est’ ou plutôt qui ‘devient’, pour l’homme, la femme que celui-ci ‘regarde avec convoitise’ [40] » ? Dans le cas du désir (désordonné), l’autre personne est instrumentalisée. Ici, Jean-Paul II ne convoque plus les catégories de sujet et d’objet, mais celle d’utilisation qui, en polonais, équivaut à la jouissance [41]: « dans ce climat [de concupiscence] l’être humain ‘se sert’ de l’autre être humain, ‘l’utilisant’ uniquement pour satisfaire ses propres ‘désirs’ [42] ».

d) Le désir entre désastre et réorientation

Résumons. Le « désir » dont parle Jésus est vu non pas dans son abstraction (l’essence du désir), mais dans la condition concrète de l’homme pécheur (et appelé au salut). Ce désir s’identifie à la concupiscence pécheresse qui réduit l’autre à être instrument, moyen et objet (de jouissance) alors que l’être humain est personne, fin et sujet. Enfin et surtout, et nous touchons au cœur de l’intuition développée par Jean-Paul II dans ses catéchèses sur le corps : dans la vocation qui lui fut donnée « à l’origine » (Mt 19,4.8), le corps présente une signification qualifiée de « sponsale ». Ce néologisme ne renvoie pas à l’état de vie matrimonial mais à la vocation la plus radicale de l’homme, le don de soi : « l’homme […] ne peut pleinement se trouver que par le don sincère de lui-même [43] ». Or, le corps est le signe et l’expression de toute la personne. Il trouve donc son achèvement dans le don. Tout à l’inverse, par le désir qui incurve l’homme sur lui au lieu de l’inviter à se donner, la personne perd ou du moins réduit la conscience de « la signification sponsale du corps [44] ». Une nouvelle fois, ici à la suite de Jean-Paul II, le désir s’éclaire pleinement à la lumière du don [45].

Il valait la peine d’entrer dans ces détails. Les rares analyses, parfois relayées par la théologie morale [46], que la culture actuelle propose du désir désordonné en traite dans les seuls termes de la régression, de la fusion ou de l’archaïsme, et ignorent donc la dimension proprement spirituelle du désir mauvais. En faisant de la concupiscence fautive ce qui altère voire corrompt la signification sponsale, Jean-Paul II interprète le péché d’un point de vue téléologique et non pas archéologique. La guérison des désirs blessés aide souvent la conversion et la rééducation, tant, en ce domaine, psychologique et éthique, involontaire et volontaire, sont étroitement noués. Mais le péché est plus que la blessure, le Sauveur plus que le thérapeute, le salut plus que la santé, la conversion plus que la guérison. Le désir guéri s’arrache à ses compulsions ; le désir converti, par la grâce (et la liberté qui la met en œuvre), s’oriente résolument vers le don de soi sans retour, sans retard et sans restriction.

Jésus ne critique donc pas le désir comme tel mais le désir pécheur [47]. Un terme est ici révélateur. L’on parlait autrefois de désir « désordonné » et l’on traduit parfois un passage de la parabole de l’enfant prodigue : « pour y mener une vie de désordre » (Lc 15,13). Or, le désir (desiderium en latin) comporte en son étymologie, cet ordre, cette orientation vers un astre (en latin sidus, sideris, qui a donné « sidéral »). Une vie de désordre est donc un dés-astre, une vie qui a perdu sa finalité. Le désir n’est plus finalisé par le véritable don qui peut le combler.

Par conséquent, la conversion n’est pas un renoncement au désir mais à son désordre. Elle touche non pas la puissance ni l’acte mais son orientation, c’est-à-dire son objet. Le désir pécheur peut être progressivement purifié et remplacé par son contraire qui est la bonne disposition, ce que l’on a appelé la vertu de tempérance et que Jean-Paul II nomme l’éthos de la pureté [48], qui est à la fois grâce (Gabe) et tâche (Aufgabe). Le salut apporté par Jésus n’ampute donc pas l’homme mais le sanctifie. Jésus, brûlé par l’Esprit de feu, a fait entrer le désir dans le Royaume des cieux. Autre la logique de la culpabilité qui pousse parfois jusqu’à des gestes d’automutilation, autre la logique de la contrition et de la conversion qui invite à l’offrande et au renoncement.

3) La guérison du désir

Les développements qui précèdent paraîtront irréalistes à ceux qui se débattent avec des désirs irrépressibles vis-à-vis de l’alcool, du sexe, etc. A côté des attraits intentionnellement désordonnés qui sont pécheurs, il importe de prendre en compte les désirs involontairement démesurés qui sont blessés. Laissons de côté ce qui relève des aides spécialisées, voire de la psychiatrie, pour considérer l’anarchie des aspirations qui est notre lot quotidien.

Didier vient d’épouser Isabelle qu’il aime profondément et tendrement. Après quelques mois idylliques, le jeune homme commence à trouver sa femme pas assez empressée auprès de lui. Alors qu’il multiplie les petits gestes, il trouve qu’elle ne répond pas avec le même entrain. Isabelle tente de comprendre les attentes de Didier, mais son désir, loin d’être comblé, semble se creuser. Les reproches se multiplient. Un jour, excédée, Isabelle lâche : « Didier, tu m’étouffes. Tu as tellement besoin d’être rassuré, de te sentir aimé, je n’y arrive pas. Je ne suis pas ta mère ! » Se sentant mortellement incompris, Didier se ferme. La bouderie dure plusieurs jours. Isabelle ne cède pas à ce qu’elle sent être un chantage. A la suite d’une homélie sur l’enfant prodigue, qui soulignait le moment central de la parabole, celui où le fils cadet « entre en lui-même » (Lc 15,17), Didier décide de consulter un psychothérapeute. Celui-ci procède par entretiens hebdomadaires. Pour la première fois de sa vie, Didier cesse d’accuser ou d’interpréter et parle de lui et de ce qu’il ressent. Au bout de deux ans, d’un commun accord avec le thérapeute, il espace puis cesse les entretiens. De fait, il va beaucoup mieux. Il a clairement compris que ses besoins de rassurement, d’affection sont surdimensionnés : ils parlent non pas de l’autre (la prétendue inattention d’Isabelle), mais de lui et de son histoire. Isabelle s’épanouit de nouveau auprès d’un mari dorénavant beaucoup plus autonome affectivement ; voire, elle lui manifeste bien plus largement et spontanément une affection, sachant que celle-ci est accueillie non comme un dû mais comme un don.

Pourtant, après la naissance de leur deuxième enfant, qui, du fait d’un rétrécissement aortique, va demander des soins constants et mobiliser toute l’attention de la mère, Didier éprouve un douloureux abandon. De nouveau, il sent monter en lui la tentation victimaire et donc accusatrice. Il se retient quelques mois, le temps que la santé de leur enfant se stabilise. Puis, un jour, profitant d’une impatience d’Isabelle, il vomit toute son amertume. Exténuée par ces mois éprouvants, la jeune mère tombe des nues. Elle a l’impression de régresser au début de leur mariage. Voire, le ressentiment de Didier est tellement violent qu’elle se demande si elle ne devrait pas prendre du recul. Mais elle sent le désarroi de son mari qui, un moment, se demande avec lucidité : « J’ai travaillé sur moi pendant plus de deux années. A quoi cela a servi ? ». « C’est vrai – répond-elle –, tu as fait toute cette psychothérapie par amour pour moi, pour mieux m’aimer. Pas moi. D’ailleurs, je me demande si je n’ai pas moi-même une crainte démesurée d’être étouffée. Je vais aussi consulter un psy ». Cette parole d’humilité touche Didier : « Eh bien, chérie, nous le ferons chacun de notre côté. Pour ma part, j’aurais bien envie d’essayer les nouvelles méthodes dont parle l’ouvrage de David Servan Schreiber que je viens de lire » [49].

