Dieu, objection au mal (6e dimanche du temps ordinaire, année B, dimanche 14 février 2021)

L’athéisme a fait du mal sa principale objection à Dieu. L’évangile de ce jour nous montre, tout au contraire, que Dieu, en Jésus, est la principale objection au mal. Centrons-nous sur trois verbes qui sont autant d’attitudes de ce Dieu vainqueur du mal.

 

  1. « Un lépreux vint auprès de Jésus ». Dieu se laisse approcher. Il vaut la peine de mesurer combien cette attitude est inattendue. À l’époque de Jésus, les dieux païens sont lointains. Ils auraient peur de perdre leur bonheur olympien en se mêlant aux mortels qui sont, au mieux, un terrain de chasse, au pire, des esclaves à leur disposition. Si les hommes essayent d’attirer leurs grâces, les dieux, eux, ne cherchent assurément pas à attirer ces hommes si corruptibles de corps et si versatiles d’âme.

Ici, que voyons-nous ? Un homme triplement exclu (physiquement, socialement et éthiquement, car l’on pensait que le mal subi de la lèpre était la conséquence du mal voulu du péché) qui est donc triplement et activement éloigné, ose s’approcher de Jésus. Ce n’est possible que parce que sa réputation de bonté rayonnante de celui-ci assure au lépreux qu’il ne sera pas une nouvelle fois rejeté. Autrement dit, ce paria des parias n’a l’audace de s’approcher que parce que Jésus l’a précédé.

Et que l’on n’aille pas dire que cette attitude ne vaut que pour l’Évangile. Depuis vingt siècles, et plus encore ces deux derniers, le Ciel ne cesse d’affleurer la Terre, multipliant les visites et les visites bienfaisantes. Cette semaine, nous fêtions Notre-Dame de Lourdes. Or, à l’époque suivant les apparitions, l’on dit que pas moins d’un pèlerin sur cent était miraculeusement guéri. Ancien responsable du bureau médical de Lourdes pendant 11 ans, le docteur Patrick Theillier, qui, le 11 février dernier, a publié un nouveau livre courageux qui va faire parler de lui (du livre autant que de son auteur), disait volontiers que tous ceux qui faisaient une authentique démarche à la grotte de Massabielle étaient, d’une manière ou d’une autre, rejoints par Dieu et guéris dans une partie de leur être et de leur histoire. Le problème n’est donc pas du côté du Donateur, toujours aussi intensément présent par ses dons, mais du côté du receveur toujours aussi intensément absent, par son manque de foi.

 

  1. « Saisi de compassion ». Le verbe grec est difficile à rendre en français. Il renvoie directement à ce que les médecins appellent les territoires splanchniques, c’est-à-dire les entrailles. Il s’inscrit lui-même dans le prolongement d’un des deux principaux termes hébreux désignant l’amour, rahamim. Construit sur le substantif réhem, il signifie, lui aussi, nos viscères, mais ici, sur mode féminin : la matrice. Ainsi, il nous est dit que Jésus est ému jusque dans les profondeurs de son être. Sa compassion effective est d’abord une passion affective. Rien de bouddhiste dans son altruisme. Son efficacité guérissante ne craint pas d’abord de se laisser atteindre par le malade et toucher dans les profondeurs de son être. Autrement dit, sa charité jaillit de son cœur.

Derechef, émerveillons-nous de ce que, loin d’être confinée dans un moment passé et dépassé de l’histoire, cette miséricorde, cœur et tripes, continue à se manifester. Rappelons-nous le message toujours aussi actuel de Jésus à Paray-le-Monial : « Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes ». Sans oublier la suite, qui est moins agréable à entendre, mais qui est si criante de vérité : « et qui, en retour, ne reçoit qu’ingratitude ».

