Scandale
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Pays:
Américain
Thème (s):
Abus, Emprise, Manipulation, Personnalité Narcissique, Pudeur
Date de sortie:
20 janvier 2020
Durée:
1 heures 49 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Jay Roach
Acteurs:
Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

Scandale (Bombshell), drame américain de Jay Roach, 2019. Inspiré par les faits réels liés aux accusations contre Roger Ailes, cofondateur de Fox News Channel. Avec Charlize Theron, Nicole Kidman, Margot Robbie, John Lithgow.

Abus, personnalité narcissique, manipulation, emprise, pudeur

En prise sur la réalité de l’emprise, Bombshell expose le scandale des abus sans simplisme ni voyeurisme.

 

Le film est à ce point en prise avec l’actualité que, pendant les premières minutes, le spectateur pense que la personne accusée n’est pas le président de la chaîne de télévision d’information en continu américaine Fox News, mais un candidat à une présidence autrement plus élevée, celui qui a attaqué Megyn…

La présentation de l’abuseur sait être nuancée sans être en rien euphémisante. Elle montre les nombreuses compétences d’Ailes, qu’elles soient techniques ou politiques – mais aussi psychologiques. Toutefois, ce soleil dissimule mal un effroyable trou noir. Les traits de la personnalité narcissique ont été trop souvent déclinés dans cette rubrique cinéma et dans d’autres articles du site pour qu’il vaille la peine d’en faire ici l’inventaire : avec le créateur de Fox News, nous sommes face à un cas clinique qui mériterait d’être étudié, s’il ne suscitait, avant la curiosité, le plus intense dégoût et le plus énergique rejet. Ce narcissique XXL est symbolisé par l’immense gratte-ciel dont le début du film s’efforce, dans une pédagogie essoufflée, de nous expliquer le fonctionnement et qui apparaît à la fois comme le repère du monstre, le prolongement repoussant de son corps difforme, le médiateur de ses perversions et enfin le symbole de sa malice : cette structure enfermée, hiérarchisée et feuilletée protège, aide et multiplie ses forfaits.

Plus encore, et la structure de l’immeuble doit là encore être convoquée, la personnalité manipulatrice serait littéralement inexistante sans son réseau narcissique. Rarement film a mieux montré combien la maléfique araignée ne vit que des multiples fils qu’elle a tissés, certes, avec les authentiques et multiples victimes, mais aussi avec les innombrables complices, actifs et passifs – au premier rang desquels son épouse Beth (Connie Britton) qui est réduite à l’état d’ilote bêtifiante –, pour des raisons qui s’étalent du besoin de reconnaissance à la peur, en passant par la culpabilité, le salaire, etc.

 

Comment combattre et abattre ce monstre à sang froid ? Trois belles jeunes femmes, trois réactions, trois visages – tels ceux imbriqués dans l’affiche inspirée. Trois moments, aussi, dans le processus d’emprise : il y a celle qui, terrorisée autant que paralysée, muselée dans sa parole et traumatisée dans sa sexualité, vient d’entrer à son corps défendant, mais non sans une ambition consentante : Kayla ; il y a celle qui, ambivalente, coincée entre la culpabilité infinie d’avoir accepté l’inacceptable et la crainte de perdre tous les bénéfices secondaires, se tient au milieu du guet : Megyn ; il y a enfin celle qui est non seulement sortie par amertume, mais est prête à rentrer à nouveau par colère, celle de la victime qui se refuse à être victimaire et surtout celle du juste juge qui se refuse à être bourreau. Et, pour cela, prête à payer matériellement, voire psychologiquement, un prix encore plus élevé que celui déjà déboursé par sa destruction – beaucoup d’argent, sa santé, sa réputation, ses amis –, mais pour y gagner moralement l’estime d’elle-même et la justice pour les autres.