Didier va ainsi bénéficier de l’EMDR [50] et de la cohérence cardiaque [51]. De son côté, Isabelle découvre l’EFT [52]. Ces moyens et remèdes, pour être brefs, sont efficaces et réparent le psychisme en profondeur. Le couple d’Isabelle et Didier, après avoir frôlé la rupture, connaît un nouveau printemps, aussi heureux qu’inattendu. Ils sont outillés pour affronter leurs tensions et partir d’eux-mêmes. Non seulement Didier sait d’où viennent ses souffrances (fruit de la première psychothérapie), mais il peut les apaiser (fruit de la seconde). De plus, le couple goûte la joie d’avancer de concert sur ce chemin de communion dans la vérité.

Néanmoins, un jour, alors qu’il se sent fragilisé par un échec professionnel et que son épouse n’est pas disponible pour lui manifester de la compassion, Didier entend ses vieilles ennemies frapper à sa porte. Certes, la tentation d’accuser est moindre ; certes, il sait comment lâcher sa colère. Toutefois, la tentation persiste. Instruit par son expérience passée, il décide de ne rien dire. Plus encore, trois jours de déplacement professionnel lui offrent l’occasion de se retrouver seul et de prier davantage. Il prend alors conscience que, même s’il n’accuse plus et sait attendre, il est encore très, trop en demande. Il voit alors qu’il a le choix entre deux possibilités : demander à sa femme si elle l’aime ou lui donner sa confiance tout en faisant mémoire avec gratitude des multiples signes qu’elle lui donne sans compter (même si ce ne sont pas toujours ceux qu’il attend). Autrement dit, il peut partir soit du dehors, donc d’accroître sa dépendance, soit du dedans, donc de grandir en autonomie. Didier opte de ne rien demander à son épouse. Mais, sage, il adjoint à cette décision celle de ne surtout pas se fermer et, pour cela, au lieu d’attendre de recevoir, de donner gratuitement des signes. Ne voulant pas présumer de ses forces, il prend cette décision pour une durée d’une semaine et fait le bilan ; or, il se rend compte que son cœur est beaucoup plus paisible. Il renouvelle sa décision sur une durée deux fois plus longue. Même constat. Quelques mois plus tard, il s’expliquera sa décision à son épouse qui n’a pas manqué de noter le profond changement et s’en émerveille. Il ajoute dans des termes qui rappelleront ce que l’article précédent nous a appris des relations entre désir et besoin. Il précise : « Bien sûr, ma chérie, je me donne parfois le droit de te demander un retour, notamment quand je me sens trop en ‘manque’. Ce mot lui-même est révélateur : même sans t’accuser, mon attitude fut longtemps celle d’un drogué te transformant en ce que mon psy, lacanien, appelait l’objet a. Aujourd’hui, je ne sais pas comment expliquer le changement qui s’opère en moi, mais je le constate avec jubilation. Pendant des années, j’ai eu un besoin vital, presque douloureux de ta présence. Aujourd’hui, celle-ci m’est plus que jamais nécessaire, mais cette envie n’est plus oppressante ; mon cœur est devenu léger. Peut-être suis-je en train de découvrir ce qu’est l’authentique désir amoureux… ».

L’exemple, pour ne pas être spectaculaire, est… exemplaire à plus d’un titre. Je tirerai plusieurs enseignements, diagnostiques et thérapeutiques, sans entrer dans trop de détails.

– Didier est habité de grands désirs : se sentir aimé, être rassuré, mais aussi aimer, se donner, construire une communion sereine.

– Ces désirs, surtout les premiers, sont disproportionnés, donc blessés. Plusieurs indices l’attestent : l’accusation de l’autre, corollaire de sa victimisation ; l’exigence (qui n’est pas la demande, toujours négociable) vis-à-vis de son épouse ; la démesure de l’attente jamais comblée ; la souffrance d’Isabelle qui à la fois étouffe et se culpabilise de ne pas rendre son époux heureux ; l’incapacité à supporter le manque ; l’angoisse (vite recouverte par la colère) lorsque son épouse ne répond pas immédiatement ; la répétition de schémas mis en place dès la petite enfance.

– Quant à leur essence, désir blessé et désir pécheur se distinguent clairement comme l’involontaire et le volontaire. Toutefois, dans l’existence concrète, dans la vie, blessure et péché sont étroitement connectés. Jamais, hors cas de maladies psychiatriques graves [53], la blessure n’annule totalement la conscience et la liberté. Si Didier subit ce besoin parfois irrépressible de se sentir aimé, reconnu, il lui appartient, en revanche, d’entendre la souffrance de sa femme et de prendre les moyens pour changer – ce qu’il fait. De même, si un alcoolique n’est pas (plus) responsable de son alcoolisme devenu maladie, il l’est de faire un bilan médical complet et suivre une cure de désintoxication.

– La psychothérapie par le langage est utile pour connaître l’origine de son attitude meurtrie, mais présente souvent une efficacité seulement partielle pour apaiser la souffrance.

– En revanche, les nouvelles thérapies ci-dessus évoquées et d’autres (comme l’hypnose éricksonienne ou l’un des derniers nés des thérapies comportementalistes et cognitivistes, l’ACT ou les techniques de Pleine Conscience [54]) mobilisent avec succès les capacités d’auto-réparation présentes dans notre psychisme, sans pour autant s’attarder sur la mise en lumière des origines blessées.

– La guérison ne peut jamais se passer de la décision. A trois moments décisifs, Didier a accepté de se remettre en question en profondeur. Qui ne connaît ces personnes hautes consommatrices de techniques psychothérapiques, parfois remarquables, et qui pourtant paraissent faire du sur-place ? Or, en définitive, le choix s’opère toujours entre deux options : demeurer centré sur soi et attendre indéfiniment que l’autre change ; ou partir de l’autre (de l’amour de l’autre) et décider de changer. Ce choix est tellement radical que l’on peut parfois parler de conversion. L’aide de la grâce, qui ne fait nullement l’économie de la décision, est d’ailleurs nécessaire. La vie de Thérèse nous en offre un admirable exemple la nuit de Noël 1886.

– La décision (éthique) ne s’oppose pas au travail psychologique, mais souvent le présuppose. En effet, tant que la personne est encore en souffrance, une authentique et durable ouverture à l’autre demeure difficile. En fait, la double démarche, éthique et psychologique doit être menée de front.

– Le travail sur soi est sans fin. Qui peut prétendre parfaitement se connaître et maîtriser toutes ses réactions, au point de ne plus être tenté d’accuser l’autre ou de retourner l’accusation contre soi-même (la blessure mortelle de la culpabilité qui n’est en rien la contrition) ?