Et, comme l’on reçoit plus facilement la compassion du cœur d’une mère, ainsi que le relevait Jean-Paul II dans son encyclique sur la Vierge Marie, le Fils accepte humblement de passer par celle-ci, en multipliant les lieux d’apparition, en particulier dans notre pays qui est si richement gratifié. Et si nous profitions du Carême qui arrive à grand pas pour faire un pèlerinage dans un de ses sanctuaires bénis ? Et cette charité aussi efficiente qu’incarnée du Bien-Aimé du Père continue à se dire et se vivre à travers ses multiples apôtres et témoins, au premier rang desquels Raoul et Madeleine Follereau dont on disait qu’ils étaient les parents de quinze millions d’enfants qui n’ont cessé de les émouvoir et qu’ils n’ont cessé d’approcher à travers leurs voyages totalisant trente tours du monde…

 

  1. « Jésus le toucha ». Avez-vous relevé ce geste ? Avez-vous constaté que, si nous nous souvenons volontiers des paroles de Jésus, nous faisons souvent l’impasse sur ce toucher ? Pourtant, si souvent, dans l’Évangile, le Messie touche ceux qui l’entourent, de la manière la plus concrète et la plus proche. Par exemple, avez-vous relevé que, à l’épisode hautement mystique de la Transfiguration, il touche ses apôtres ? Et ici, Jésus touche l’intouchable par excellence qu’est le lépreux.

N’allons pas imaginer que cet acte est simplement le fait d’un tactile méditerranéen qui multiplie les liens ! Il y a va d’une loi beaucoup plus profonde et vitale : le bien, le don, la grâce, ne se communiquent que par contact. De même que Dieu se donne im-médiatement, de même Jésus s’approche jusqu’à effacer toute médiation pour entrer en relation sans nul inter-médiaire.

Allons plus loin. En français, mais aussi dans beaucoup d’autres langues, le toucher dit autant le sens externe tactile que l’acte affectif intérieur : être touché, physiquement, c’est aussi être touché, psychiquement. Autrement dit, le toucher est connecté avec le cœur. Le tact est pour le contact et une personne de contact est aussi une personne de cœur. Paul Valéry, qui ne reculait pas devant un paradoxe, disait que la peau est ce qui, en nous, est le plus profond. Une expérience parmi beaucoup l’atteste. Des chercheurs ont volontairement laissé un portefeuille dans une cabine téléphonique (à l’époque où elles existaient encore !). Quand une personne entre pour appeler, un compère se présente à son tour et lui demande de récupérer le portefeuille qui s’y trouve et dont il dit qu’il lui appartient. Il adopte alors deux attitudes au choix : soit il se contente d’exprimer son désir, soit, en plus de parler, il effleure de manière infraliminale, c’est-à-dire imperceptible à la conscience, la personne, par exemple son bras. Dans le premier cas, une personne sur deux rend le portefeuille, dans le second, 90 % ! Qu’il est inhumain que les gestes barrières nous éloignent les uns des autres jusqu’à interdire tout contact. « Cela fait sept mois que je n’ai pas embrassé mes enfants », me disait une maman…

Là encore, une dernière fois, n’imaginons pas que ce contact médiateur d’amour soit borné à l’époque bénie de Jésus. Celui-ci a tenu à ce que ce langage corporel se continue dans l’Église qu’il a fondée : par les sacrements. Avez-vous observé que, chacun d’eux, joint une parole et un geste ? Plus encore, le langage verbal doit être contemporain du langage corporel : le ministre doit dire « Je te baptise… » en même temps qu’il verse l’eau. Que la communion dans la main est un beau geste ! Elle permet à Jésus de venir nous toucher. Et puisque la main est en contact immédiat avec le cœur, de nous donner à sentir son cœur si riche de compassion. L’Église, aimait répéter le cardinal Journet qui répétait lui-même la parole d’un pasteur, c’est l’Évangile qui continue !

 

En ce dimanche, approchons-nous de Jésus, laissons-le nous toucher et ressentons, à travers ce contact son cœur ardent. Touchés au cœur, que répondrons-nous ?

Pascal Ide

14.2.2021
 

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