Past Lives
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Pays:
Américain
Thème (s):
Amour, Chagrin d'amour, Deuil, Mariage
Date de sortie:
13 décembre 2023
Durée:
1 heures 46 minutes
Évaluation:
****
Directeur:
Celine Song
Acteurs:
Greta Lee, Yoo Teo, John Magaro
Age minimum:
Adolescents et adultes

Past Lives, romance américaine, écrite et réalisée par Celine Song, 2023. Avec Greta Lee, Teo Yoo et John Magaro.

Thèmes

Deuil, chagrin d’amour, amour, mariage.

Cette superbe chronique sentimentale dont on sait que, comme pour beaucoup de premier film, elle est en partie autobiographique, peut être lue par regard occidental comme la défaite de l’amour romantique ou, par un esprit oriental, comme le triomphe d’un engagement sans passion. Et si, sans nier ces interprétations, le sens profond était encore ailleurs ?

 

  1. Assurément, Nora et Hae Sung sont plus que de très bons amis d’enfance. Ils s’aiment et, dans la mentalité coréenne, comme dans l’âme universelle de ces enfants très entiers, ne peuvent envisager la vie l’un sans l’autre. Suivons-les dans les trois moments du film qui sont aussi comme trois vies (passées et présente) et trois saisons de l’amour.

 

Incontestablement, le jeune garçon est amoureux de la jeune fille depuis le début. Dès leur premier échange, tout est dit : « Nora, pourquoi tu pleures ? Parce que tu es deuxième ? – Oui ! – Tu m’en veux d’être premier ? – Oui ! – Pourquoi ? Moi, je suis toujours second et je ne pleure pas ». Hae Sung est si centré sur Nora qu’il devine par empathie chaque mouvement de ce cœur qui se réserve et se préserve. Il est aussi assez proactif et donc viril en posant ses questions directes pour attirer le cœur exigeant de cette battante. Enfin, il lui reproche déjà implicitement d’être trop centrée sur sa défaite (toute relative), donc sur son rêve, et ainsi d’être trop peu décentrée d’elle-même vers celui qui l’aime tant : s’il n’a d’yeux que pour elle, elle n’a d’yeux que pour ses larmes.

Plus tard, dans le jardin public, tout dira leur complicité discrète autant que secrète, depuis les jeux de cache-cache et la proximité touchante mais sans toucher, jusqu’à la projection des mères. Enfin, Nora elle-même l’avoue de la manière la plus limpide au début de la deuxième partie (qui pourrait s’intituler comme une certaine trilogie dumasienne « Douze ans après », suivi de « Dix ans plus tard », sous-titre du Vicomte de Bragelonne), mais à sa sœur : « J’étais raide dingue » amoureuse. Si l’amour est déjà asymétrique dans l’expression, il est égal en intensité.

 

De fait, une fois devenus jeunes adultes, ils sont toujours épris l’un de l’autre. D’un côté, Hae Sung est toujours si saisi par son grand amour d’enfance (« À l’armée, je ne cessais de penser à toi ») qu’il y puise l’énergie de la chercher inlassablement, malgré l’obstacle considérable que le changement de prénom a ajouté au changement de continent. Et lors de leur première rencontre via les plateformes en ligne, tout exprimera cet élan profond et durable. Le non verbal (le regard amoureux émerveillé) et le verbal (« Tu m’as manqué »), le signe qu’est la stable similitude (« C’est toi ») et la cause qu’est sa virilité (il ose lui donner un ordre : « Va manger tout de suite »).

Du côté de Nora-Na, l’amour n’est pas moins présent, même s’il est plus latent. Là encore dans les gestes (elle court dans la rue à son rendez-vous numérique) comme dans les paroles (à l’aveu « Tu m’as manqué », elle répond en écho : « Toi aussi »). Dans le passif (elle ne peut s’empêcher de rayonner de bonheur : « Pourquoi es-tu de si bonne humeur ? ») et dans le pro-actif (elle synchronise ses levers-couchers sur le décalage horaire, elle se met à chercher peineusement les équivalences entre son clavier Qwerty et 24 lettres de l’alphabet coréen).