– Enfin, le résultat de tout ce chemin n’est pas l’amenuisement du désir, mais son couronnement. Didier le formule clairement : n’étant plus oppressée par ce besoin aliénant, pour lui et pour l’autre, son désir, apaisé, guéri, peut désormais prendre son envol. Purifié de ses archaïsmes (et répétons que ce labeur est coextensif de l’existence), le désir peut pleinement entendre l’appel qui, depuis toujours, retentit du télos, de notre destinée spirituelle, la communion à Dieu en notre état de vie. La guérison n’est pas la satiété, l’effacement de tout manque. Elle n’apaise la démesure des souffrances passées indéfiniment ressassées que pour permettre de mieux entendre l’inquiétude, ici bas inapaisable, qui nous conduira jusqu’aux pâturages éternels.

4) La révélation du désir

L’éducation, la conversion et la guérison constituent le trépied sur lequel repose tout changement intégral et efficace de soi. La première conduit l’homme du germe ou de la puissance à la vertu, la seconde du péché à la conversion, la troisième de la blessure à la guérison.

Néanmoins, un désir vertueux, converti et assaini n’est pas encore saint, c’est-à-dire totalement ajusté au don de Dieu. Désormais, le désir n’est plus en friche, désordonné ou blessé, il est bon. Mais il doit encore être reconnu ou révélé et ensuite élargi, pour qu’il ou plutôt la personne puisse recevoir Dieu autant que celui-ci veut se donner.

a) Désir ou obéissance ?

Cette affirmation peut aussi se présenter sous la forme d’une question pratique intéressant au plus haut point le discernement : pour prendre une décision d’importance, convient-il de se mettre à l’écoute de ses désirs profonds ? Sur ce point, nous trouvons deux réponses. La première est affirmative, non sans rappeler que le désir doit être sanctifié et purifié. La seconde, négative, interroge : faire du désir le signe de la volonté divine, ne serait-ce pas mesurer celle-ci à celui-là ? Hans Urs von Balthasar a radicalisé et systématisé cette dernière position. Il estime que seule l’obéissance et non le désir ouvre adéquatement l’homme au don de Dieu. D’un côté, explique le théologien suisse, « tous les essais patristiques et scolastiques prennent – et il n’était pas possible qu’il en fût au­trement dans la pensée antique – leur point de dé­part dans l’homme et s’interrogent sur sa nature, déchiffrable à travers ses besoins et ses aspirations [55] ». Tout à l’inverse, l’image de l’homme qui ressort des Exercices « n’a pas son centre dans les aspirations et désirs du cœur et son besoin de trouver sa réalisation dans l’absolu, mais dans la louange, la révérence et le service de Dieu (Exercices, n° 23.2) et dans la dispo­nibilité vis-à-vis d’une volonté divine que, ni dans son ensemble ni dans son détail, il n’est jamais possible de déchiffrer ni de supputer à partir de notre propre nature [56] ».

Convient-il d’ainsi opposer désir et obéissance ? Nous proposerons quatre réponses convergentes.

b) L’indifférence, purification du désir

L’interprétation que Balthasar donne de la pensée et de la pratique de saint Ignace de Loyola ne fait pas l’unanimité. Celui-ci ne radicalisait pas à ce point l’obéissance ni n’excluait ou suspectait à ce point le désir.

Partons d’un exemple tiré de la vie du fondateur de la Compagnie de Jésus [57]. La Compagnie avait implanté un certain nombre de collèges appréciés en Italie. Or, une fois, il y eut deux postes d’enseignants à pourvoir, l’un à Naples, l’autre à Venise, alors qu’Ignace dispose d’un seul candidat. Or, la situation des deux collèges est fort différente : à Venise, les Pères jésuites sont très aimés ; à Naples, au contraire, la Compagnie est honnie à peu près par tous et l’autorité civile la soupçonne.

Arrêtons-nous un instant. Un autre qu’Ignace analyserait soigneusement la situation : quelles sont les qualités et les faiblesses des candidats en lice ? Il prendrait notamment en compte son éventuelle fragilité qui le dissuaderait de l’envoyer à Naples. Le fondateur de la Compagnie ne va pas procéder ainsi, car il est convaincu que le candidat porte la réponse en son cœur, ou plutôt que l’Esprit-Saint peut la lui inspirer à lui et à lui seul. Il le convoque donc et lui expose le problème, décrivant la situation avec le maximum de clarté.

Là encore, faisons une pause. Que déciderait un candidat écoutant Ignace lui témoigner de son embarras ? Sans doute, par générosité, irait-il à l’endroit le plus difficile, préférerait-il la situation la plus contrariante. Mais un tel a priori n’offre aucune garantie. En effet, personne ne peut dominer la situation, en maîtriser toutes les circonstances. De plus, la volonté propre peut se mêler sournoisement aux plus gratuits dons de soi. Enfin, un tel désir spontané s’identifie-t-il à la volonté divine ?

Que fait alors Ignace ? Il ne laisse pas le temps au candidat de décider. Conscient de l’ambiguïté foncière de la situation, il envoie le candidat prier trois heures. Il ne lui demande qu’une chose : renoncer aussi parfaitement que possible à ses préférences personnelles au regard des deux solutions proposées. Autrement dit, il lui demande d’être indifférent. Après trois heures d’oraison, le candidat revient. Ignace lui demande : « Pense-tu maintenant avoir renoncé à ta volonté propre sur ce sujet ? – Autant qu’il m’est possible de le savoir, je le pense, mon Père. – De quoi as-tu le désir maintenant ? » En effet, commente le secrétaire de S. Ignace : « Ignace savait que, en quelqu’un qui a complètement renoncé à se volontés propres, le désir qui lui reste alors dans le cœur coïncide exactement avec la volonté de Dieu sur lui ».

Relisant cet exemple à l’aune du désir, on peut y discerner trois moments. Dans un premier temps, le candidat peut être entraîné à choisir telle ou telle option – ce désir pouvant lui-même être soit généreux, voire saint, soit tiède, voire égoïste. Dans un deuxième temps, se fondant sur la pratique de l’indifférence qui est centrale dans les Exercices spirituels [58], le candidat dépose tout désir ; ou plutôt il centre celui-ci sur Dieu seul, en vue de l’adorer, le louer et de le servir. Enfin, en un troisième temps, une fois le cœur rendu indifférent, une fois les deux plateaux de la balance équilibrés, le désir purifié exprime la volonté divine.