Mais revenons sur un avis trop hâtif. Si Kayla est responsable de sa présomption arriviste, la jeune évangélique n’est en rien coupable de son abus. C’est ce que prouve ce que je trouve être la plus belle scène du film : sa rencontre dans le bureau de Roger Ailes. Elle résume à elle seule tout le processus d’emprise par lequel le bourreau englue la liberté de sa victime.

D’un côté, le prédateur inhibe toutes les réactions possibles de la proie. Jouant de la séduction comme de la menace (celle de perdre son emploi), de la pseudo-évidence (la télévision n’est-elle pas un art visuel ?) comme de la flatterie (mesurez-vous l’immense chance d’être introduite dans le Saint des Saints ?), exigeant tout sans demander rien, il prévient toute résistance – le tout sur fond de concupiscence, juste évoquée par l’ouverture des lèvres jouisseuses et le rétrécissement rapace du regard.

De l’autre, le gibier se trouve de plus en plus magnétisé, jusqu’à être tétanisé, par les double-binds (doubles injonctions contradictoires) que multiplie le nuisible. De plus en plus inapte à réfléchir et bientôt à réagir, Kayla accomplit l’inimaginable : se dévêtir face à ce porc libidineux. Seul lui reste un sentiment, d’une valeur extrême, et dont les philosophes les plus fins, de Wojtyla à Scheler, en passant par Soloviov, nous ont appris qu’il est la trace indélébile de notre dignité, un sentiment ignoré de l’animal et qui sauve notre dignité unique, un sentiment qui annonce l’imminence de la pire menace, la chosification de la personne, ici l’instrumentalisation par la convoitise masculine : la pudeur. Admirable jeu, tout en nuance et en justesse, de cette remarquable actrice qu’est Margot Robbie, qui permet de comprendre au plus près ce mécanisme incompréhensible et pourtant si puissamment réel de l’emprise. Celle-ci grignote le cerveau, millimètre par millimètre, comme elle remonte sa jupe…

Mon expérience pastorale m’invite à insister fortement. Pour avoir entendu les récits de victimes adultes d’abus, je sais combien elles demeurent souvent incomprises, voire suspectées par un entourage de bonne foi, mais totalement ignorant du processus d’emprise. Non, nous ne sommes pas responsables de tous les actes que nous posons lorsqu’un prédateur nous empoisonne l’esprit et emprisonne notre liberté ! Oui, les bourreaux narcissiques sont les véritables coupables, ces victimes progressivement piégées jusqu’à en être aliénées ! Pour ces raisons, j’invite à voir ce film si insupportable en son sujet et si utile en son message.

Pascal Ide

HISTOIRE

Roger Ailes (John Lithgow) est l’un des créateurs de la chaîne de télévision d’information en continu américaine Fox News. Régnant en tyran depuis des années, il use de méthodes peu scrupuleuses avec comme objectif l’audience à tout prix. Il veut des journalistes sexy et des plans sur les jambes des présentatrices à l’antenne. Quand une jeune femme entre dans son bureau pour une promotion, il la fait défiler devant ses yeux et l’observe sous toutes les coutures. Ces méthodes ne sont plus du goût de Gretchen Carlson (Nicole Kidman), retrogradée et évincée de l’émission Fox & Friends. Elle subit les remontrances et remarques sexistes de son patron. En 2016, après son renvoi, elle décide de poursuivre Roger Ailes pour harcèlement sexuel. Cela va briser la « loi du silence » au sein de la chaine mais également auprès d’anciennes employées. Parmi toutes ces femmes, deux femmes se détachent : la célèbre présentatrice Megyn Kelly (Charlize Theron), qui sort d’une année difficile après des attaques personnelles portées par Donald Trump, lors des débats des primaires républicaines pour l’élection présidentielle américaine de 2016 ; la jeune et ambitieuse Kayla Pospisil (Margot Robbie) – compagne de Jess Carr (Kate McKinnon) – qui a été abusée par Roger Ailes, en échange d’une éventuelle promotion.

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