 

Enfin, douze ans plus tard, l’asymétrie expressive continue à couvrir la réciprocité amoureuse. C’est lui qui franchit les océans et les continents, pour affronter les orages désirés et se confronter à celle qu’il n’a jamais cessé de tendrement chérir. Son cœur est à la fois plein d’appréhension, voire triste (il pleut sur la ville comme il pleure en mon cœur, dit son visage face à New York gris et pluvieux) et soulevé par une secrète espérance (il arrive en avance, très en avance). Et ce qu’il n’a osé avouer seul à Nora, il ose lui confesser, dans le bar, en présence d’Arthur, selon des conditionnels dont les pleurs qui les accompagnent nous disent qu’ils valent tous les indicatifs : « On se serait mariés », « On aurait eu des enfants ». Mais ne l’a-t-il pas déjà exprimé, toujours au nom du primat du non-verbal, dans le métro, lors de cet intense échange de regards silencieux et cet entrelacement des mains si proches ?

Pour Nora, sans surprise, tout se dit dans l’implicite ou plutôt le voilé. Dans le temps que cette femme si mesurée et si efficace, accepte d’offrir. Dans les questions d’autant plus pressantes qu’elles concernent un passé qu’elle n’a nullement oublié : « Pourquoi as-tu cherché à me revoir ? » (il y a douze ans) Dans cet inconscient qui parle tellement plus fort et plus haut que son conscient si contrôlé : « Tu rêves toujours en coréen », lui révèle Arthur. Enfin, dans le devenir de ses pleurs qui épousent une histoire riche de sens : les larmes de la pleurnicharde » de douze ans s’asséchent chez l’émigrée canadienne pour ne laisser place qu’à quelques pleurs soigneusement maîtrisés et, encore douze ans plus tard, une fois Hae Sung parti (elle ne pouvait consentir à un tel abandon en sa présence), revenir et devenir les sanglots de l’adulte qui se réconcilie enfin avec la sensibilité extrême de la petite fille inconsolée.

 

  1. Alors, pourquoi Hae Sung et Nora ne se retrouvent-ils pas et, selon l’heureuse logique coréenne, ne se marient-ils pas ?

 

  1. Pourtant, les multiples signes qui parsèment l’histoire semblent suggérer cette heureuse issue. Par exemple, en plein : le double rayon lumineux qui perce comme un incompressible espoir, au terme autant de la première que de la deuxième parties ; le passage du selfie solitaire de Hae Sung au double selfie sous la bien nommée Statue de la liberté. Par exemple, en creux, la flaque d’eau où brille le feu rouge symbolique de l’interdit et se brouille, comme pour en signifier la levée. Mais ne nous trompons pas de signes. Lors des retrouvailles à New York, Nora est si cordiale dans son accueil face à un Hae Sung si réservé que parce que, au-delà du choc des cultures entre cette coréenne-new-yorkaise et ce « coréen-coréen », cette embrassade ne signifie pas plus pour elle qu’une amitié, amitié qu’elle croit assez forte pour refouler tout amour.

Voire, dans la scène finale, tout donne à attendre (ce qui ne veut pas dire espérer) que les deux protagonistes s’avouent enfin leur amour. Depuis le fond de lignes horizontales constitué par le rideau métallique du garage qui se configurent en un champ d’attraction sur lequel les corps désirants ne peuvent que progressivement glisser et irrésistiblement se rapprocher. Jusqu’à l’imperceptible giration de Hae Sung qui, tourné vers la rue vide en attente du taxi Uber, se convertit degré après degré vers celle qu’il n’a jamais cessé d’aimer. En passant par ce double regard si intense qu’il se passe de tous mots et surpasse tous les maux. C’est dans ces scènes, travaillées comme des tableaux et saturées de symboles, que s’affirme tout l’art d’une cinéaste-scénariste riche de promesse, et la direction d’acteurs riche de sens.

Enfin, tout ce que nous avons petit à petit appris de l’histoire de Nora nourrit aussi cet espoir d’un rapprochement. Si, dès la prime scène ouvrant la troisième partie, l’astucieux passage de la douane, gorgé d’informations données en passant semble nous inviter à renoncer à tout espoir (Arthur et Nora sont non seulement mariés, mais toujours amoureux), nous apprenons là aussi progressivement que ce mariage n’a rien eu de romantique et tout d’utilitariste (l’obtention de la carte verte), que leur rencontre n’eut rien de passionnel, mais tout du sexuel (deux célibataires qui sont attirés physiquement, mais non amoureusement), que leur vie quotidienne ou leur objectif commun n’a rien de matrimonial (ils n’ont pas de progéniture, et rien n’est dit de cette absence), mais tout du professionnel (s’étant croisés sur un campus d’auteurs, ils sont tous deux écrivains). Donc, comment ne pas espérer secrètement le triomphe du cœur sur la tête, de la passion sur la raison ? Et, loin d’être une objection, le statut matrimonial de Nora devient une approbation et la transgression une occasion de démultiplication, tant la passion se veut au-delà de la mesure et le romantic love au-delà du bien et du mal (peu importe le vin des noces, pourvu qu’on ait l’ivresse).