Cette démarche harmonise l’écoute des désirs profonds et l’obéissance. En demeurer au premier temps au nom de la vérité de ceux-ci risquerait fort de céder à la croyance quelque peu ingénue d’une immédiate adéquation de ceux-ci à la volonté divine. Indépendamment des illusions induites par le Tentateur, ne serait-ce pas accorder à l’âme une transparence que sa nature (et pas seulement la condition de nature déchue) lui dénie ? D’ailleurs, qui peut être assuré de faire la volonté de Dieu tant qu’il n’a pas sincèrement renoncé à la sienne ? En ce sens, la formule « désirs profonds » demande à être interrogée : de quelle profondeur s’agit-il ? Mais en demeurer au deuxième temps hypostasierait l’obéissance au détriment du désir. De fait, celui-ci sous-tend les trois moments de la démarche selon des modalités différentes : 1. les désirs qui, non encore purifiés, agitent l’âme en directions opposées ; 2. la remise des désirs concernant le chemin et écoute du seul désir de Dieu, unique terme ; 3. l’écoute des désirs concernant le chemin, une fois le cœur fermement orienté vers sa fin. Désormais, les désirs profonds coïncident avec la volonté divine et leur écoute avec l’obéissance.

c) La prière, pédagogie du désir

Désir et obéissance cessent de s’opposer dans la prière. D’une part, en celle-ci, nous demandons de conformer notre volonté à celle de Dieu. Tel est l’objet de la troisième demande adressée par la prière par excellence : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au Ciel » (Mt 6,10). Ce que Jésus nous demande, il le vit, notamment lors de la Passion : « Non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26,38). D’autre part, la prière, nous l’oublions trop souvent, est l’expression verbale du désir. Cela est déjà vrai de son sens profane : « Je vous en prie » signifie « Je vous demande d’accéder à ma demande » qui est elle-même la formulation de mon désir (voilà pourquoi Lacan ajoutait au duo désir-besoin, un troisième terme : la demande). Cela se vérifie en particulier pour la prière dont la première forme est la supplication, l’intercession.

Ainsi, conjuguant désir et obéissance, la prière constitue une pédagogie du désir, rendant progressivement nos aspirations humaines adéquates au désir divin. Voilà pourquoi la prière est traditionnellement considérée comme l’acte par excellence de la vertu d’espérance [59]. Ici, saint Augustin est le maître, au moins de l’Occident. Pour le docteur d’Hippone, en effet, prier, c’est apprendre à désirer [60]. « Quand donc l’oraison s’endort-elle ? Lorsque le désir se refroidit [61] ». D’abord, dans la persévérance, voire le combat [62], celui qui prie s’éduque à durer et purifie ainsi tout ce que son désir comporte de recherche narcissique pour se décentrer de soi et se « surcentrer » (Teilhard de Chardin) en Dieu. Ensuite, l’orant apprend à renoncer aux convoitises pécheresses, convertissant sa cupiditas en caritas. Saint Augustin l’explique à partir d’une image suggestive : « Suppose que Dieu veuille te remplir de miel : si tu es plein de vinaigre, où mettre le miel ? Il faut répandre le contenu du vase : il faut purifier le vase lui-même […] pour le rendre apte à recevoir cette réalité ». Il conclut, employant le verbe exinanire que la Vulgate utilise pour dire la kénose : « vide à fond [exinani] ce qui doit être rempli [63] ». De plus, la prière nous apprend à désirer ce que Dieu désire et qui est le meilleur pour nous. Tel est à nouveau le grand enseignement du Notre Père : « Sait-on spontanément pourquoi le premier objet de notre désir, celui auquel nous devons aspirer avec le plus de force doit être : ‘Que ton règne vienne’, ‘Que ta volonté soit faite’ ? Ce qui occupe la première place, ce que nous demandons le plus souvent d’abord, avec un sentiment d’urgence, ce qui nous oppresse, c’est autre chose, qui est lié aux difficultés de la vie » et dont parlent les autres demandes du Notre Père, d’ailleurs : le pain quotidien, la vie en commun (le pardon), la protection du mal [64] ». L’oraison dominicale convertit donc et guérit le désir pécheur et blessé. Il est la prière du désir en voie de divinisation Voilà pourquoi interminable est la liste des personnes qui ont été guéries et converties en profondeur par la récitation de l’oraison dominicale : Dimitri Panine, l’ami d’Alexandre Soljenitsyne [65], Tatiana Goritscheva [66], etc. Enfin, le désir élargit notre capacité à recevoir, comme le manifeste l’apologue augustinien de la poche ébauché ci-dessus: « Supposons que tu veuilles remplir quelque objet en forme de poche et que tu saches les grandes dimensions de ce qu’on va te donner : tu élargis cette poche, que ce soit un sac, une outre, ou tout autre objet de ce genre. Tu sais l’importance de ce que tu vas y mettre, et tu vois que la poche est trop étroite : en l’élargissant, tu augmentes sa capacité [extendendo facis capaciorem]. C’est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l’âme ; en l’élargissant, il augmente sa capacité de rece­voir [67] ». Le désir, éduqué par la prière, collecte donc presque toutes les étapes détaillées dans cet article : éducation, conversion, révélation, dilatation. Voilà pourquoi, ainsi entraîné, purifié, conscientisé, élargi, le désir est un résumé de l’existence chrétienne : « Toute la vie du vrai chrétien [christiani boni] est un saint désir. […] Désirons donc, mes frères, parce que nous allons être comblés. […] Voilà notre vie : nous exercer en désirant [desiderando exerceamur] [68] ». Veut-on un chemin de sanctification du désir ? La prière est l’un des plus assurés.

En ce sens, la prière est la réponse la plus profonde que le christianisme apporte au désir magique. Nous l’avons évoqué : de plus en plus répandu, un certain discours actuel, sous l’influence de la nébuleuse New Age, parle volontiers du désir créateur ou de la parole transformatrice de son objet [69]. De fait, la prière du Saint obtient tout – hors la conversion de l’âme endurcie dans son péché – car elle est l’expression d’un désir parfaitement obéissant, qui coïncide totalement avec la volonté divine. « Il a voulu que tu pries afin qu’il donne à qui désire, et pour éviter qu’on ne tienne pour peu de choses ce qu’il aura donné : car le désir lui-même, c’est lui qui l’a introduit en nous [70] ». En ce sens, l’homme a raison d’aspirer à un désir tout-puissant – et le Saint est bien plus puissant que le sorcier le plus talentueux ; mais il a tort et grandement tort en croyant posséder cette toute-puissance, car elle est la participation de la puissance divine : la richesse de Dieu ne se déploie que dans l’âme humble et appauvrie qui vit sans reste la première béatitude. « Qui désire Dieu d’une âme sincère, aussitôt il possède ce qu’il aime [71] ».

d) L’obéissance, moment interne au désir

La pratique de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus permet de systématiser la relation entre désir et obéissance [72]. Assurément, la vie de la carmélite de Lisieux se caractérise par une profonde et libre soumission au Bon Dieu. Mais Thérèse n’en nie pas pour autant le désir. Plus encore, elle accorde à celui-ci une place aussi centrale. Focalisons-nous sur la seule question de la proportion entre don divin et désir. Thérèse évite une double erreur. La pre­mière estime que le don divin n’est préparé ni anticipé par aucun désir (telle est la position que défend Balthasar) ; or, cet effacement de toute aspiration est contraire à l’expérience constante de Thérèse. L’erreur opposée affirme que le désir précède toujours le don (c’est la posture que condamne Balthasar) ; mais Thérèse sait tout autant que le désir humain ne peut me­surer le don de Dieu qui est constante surprise. Elle a bien conscience que si elle obtient ce qu’elle désire et si ce qu’elle désire l’achève, seul Dieu maîtrise le moment de cette réalisation. Un exemple parmi beaucoup est fourni par son entrée au Carmel : on sait combien la date fut non seulement ajournée mais ignorée d’elle, remise entre les mains d’autorité sur lesquelles, après être allée jus­qu’à supplier le pape en personne, Thérèse n’avait aucune prise. Or, voilà comment elle interprète ce retard : « Ainsi Jésus agit-Il envers sa petite Thérèse : après l’avoir longuement éprou­vée, Il combla tous les désirs de son cœur [73] ». La rupture concerne donc non pas le désir mais le temps du désir.