 

  1. Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi, toujours au terme, l’embrasement de l’embrassement ne se produit-il pas ? Avouons-le, dans la scène d’attente du taxi, notre attitude intérieure était divisée : une partie de nous-même s’attendait à (ce qui ne veut pas dire attendait !) l’étreinte volcanique ; une autre redoutait une consommation qui aurait rimé avec compromission. Multiples et en partie cachées sont les raisons qui ont prohibé cette conclusion aussi présumée que crainte.

(i) Du côté de Nora, la plus évidente réside dans la préférence donnée à son ambition. En effet, tout dit, en creux, son incapacité à assumer l’échec et, en plein, son besoin d’élargissement, depuis la sortie hors de cette étouffante vie coréenne et son affranchissement d’un destin qui préprogramme son avenir, en passant par son désir de changer de nom, jusqu’à ses rêves les plus fous (même quand elle ne s’imagine plus être lauréat du prix Nobel de littérature, elle guigne encore le prix Pulitzer). À cette influence paternelle qu’elle s’avoue (« Je suis autrice de pièe de théâtre, comme mon père ») fait écho le titre MacBeth qui apparaît dans la liste des ouvrages empilés à côté de son ordinateur portable. Toutefois, Nora n’a pas tout oublié de son identité coréenne : une parole entendue lui rappelle combien certains s’amputent en s’arrachant à leur terreau d’origine. Et si le premier pôle est sigillé par le père, le second, l’est par la mère qui, toujours présente avec elle outre-Atlantique, est la seule personne avec qui elle parle la langue si justement qualifiée de maternelle. N’est-ce pas chez sa mère que Nora ose ressentir sa peine après que Hae Sung lui a fait comprendre qu’il ne viendra pas avant un an et demi ? Enfin, la petite fille n’a-t-elle pas aussi intériorisé la justification que sa mère donne à la mère de Hae Sung pour expliquer son départ dans une terre si lointaine : « Il y a ce qu’on abandonne et ce qu’on gagne ». Parole assurément dynamique et courageuse. Mais ne paie-t-elle pas le gain de l’arrachement du prix de l’attachement ?

Une autre raison, plus importante, au refus de Nora réside dans le refus préalable de son ami à venir la rejoindre ou plutôt son désir de retarder sa venue aux États-Unis. Alors que son cœur, en tremblant, s’était ouvert à un possible amour, sa raison dit dans ce trop long délai, l’indice d’une faible intensité. Seule une forte passion pour le jeune homme aurait pu compenser la si forte passion qui l’attache à sa nouvelle patrie américaine.

(ii) Mais pourquoi n’est-ce pas Hae Sung qui, profondément amoureux, a décidé de tout quitter (la Corée) pour acheter la perle rare en rejoignant sa Belle de l’autre côté du globe ? Il faudra attendre leurs retrouvailles, dans la dernière partie, lorsque l’irréversible qu’est le mariage s’est produit, pour l’apprendre. Avec cette franchise occidentale qui surmonte les peurs-pudeurs orientales, elle ose lui demander : « Pourquoi as-tu cherché à me revoir ? » Et lui explique enfin clairement les différents motifs dont le principal est sans doute un manque d’estime de soi : « Je suis trop ordinaire. Je me disais : il faut qu’elle rencontre quelqu’un de plus important ». Si viril soit-il, il n’est pas allé jusqu’au bout de cette masculinité conquérante – qu’il est si rare de voir affirmée, sans excès ni défaut, dans le cinéma actuel. La conséquence, dramatique, n’a pas manqué : « Je fus déçu ».

 

  1. La raison a ses raisons que le cœur ne connaît pas. Les éblouissements de la raison ont des beautés que les feux de l’amour ignorent. L’amour est-il donc voué à opter ou osciller entre passion et raison ? Est-on condamné à cette bifurcation aussi mortelle qui devient divergence toujours plus grande – tel l’embranchement qui, au terme de la première partie, est symbolisé par les deux rues où s’engouffrent Nora et Hae Sung : si proches au départ au point de fusionner, ils s’éloignent toujours plus, au point de ne plus pouvoir converger. N’a-t-on comme possibilités que de tout céder à la passion jusqu’à la mort des épousailles (et de l’époux délaissé) ou tout concéder au devoir jusqu’à la mort de l’amour ?

Je ne crois pas que ce grand film se borne à cet aiguillage simpliste et désespérant. Au contraire, il nous suggère une autre issue, plus cachée et plus féconde, plus douloureuse, mais plus glorieuse. Un signe parmi d’autres. Les deux premières parties s’achèvent sur un « Au revoir » qui sonne comme un « Adieu » désolé ; la troisième, elle, s’ouvre sur un « À bientôt » chargé d’espérance. Mais quelle espérance ? D’un mot : l’espérance d’un deuil consenti aux vies passées (n’est-ce pas le titre du film ?). Brutalement : « On n’est plus des bébés ». Doucement : « C’était notre vie d’avant ». Précisons. Ce que, depuis un célèbre article de Freud, la psychologie appelle « travail de deuil » doit être interprété en positif : il ne s’agit pas seulement d’une négation de la négation, mais d’une assomption, afin que s’ouvre une vie présente et surtout à venir. Disons-le avec des catégories plus filmiques : les vies passées ne sont pas des vies parallèles qu’un multivers nous permettrait de parcourir. « L’avenir est une porte, le passé en est la clé ».

 

  1. C’est ce que montre admirablement une des plus belles scènes du film : le long échange entre Nora et Hae Sung au bar. Son importance est triplement attestée : elle l’histoire ouvre à notre insu ; elle est dédoublée ; ses spectateurs et commentateurs qui, invisibles, pourraient être nous-mêmes, attestent la nouveauté des liens qui sont en train de se tisser. De manière très fine et précise, les deux amis parlent de leur relation passée, c’est-à-dire affirment à la fois qu’elle s’est passée (donc qu’elle fut réelle) et qu’elle est dépassée (donc qu’elle est sans avenir). Ce faisant, ils conjurent deux risques opposés : le déni de l’ancienne vie ; son idéalisation. Ensuite, et peut-être plus efficacement, ils confirment cette double vérité dans le registre parabolique de la métaphore, celle de l’écuyer et celle des oiseaux (il faudra attendre la sortie en vidéo pour pouvoir les citer littéralement).

Bien entendu, Hae Sung pleure, discrètement, mais réellement, face à Nora ; bien sûr, celle-ci, encore plus pudiquement, mais plus abondamment, versera de chaudes larmes. Mais « qui sème dans les larmes moissonne dans la joie ». Comment ne pas noter l’inaccomplissement profond de nos héros même âgés de 36 ans ? Hae Sung, parce qu’il idéalise (« Pour les idéalistes comme toi, c’est difficile de se marier »), n’a pas réussi à satisfaire toutes ses expectatives sur le mariage (« Les conditions ne sont pas réunies ») et enfin, n’a pas non plus d’enfants. Nora, parce que si réaliste soit-elle et si vigilante à réaliser ses aspirations soit-elle, elle n’a pas encore fondé cette famille qui témoigne de l’ouverture définitive à l’avenir. On peut donc espérer que ce travail (au sens où l’on parle du « travail de l’accouchement ») du négatif permettra à nos deux héros d’enfin porter un fruit qui demeure.

 

  1. Mais n’y a-t-il pas quelque volontarisme à ainsi se réjouir de ce que Nora et Hae Sung ne cède au tsunami (ou à l’incendie, selon la métaphore que vous chérissez !) de la passion ? La réalisatrice-scénariste n’a-t-elle pas trop concédé à la logique cornélienne de « la raison sur la passion souveraine » dont l’équivalent oriental, mais radicalisé, se trouve dans la néantisation bouddhiste du désir ? Non, car, là encore, s’ouvre une troisième voie, aussi éloignée du défaut que de l’excès du sentiment amoureux : son assomption vertueuse. En effet, intégrée et purifiée par la volonté, la passion se met au service du bien de l’autre.

D’abord, la libre volonté s’enracine dans l’intelligence. Or, tout montre que Nora et Hae Sung se connaissent. Par exemple, la jeune femme sait ses qualités (comme sa virilité) et ses défauts (comme son idéalisme) ou ses limites (comme son côté « coréen coréen »). Autrement dit, entre idéalisation de la passion et négation du refoulement, elle opte pour le second.

Ensuite, la volonté est bienveillance. Or, là encore, tout montre que les deux protagonistes veulent le bien de l’autre. Nora, celui d’Arthur et de son couple : « On ose se disputer : c’est comme planter deux arbres dans un même pot. On a besoin de prendre sa place ». Hae Sung, celui de la jeune femme : « Tu as bien fait d’émigrer. La Corée était trop petite pour toi. Tu me plaisais parce que tu es toi : quelqu’un qui part ». « Si coûteux soit cet aveu (« Je ne pensais pas que cela ferait si mal »), il ne peut pas ne pas se transformer en vœu de bonheur (« Ça se voit qu’il [Arthur] t’aime vraiment »).