Comment conjure-t-elle ces deux erreurs ? Puisque le premier schème est à un temps (le don divin sans le désir humain) et le second à deux temps (le désir humain avant le don divin), la seule solution est d’introduire un troisième temps : le don de Dieu (qui fait désirer) ; le désir humain ; le don de Dieu (qui est désiré). Le premier moment ré­pond à l’accusation d’offusquer la nouveauté [74], le deuxième à celle d’irriter la na­ture humaine, le troi­sième correspond à l’intention, c’est-à-dire à la mission transcendante.

e) L’Annonciation, révélation du désir

L’on pourrait objecter que, chez la petite Thérèse, le désir est encore obscurci par le péché, sinon actuel, du moins originel. Par conséquent, un désir parfaitement rectifié, hypothétiquement prélapsaire, donnerait Dieu, révélerait a priori la volonté divine sans la mesurer.

L’exemple de la Mère du Sauveur invite de nouveau à interroger cette prétendue coïncidence, sans pour autant nier la centralité du désir. Pour cela, considérons d’abord la demande que Marie adresse à l’ange Gabriel lors de l’Annonciation : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? » (Lc 1,34). Pour faire bref, cette phrase a été comprise de trois manières différentes [75].

Selon la première qui est massivement présente dans la Tradition, Marie énonce ici un désir explicite de virginité. Chez les Pères grecs comme Saint Grégoire de Nysse et latins comme saint Augustin, ce désir s’exprime dans une résolution secrète de rester vierge. Les docteurs médiévaux le formaliseront en un vœu de virginité [76]. Aujourd’hui, avec quelques autres exégètes, René Laurentin adhère à cette solution. Une objection, décisive, s’oppose à cette interprétation : la virginité comme telle (et non comme réalité seulement sociologique) est un idéal proprement chrétien, qui n’existe pas dans le milieu juif ; Marie ne disposait que du mariage et de la maternité pour pouvoir envisager son appel. L’idée d’un vœu apparaît encore plus anachronique.

Aussi les exégètes actuels se sont-ils tournés vers deux autres hypothèses. Pour beaucoup, cette interrogation exprime un simple constat d’un fait : Marie se contente d’observer qu’elle ne mène pas la vie commune avec un homme. Mais une telle interprétation signifierait que Marie dit : « Je n’ai pas encore de commerce avec un homme ». Or, de fait, elle ne le dit pas. Donc, cette explication ne respecte pas le texte. Une dernière réponse, elle aussi répandue, affirme de la question qu’il s’agit d’une formule littéraire de transition. Sa fonction étant seulement stylistique, elle est donc dénuée de signification théologique particulière. Là contre, l’expression prononcée par Marie constitue un hapax (autrement dit, est unique dans toute la Bible) ; or, cette interprétation n’en rend pas compte.

Si l’on écarte cette troisième supposition qui annule le problème sans raison, nous nous trouvons donc en face de deux hypothèses, toutes deux insatisfaisantes, en raison du contexte ou du texte : Marie exprime soit un désir explicite, soit un fait. Ne peut-on émettre une interprétation intermédiaire : un désir implicite – que le don de Dieu va permettre de formuler ?

Le père de La Potterie s’approche de cette solution lorsqu’il affirme de l’interrogation marial qu’ « il s’agit d’une orientation, d’une attirance profonde à la vie virginale, d’un secret désir de la virginité, éprouvé et existentiellement vécu par Marie, mais qui n’a pas encore pu prendre la forme d’une résolution, parce que c’était impossible dans le milieu social où il vivait [77] ». Il distingue donc entre le vécu intérieur encore informulé et la réalité institutionnelle qui lui donnerait corps. Le théologien allemand Romano Guardini a développé cette intuition avec profondeur dans un opuscule en forme de lettre : « Un principe de saine interprétation demande de s’en tenir à ce qui est normal, tant que la réalité des faits n’oblige pas à envisager l’extraordinaire. Or, rien ne laisse supposer que Marie ait eu, avant le message de l’Ange, un propos délibéré de rester vierge. Comme l’indique le récit des Évangiles, Joseph n’a pas eu connaissance d’une telle détermination. Que Marie eût contracté des fiançailles, sans rien dire à celui qui recevait sa foi d’une intention qui le concernait aussi intimement, c’est inconciliable avec la sincérité de Marie. Invoquer un ordre spécialement donné par Dieu, ce serait vraiment se tirer d’affaire à trop bon compte.

« Si l’on essaye de faire droit à tous les éléments de cette situation unique et de ne pas trop éluder le problème, soit en restant au plan de la nature, soit par un appel trop sommaire au surnaturel, voici ce qu’on peut dire de mieux, semble-t-il : Marie a conclu ses fiançailles et n’a pu les envisager autrement que comme une démarche qui la conduirait au mariage au sens complet du mot. Cependant elle ne pouvait se comprendre elle-même en une telle situation, car l’orientation la plus profonde de sa vie y contredisait. Lui eût-on demandé quel tour devaient donc prendre les choses, elle eût répond qu’elle n’en savait rien. Elle savait et ne savait pas : situation qu’elle eût été incapable de définir, attente qu’elle n’eût pu justifier.

« Pour se faire une idée de ce qu’elle serait dans l’avenir, Marie ne disposait dans l’immédiat que des notions de mariage et de maternité. On ne doit pas faire intervenir trop tôt des inspirations ou des visions ; elles feraient ici l’effet de courts-circuits. Certes, tout devient alors clair et net ; mais d’une manière qui éveille la défiance. Pour ne rien dire d’une autre conséquence : on aurait éliminé le caractère le plus spécifique et le plus vital de l’existence de Marie, à savoir l’étroite interprétation de l’agir divin et de l’authentique comportement humain. Il a dû en être autrement : Marie s’est fiancée, ou plutôt elle a donné son accord aux fiançailles que lui proposait son tuteur – mais en même temps une conviction intime lui disait que les choses suivraient un cours à part.

« Dans un état où, tout à la fois, elle sait et ne sait pas, dans cette attente qu’elle ne peut définir, elle vit pour Dieu dans la confiance. C’est l’attitude déjà notée et que j’appellerais proprement ‘mariale’ : la persévérance devant l’incompréhensible, par le recours à Dieu. Quand enfin l’Ange apportera son message : Marie doit devenir Mère par la puissance de l’Esprit de Dieu, son âme profonde dira : ‘C’était donc cela !’ [78] ».

Une théologie du don présente les ressources pour approfondir cette proposition de Guardini. A l’Annonciation, le Ciel et la Terre s’embrassent et s’embrasent. Toutefois ces épousailles (qui deviendront manifestes à Bethléem et achèvent le cosmos [79]) ne sauraient féconder la Terre si celle-ci ne participe pas de la manière la plus active, mais selon son mode propre qui est réceptif. Or, quant à l’opération, la plus haute et la plus active réceptivité est celle du désir qui s’extériorise dans une parole de demande (« Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? »). Quant au contenu, la plus haute et la plus active réceptivité coïncide avec l’offrande totale de soi dans une disponibilité inconditionnelle et jamais reprise, sans retour et pour toujours. Voilà pourquoi en cette question de la Vierge palpite un désir brûlant et pourquoi celui-ci porte sur la virginité comme amour sans partage. L’ouverture la plus profonde du cœur de Marie est d’ailleurs signifiée autant qu’effectuée par l’ouverture la plus profonde du corps à la vie. « Prius in mente quam in corpore ».