Par ailleurs, pas de vertu sans un fondement qui, ultimement, est religieux. Ce n’est assurément pas un hasard si Arthur se présente comme Juif et si le concept bouddhiste du In-Yun (« providence » ou « destin ») traverse tout le film. Si ce thème est déconstruit comme tactique de drague et suspecté d’être fataliste, il est aussi réinterprété comme un hasard porteur de sursens (deux corps qui se croisent »), comme une pudeur respectueuse de l’autre (« Deux habits qui se touchent »), comme le tissage du visible et de l’invisible qui nous dépasse, comme patience de l’amour (« huit mille couches ») qui déborde nos limites et ouvre notre temps à la nouveauté.

Enfin, comment ne pas saluer l’admirable place laissée au tiers présent dans la scène décisive du bar ? Elle se déroule non pas sous le contrôle ou la surveillance d’Arthur qui ignore le coréen, mais en sa présence et sa médiation. Loin de concéder à la problématique transgressive et au fond romantique du ménage à trois, il atteste que l’enjeu est la vérité même de l’amour. La présence de l’époux symbolise l’horizon d’objectivité sur lequel se déroule toute relation (non pas ce tiers anonyme dont parle la psychanalyse, mais cet universel concret de la vérité et du bien qui mesure tout amour) et présentifie la promesse d’une consolation (les époux ne sont-ils pas l’un pour l’autre un support mutuel ?)

Au terme, alors que Hae Sung s’éloigne en taxi, le visage apaisé sous les lumières crépusculaires de la grande ville solitaire, Nora se réconcilie enfin avec ce passé coréen dont elle a trop longtemps refusé la vitalité. Puis, dans un geste qui n’est pas sans évoquer le mariage, elle monte, appuyée sur son époux, les marches la conduisant vers la maison commune. Ayant donné désormais sens à son passé et s’étant délié de tout fatalisme passionnel ou mythologisé, Hae Sung s’envole vers un avenir nouveau. S’étant enfin harmonisée avec elle-même, Nora se donne le droit de s’élever vers un futur enfin fécond et serein.

 

  1. De prime abord, la structure ternaire de ces trois douzaines d’années devrait s’intituler : unis, séparés, réunis – non sans résonance avec la rythmique universelle création-décréation-recréation. En fait, la dialectique de la communion et de la séparation, du rapprochement et de l’éloignement, recouvre avec subtilité le tout, autant que chaque moment de l’histoire. Par exemple, dès le début, le spectateur sent le décalage entre l’intérieur et l’extérieur, et même entre l’extérieur proche et l’extérieur lointain. Ce que Hae Sung manifeste, Nora le dissimule. S’il est habité par la préférence de l’autre et du prochain, elle est habitée par la préférence du tout autre et du lointain. S’ils pouvaient être amis, ils ne pouvaient devenir époux. Comme le dit Nora à son mari : « On n’est pas fait l’un pour l’autre ».

Au printemps de la première partie succède donc le long hiver de la communion dévastée dans la deuxième, avant que, dans la dernière partie, ne se substitue l’automne d’un deuil qui prépare en secret les fruits du long été de l’amour enfin pleinement choisi.

Pascal Ide

Deux écoliers de douze ans, Nora (Greta Lee) et Hae Sung (Teo Yoo), vivent une amitié forte. Mais, un jour, la famille de Nora décide de quitter Séoul pour s’intaller à Toronto, séparant douloureusement et abruptement les deux enfants.

Douze ans plus tard, Hae Sung parvient à retrouver Nora devenue Na grâce aux réseaux sociaux, et reprend contact avec elle. Mais ils ne font que se voir à distance et ne franchissent pas l’immense espace qui les sépare alors qu’ils sont manifestement encore épris l’un de l’autre sans se le formuler.

Encore douze ans après, Nora vit maintenant à New York, comme auteur et épouse d’Arthur (John Magaro), un autre auteur qu’elle aime. Cette fois-ci, Hae Sung, alors qu’il est en stand-by dans une relation affective qu’il n’arrive pas à finaliser, décide de retrouver son amie d’enfance pendant une semaine. Vont-ils s’avouer leur amour ? Mais celui-ci est-il toujours vivace ? Ne serait-ce pas briser le mariage heureux de Nora ?

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