Toutefois, même si Marie est la seule créature qui ait reçu Dieu autant qu’il se donne, cette lecture se doit de sauvegarder la primauté absolue de l’initiative divine. Cette précédence ou prévenance divine ne se traduit pas seulement dans l’extrême surprise de la jeune nazaréenne (v. 29), mais surtout dans l’auto-révélation que la révélation de la venue de Messie suscite. Assurément, dénuée de la faute originelle et de l’ignorance qui lui est consécutive, Marie n’est pas obscure à elle-même. Toutefois, son regard ne plonge pas jusqu’à ce désir profond ou du moins ne paraît pas pouvoir le formuler explicitement. Or, au-delà des raisons sociologiques et institutionnelles, la raison la plus profonde est d’ordre théologique et requiert les ressources d’une théologie du don. Le désir qui monte du plus profond de son cœur vient du plus profond du cœur de Dieu, principe et terme. « L’abîme appelle l’abîme » (Ps. 41,8). En cet instant si solennel des noces du Ciel et de la Terre, où le Père révèle et donne Celui qui lui est le plus cher (cf. Mt 3,17), il manifeste aussi à Marie ce qu’elle porte de plus secret et de plus sacré : le désir de se donner sans réserve à son Créateur et « Sauveur » (v. 47). Ainsi, à l’Annonciation, la descente la plus aimante, le don le plus total de Dieu vient à la rencontre du désir le plus oblatif de se donner à Dieu qui soit monté au cœur d’une créature. A la nouveauté du don de Jésus correspond la nouveauté d’une « forme de vie » qui « n’existe que depuis l’Annonciation » : la « virginité ». Elle « procède uniquement de l’expérience et de la décision personnelles [80] » de Marie – à quoi il faut ajouter la prime inspiration de l’Esprit. L’acte pur d’auto-communication divine achève la puissance (potentia) spirituelle pure du désir totalement divinisé en Marie et s’ouvre sur la fécondité suprême : la conception virginale du Fils de l’homme. Cette aspiration est elle-même une « grâce » (v. 28 et 30) qui s’achèvera en Dieu dans l’action de grâces jubilatoire du Magnificat, chanté par toutes les générations jusque dans la liturgie céleste. Les mystères et dogmes mariaux s’appellent donc l’un l’autre dans cette descente et ce retour : l’immaculée conception prépare la virginale maternité divine et celle-ci s’épanouit universellement dans l’assomption.

Pascal Ide

[1] Curé d’Ars, cité par Bernadette Dumont, Les Paraboles du Curé d’Ars pour les enfants, Paris, Fleurus, 1992, p. 38.

[2] Qu’on ne lise pas ici une critique de l’excellente saga de J. K. Rowling, fort bien défendue par Isabelle Rak, « Harry Potter : quand la magie libère le discours », Communio. Foi et Féerie, 33-6 (2008), p. 37-54.

[3] Lytta Basset, « Une spiritualité d’enfant », Transversalités. Dossier : Enfants et enfance spirituelle, 115 (juillet-septembre 2010), p. 67-91, ici p. 67.

[4] Cf. Henri Martin, art. « Désirs », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, tome 3, 1957, « Discernement des vrais désirs », col. 606-623, ici col. 614-618 ; « Culture des désirs », col. 618-623.

[5] S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie (désormais abrégé ST), IIa-IIæ, q. 142, a. 1.

[6] Cf. Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle, trad. Thérèse Sas et Marie-Andrée Bouchaud-Kalinowska, Paris, Éd. du Dialogue et Stock, 1978, p. 159 ; cf. aussi p. 114, p. 155-161, etc.

[7] Catéchisme de l’Église catholique (désormais cité CEC), 8 décembre 1992, n. 2337.

[8] Benedict Groeschel, Le courage d’être chaste, 1985, trad. Anne Olivier, Nouan-le-Fuzelier, Ed. des Béatitudes, 1997, p. 117.

[9] Cf. Coll., Sexycivilisation. Figures sexuelles du temps présent, éd. Roger Dadoun, coll. « Par le temps qui court », Paris, Punctum, 2007.

[10] Bernard Forthomme, Théologie des émotions structurée par l’expérience théâtrale, coll. « Théologies », Paris, Le Cerf, 2008, p. 152. Souligné dans le texte. L’une des réponses de l’ouvrage est le théâtre.

[11] Jean-Miguel Garrigues, Par des sentiers resserrés. Itinéraire d’un religieux en des temps incertains, Paris, Presses de la Renaissance, 2007, p. 137-141.

[12] A la question de son interlocuteur (l’ouvrage se présente sous forme d’un entretien) lui demandant si ce souvenir n’avait pas troublé sa consécration à Dieu dans la chasteté, le frère Jean-Miguel précise davantage : « Non, car il n’y eut entre nous pas même le commencement d’une liaison, ne serait que purement sentimentale. Je ne devais la revoir qu’une autre fois, quand elle vint à mes conférences de Carême [à Notre-Dame de Paris]. Je n’ai jamais cherché à la retrouver : jusqu’à une date récente nous nous sommes donc vus un tout petit nombre de fois et jamais vraiment seul à seule. Son souvenir, ou plutôt sa présence en moi, ne m’a jamais éloigné de Dieu, bien au contraire. L’expérience de cet amour, unique par rapport à celle différente et complémentaire de l’amitié, pour laquelle j’ai eu toujours un cœur disponible, a sans doute contribué à me protéger contre le desséchement qui guette parfois la chasteté des célibataires consacrés. Je suis un homme qui aurait eu besoin, même dans une vie conjugale, d’aimer d’amitié plusieurs amis au cours de ma vie ; mais je n’aurais aimé d’amour qu’une seule femme : la mienne. Depuis cet été de mes vingt-quatre ans, je savais que c’eût été elle. Je me reposais dans cette douce et forte certitude ; et il en est toujours ainsi. Depuis peu nous nous revoyons dans la sérénité de l’âge, mais plus encore dans la paix de partager quelque chose de plus précieux que la vie en ce monde : la sagesse de Dieu, qui est un avant-goût d’éternité.

« Avec le recul de celui qui est entré dans la soixantaine je peux le dire : un célibataire consacré a pu rencontrer à un moment de sa vie celle avec laquelle il est convaincu qu’il aurait aussi pu vivre heureux dans le mariage ; il peut même garder durablement dans son cœur la présence sans trouble de cet amour offert à Dieu, tout en restant fidèle au chemin qui est celui de sa fécondité pour le Royaume. Dieu n’est pas jaloux de nos sentiments à la manière dont le sont certaines femmes. Il ne réclame que le don de notre cœur, mais cet engagement libre de notre volonté. Il le veut sans partage. Il n’exige pas un cœur amputé de sa capacité affective d’aimer, mais Il demande que ce cœur Lui soit pleinement remis ».

[13] Le désir amoureux ne se définit pas ; il se décrit ou se raconte ; mais, beaucoup plus, il se célèbre, et alors emprunte au registre esthétique.

[14] On pourrait ajouter d’autres critères : l’obéissance (par laquelle, au moins pendant longtemps, le frère Jean-Miguel n’a pas cherché à entretenir la relation) ; l’absence de tristesse, de regret ; l’absence de trouble (ce sentiment ne l’a jamais écarté de sa vocation).

[15] Cf., par exemple, Lode Van Hecke, Le désir dans l’expérience religieuse. L’homme réunifié. Relecture de saint Bernard, coll. « Recherches morales. Synthèses » n° 14, Paris, Le Cerf, 1990.

[16] Carnet jaune, 18.8.7, Œuvres complètes (Textes et paroles), Paris, Le Cerf et DDB, 1992, p. 1095. « J’appelle naturel et de premier mouvement tout ce en quoi la volonté raisonnable n’a aucune part. Retrancher et mortifier entièrement ces premiers mouvements est chose impossible en cette vie » (Saint Jean de la Croix, La Montée du Carmel, chap. 11, n. 2, Œuvres complètes, Paris, Le Cerf, 1990, p. 616).

[17] Cf. l’analyse très fine de ce désir d’enfant par Geneviève Delaisi de Parseval, « Entendre la stérilité », in Projet, 195 (septembre 1985), p. 22-32.

[18] Selon le titre de l’ouvrage de Robert Frydman, Paris, PUF, 1986.

[19] Dominique Grange, L’enfant derrière la vitre [en latin : in vitro], coll. « Latitudes », Paris, Ed. Encre, 1985, p. 15. L’auteur évoque son expérience ratée de FIV.

[20] Jean-Louis Baudoin et Catherine Labrouse-Riou, Produire l’homme : de quel droit ? Etude juridique et éthique des procréations artificielles, Paris, PUF, 1987, p. 154.

[21] Alain Mattheeuws, Les origines de la vie. Quelques repères bioéthiques, coll. « Cahiers de l’école cathédrale » n° 26, Paris, Mame, Cerp, 1997, p. 44 et 45.

[22] Jean-Louis Bruguès, La fécondation arificielle au crible de l’éthique chrétienne, Paris, Communio-Fayard, 1989, p. 144.

[23] Cf. ST, Ia-IIæ, q. 56, a. 4.

[24] Cf. ST, Ia-IIæ, q. 74, a. 3.

[25] Concile Œcuménique Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 13, § 1. Souligné par moi.

[26] Enaratio in Psalmum 102, n. 19 (sur le v. 12), PL 37, 1332.

[27] Jean-Paul II lui a dédié dix audiences, du 6 août au 8 octobre 1980. Encore à ce jour, nous ne possédons aucun commentaire français détaillé de ces textes essentiels. On doit une introduction heureuse à ces catéchèses à Yves Semen, La sexualité selon Jean-Paul II, Paris, Presses de la Renaissance, 2004. Je me permets de renvoyer à Pascal Ide, « Don et théologie du corps dans les catéchèses de Jean-Paul II sur l’amour dans le plan divin », in Jean-Paul II face à la question de l’homme, Actes du 6ème Colloque International de la Fondation Guilé, octobre 2003, Yves Semen (éd.), Zurich, Guilé Foundation Press, 2004, p. 159-209. Le meilleur commentaire est aujourd’hui l’introduction de l’édition anglaise réalisée par le traducteur Michael Waldstein : Man and Woman He Created Them. A Theology of the Body, Boston, Pauline, Books & Media, 2006, p. 1-128.

[28] Je citerai Jean-Paul II, Le corps, le cœur et l’esprit. Pour une spiritualité du corps, Paris, Cerf, 1984. C’est encore la seule traduction disponible. Il serait nécessaire de la reprendre à partir de l’édition critique, publiée par les soins de l’Institut Jean-Paul II, qui seule fait autorité : Uomo e donna lo creo, Roma, Città Nuova Editrice, Libreria Editrice Vaticana, 1995.

[29] Cf. le plan de l’exposé donné le 6 août 1980, n. 5, p. 67.

[30] 17 septembre 1980, n. 1 et 2, p. 96 et 97.

[31] 24 septembre 1980, n. 4 et 5, p. 102 et 103. On notera que Jean-Paul II ne distingue pas ici désir et besoin sexuel.

[32] Cf. Ibid, 1, p. 100

[33] 17 septembre 1980, n. 3 et 4, p. 98. « La concupiscence – comme l’adultère – est un détachement intérieur de la signification sponsale du corps ». (10 septembre 1980, n. 5, p. 95)

[34] Ibid., n. 5, p. 99.

[35] 24 septembre 1980, n. 1, p. 101.

[36] Ibid., n. 2, p. 102.

[37] 17 septembre 1980, n. 5, p. 99.

[38] Ibid., 4, p. 98 et 99. Et comme « valeur » se dit axios en grec, Jean-Paul II conclut que la réduction intentionnelle de la connaissance répond donc une « ‘réduction’ intentionnelle axiologique » (sic !).

[39] 24 septembre 1980, n. 2, p. 101.

[40] Ibid., n. 1, p. 100.

[41] Karol Wojtyla, Amour et responsabilité, op. cit., p. 13-36 ; sur le sens du verbe polonais, cf. note 1, p. 17.

[42] 24 septembre 1980, n. 5, p. 103.

[43] Concile Vatican II, Gaudium et spes, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 24, § 3.

[44] 24 septembre 1980, n. 3, p. 102.

[45] Cette interprétation se trouve déjà, l’analyse biblique en moins, dans l’ouvrage déjà cité de Karol Wojtyla qui propose une analyse très fine du désir humain, partant des pulsions pour remonter, pas à pas jusqu’à l’amour sponsal (Amour et responsabilité, op. cit., chap. 2 ; sur l’amour sponsal, cf. p. 86-91).

[46] Tel est le cas d’une partie de la présentation de Xavier Thévenot, « La chasteté : une saine régulation de la sexualité », Repères éthiques pour un monde nouveau, Mulhouse, Salvator, 1982, p. 44-54 ; Id., « Situations sexuelles spécifiques », in Initiation à la pratique de la théologie, tome 4, Paris, Le Cerf, 1983, p. 452-453.

[47] De manière générale, Jean-Paul II condamne le manichéisme (15 octobre 1980, n. 5 au 22 octobre 1980), le soupçon (29 octobre 1980) et une certaine conception de l’éros (5 et 12 novembre 1980) qui sont souvent confondues avec la vérité de l’Évangile ; or, toutes elles déforment le sens du véritable désir, voire l’amputent.

[48] Cf. les longs développements sur la pureté au sens large (10 décembre 1980), la pureté dans la vie selon l’Esprit (17 décembre 1980 au au 14 janvier 1981) et la pureté au sens spécifique, c’est-à-dire dans le domaine sexuel (28 janvier au 18 mars 1981).

[49] David Servan-Schreiber, Guérir. Diverses méthodes pour lutter contre le stress, l’anxiété, la dépression, sans médicament ni psychanalyse, coll. « Pocket », Paris, Robert Laffont, 2003 : pour la coherence cardiaque, cf. chap. 4 , pour l’EMDR, cf. chap. 5 et 6.

[50] EMDR signifie « Eye Movement Desensitization and Reprocessing » (Désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). L’ouvrage de référence, traduit en français, est celui de l’inventeur de la méthode : Francine Shapiro, Manuel d’EMDR (Intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires). Principes, protocoles, procédures, trad. Jacques Roques, Paris, Dunod et InterEditions, 2007.

[51] La référence clé est : Doc Childre et Howard Martin avec Donna Beech, L’intelligence intuitive du cœur. La solution Heartmath, trad. Michel Saint-Germain, coll. « Médecine du futur », Ariane, Outremont (Québec), 2005.

[52] EFT signifie « Emotional Freedom Techniques » (Techniques de libération émotionnelle). On trouve une traduction française (par Louise Gervais) du livre gratuit de Gary Craig, l’initiateur de l’EFT, en format pdf sur différents sites, par exemple : http://www.eft-performance.fr/EFT-manuel.pdf

[53] Voire, le psychiatre Henri Baruk estime que la conscience morale demeure chez les aliénés les plus gravement atteints (cf. son maître-ouvrage, Psychiatrie morale expérimentale, individuelle et sociale. Haines et réactions de culpabilité, coll. « Bibliothèque de psychiatrie », Paris, PUF, 1945).

[54] ACT signifie « Acceptance and Commitment Therapy » (Thérapie d’Acceptation et d’Engagement). Cf. l’ouvrage du psychothérapeute qui en fut l’un des pionniers en France, Benjamin Schoendorff : Faire face à la souffrance. Choisir la vie plutôt que la lutte avec la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement, coll. « Faire face », Paris, Retz, 2009. Je renvoie aussi au livre du psychologue clinicien et chercheur en neurosciences Jean-Louis Monestès, Faire la paix avec son passé. En dépassant ses souvenirs douloureux. Paris, Odile Jacob, 2009.

[55] Homo creatus est. Skizzen zur Theologie V, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1986, p. 15.

[56] Exercitien und Theologie, « Orientierung ». Katholische Blätter für weltanschauliche Information, 12 (1948), p. 229-232, ici p. 231.

[57] Le Père Jean-Claude Guy a imaginé ce récit à partir de données éparses dans les écrits d’Ignace et les témoignages le concernant. Il est rapporté par André Louf, La grâce peut davantage. L’accompagnement spirituel, Paris, DDB, 1992, p. 196 à 200. Souligné par moi.

[58] Cf. « Principe et fondement », Exercices spirituels, n° 23. Rappelons à ce sujet que le terme « indifférence » ne doit pas être pris dans son sens psychologique : dans le n° 23, « l’adjectif ‘indifférent’ ne désigne pas une absence d’intérêt, comme dans le langage actuel. Il revêt un vieux sens provenant du latin, qui avait cours en Europe au temps d’Ignace et qui, dans une certaine mesure, est demeuré en vigueur. On s’avère ‘indifférent’ quand, face à une alternative, on n’a pas en tête un choix préalable ; on reste en suspens. L’indifférent est impartial, donc libre et disponible » (Jacques Lewis, « Le principe et fondement », Cahiers de spiritualité ignatienne, 23 [1982], p. 187-203, ici p. 190).

[59] Cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi sur l’espérance chrétienne, 30 novembre 2007, n. 32-34 : « La prière comme école de l’espérance ».

[60] Cf. Jean-Louis Chrétien, Saint Augustin et les actes de parole, coll. « Épiméthée », Paris, PUF, 2002, chap. 16 et 17.

[61] Saint Augustin, Sermo 80, PL 38, 498.

[62] Cf. CEC, n. 2725-2758.

[63] Prima Ioannis, iv, 6, S. Augustin, Commentaire de la première épître de saint Jean, trad. Paul Agaësse, coll. « Sources chrétiennes » n° 75, Paris, Le Cerf, 1961, p. 233. Trad. modifiée. Cf. Spe salvi, n. 33. « L’âme se développe par le désir de ce qu’elle recherche. » (Id., Enaratio in Psalmum 39, n. 3, PL 36, 434) « Dieu met en réserve ce qu’il ne veut pas te donner aussitôt, afin que, toi, tu apprennes à désirer grandement les grandes choses. » (Id., Sermo 61, PL 38, 411)

[64] Cardinal Christoph Schönborn, Aimer l’Église. Retraite prêchée à Jean-Paul II au Vatican, en février 1996, trad. de l’allemand par Yvan Maudry, Paris, Le Cerf, Saint-Maurice, Saint-Augustin, 1998, p. 130. Souligné dans le texte.

[65] Cf. Dimitri Panine, Mémoires de Sologdine, Paris, Flammarion, 1975.

[66] Cf. Tatiana Goritscheva, Nous, convertis d’Union soviétique, Paris, Nouvelle Cité, 1983.

[67] Commentaire de la première épître de saint Jean, iv, 6, op. cit., p. 231. « L’âme se développe par le désir de ce qu’elle recherche. » (S. Augustin, Enaratio in Psalmum 39, n. 3, PL 36, 434) « Dieu met en réserve ce qu’il ne veut pas te donner aussitôt, afin que, toi, tu apprennes à désirer grandement les grandes choses. » (Id., Sermo 61, PL 38, 411)

[68] Ibid., p. 231-233.

[69] Le New Age parle d’un « d’un moi auto-créateur » ; il estime que « nous créons notre propre réalité » (Conseil pontifical de la culture et Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Jésus-Christ le porteur d’eau vive. Une réflexion chrétienne sur le Nouvel Age, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 2003, 2.3.4.1)

[70] Sermo, 56, 4. Cité par Jean-Louis Chrétien, Saint Augustin et les actes de parole, op. cit., p. 186.

[71] S. Grégoire Le Grand, Hom. in Ev., 30, PL, 76, 1220.

[72] Je résume ici les développements (critiques à l’égard de Balthasar) de Pascal Ide, « L’amour comme obéissance dans la Trilogie de Hans Urs von Balthasar », Annales Theologici, 22 (2008), p. 35-77, ici p. 69-76.

[73] Ms A, 67 v°, Œuvres complètes, op. cit., p. 183. Souligné dans le texte.

[74] Avec l’obéissance et la blessure qui attestent aussi l’irréductibilité du don transcendant, il résiste à la suspicion athée qui fait de Dieu le prolongement et la projection du désir de l’homme (Feuerbach, Freud).

[75] Cf. Ignace de La Potterie, Marie dans le mystère de l’Alliance, coll. « Jésus et Jésus-Christ » n° 34, Paris, Desclée, 1988, sur la topique : p. 57-59 ; pour l’interprétation : p. 59-63.

[76] Cf., par exemple, le propos mesuré de Thomas qui parle d’un « desiderium virginatits » (ST, IIIa, q. 28, a. 4).

[77] Ignace de La Potterie, Marie dans le mystère de l’Alliance, op. cit., p. 61.

[78] Romano Guardini, La mère du Seigneur, trad. (le nom n’est pas indiqué), Paris, Le Cerf, 1961, p. 35-37. Souligné par moi.

[79] Sur ce point, cf. le chapitre fulgurant de Gustav Siewerth qui clôt son magistral opuscule :André’s Philosophie des Lebens (mit einem General-Register zu dem dreibändigen Hauptwerk Vom Sinnreich des Lebens – Wunderbare Wirklichkeit – Majestät des Seins -Annäherung durch Abstand), coll. « Wort und Antwort » n° 22, Salzburg, Otto Müller, 1959, p. 63-64.

[80] Romano Guardini, La mère du Seigneur, op. cit., p. 39.

28.12.2017
 

Les commentaires sont fermés.