Mon bébé
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Thème (s):
Relation mère-fille
Date de sortie:
13 mars 2019
Durée:
1 heures 27 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Lisa Azuelos
Acteurs:
Sandrine Kiberlain, Thaïs Alessandrin, Victor Belmondo
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

Mon bébé, comédie française de Lisa Azuelos, 2019. Avec Sandrine Kiberlain, Thaïs Alessandrin, Victor Belmondo.

Thèmes

Relation mère-fille.

De cette comédie légère (à tous les sens du terme) sur la fusion et la défusion mère-fille, la cinéaste s’attarde sur la première pour conclure, de manière plutôt improbable, à la seconde.

 

En effet, le film commence par la crise de panique d’une mère entre syndrome du nid vide et syndrome Hiroshima (vous savez, ces Japonais qui, ayant tout perdu une fois, filment ou photographient tout de crainte d’à nouveau faire leur deuil). S’en suivront des alternances de soliloques tragiques contre l’ingratitude des enfants, et de rapprochements tactiles intensément surinvestis avec les trois enfants, bref des comportements excessifs d’une mère que certains qualifieront de rock’n’roll et complice, alors qu’ils sont d’abord incontrôlés et adolescents. D’ailleurs, cette relation indifférenciée, sans père ni repère, s’étend, sans surprise ni reprise, à la trajectoire éthique, débordée autant que désorientée, de cette mère divorcée en pleine reconfiguration sentimentale. Laissant faire sa fille, entre pétard et soirée techno qui se termine inévitablement entre les bras de Louis, le meilleur ami de Théo (Mickaël Lumiere), Héloïse ne peut lui offrir que l’exemple d’une morale opportuniste où le mensonge (à la principale comme au policier), le stupre et l’insulte (au volant) sont aussi normatifs au dehors qu’exclus au dedans du cercle familial où tout doit être transparence, fidélité et respect.

Une telle duplicité privé-public se traduit dans un renversement générationnel : c’est Jade qui révèle à sa mère qu’elle l’« aime trop », la protège en retardant l’annonce fatale et prend elle-même les décisions du détachement. Le rythme bondissant autant que le caractère pétillant de Sandrine Kiberlain qui fut récompensée d’un prix d’interprétation au festival de l’Alpe d’Huez, le caractère partiellement autobiographique autant que la quasi enquête sociologique, n’y changent rien : notre société adolescentrique qui brouille les différences parents-enfants promeut par réaction la parentalisation et le sauvetage.

 

Pourtant, dans une telle fusion-confusion, advient la défusion. D’abord du dehors : d’une parole improbable d’un père aussi immature que sa fille. Contre toute attente, Jules (Patrick Chesnais), qui entretient une relation avec une femme plus jeune qu’Héloïse, va prononcer les mots qui séparent : « Il va falloir que tu penses à toi ». Avec les catégories maladroites de la prétendue dialectique de l’égoïsme et de l’altruisme, heureusement sur fond de reconnaissance (« Tu leur as tout donné. Ma fille, je suis fière de toi »), il énonce une vérité vitale oubliée par une femme survoltée qui, entre substitution (la vie de sa fille a occupé toute la place de sa vie affective) et médiation (son iPhone s’est transformé en caméra), a d’abord oublié toute intériorité.

Ensuite, du dedans. Toujours au terme, le film nous offre un de ses plus beaux moments. Lui-même se dédouble. Il se présente d’abord comme un acte de mémoire. Héloïse se souvient de Jade qu’elle pousse sur sa balançoire : symbole transparent du jeu du Fort-Da (1), la mère, autant que la fille, expérimentent un premier détachement, au risque mesuré par le retour immédiat. Il se présente ensuite et aujourd’hui comme une décision : celle d’écouter le désir qu’a Jade d’accomplir un saut en parachute, là encore, symbole du grand saut risqué qu’est la séparation.

Mais comment s’inscrira dans le temps (et dans l’espace) un choix assurément courageux et aimant, mais qui n’est en rien porté par cet univers massivement sigillé par l’omniprésence des valeurs féminines et où l’on ne sait si l’expression « Mon bébé » interpelle plus la fille ou la mère ?…

 

(1) Le jeu du Fort-Da, ou jeu de la bobine, a été décrit et interprété par Sigmund Freud en 1920 [1]. Il observe son petit-fils Ernst, un an et demi, qui, muni d’une bobine, attachée par une ficelle, la lance puis la ramène à lui. En même temps, commençant à maîtriser le langage, l’enfant prononce successivement deux mots : Fort et Da, littéralement « Là-bas » et « Là ». Or, le fondateur de la psychanalyse est frappé de la répétition : Ernst reproduit son geste « inlassablement ». C’est donc que le jeu présente un enjeu : en l’occurrence, l’alternance de présence et d’absence de la mère. Autrement dit, le petit s’habitue à l’abandon maternel. Il peut ainsi progressivement ajourner la satisfaction pulsionnelle, abandonner l’immédiateté du principe de plaisir pour entrer dans le principe de réalité.

Pascal Ide

[1] Au-delà du principe de plaisir, trad. Janine Altounian, André Bourguignon, Pierre Cotet et Alain Rauzy, dans Œuvres complètes de Freud.Psychanalyse, Paris, p.u.f., tome xv, 1996, p. 284-288.

Jade (Thaïs Alessandrin, propre fille de la réalisatrice), 18 ans, est la benjamine d’Héloïse (Sandrine Kiberlain) qui, divorcée de Franck (Yvan Attal), désormais l’élève seule alors que ses deux aînés, Théo (Victor Belmondo) et Lola (Camille Claris), se sont déjà envolés. Pour l’heure, Héloïse qui conduit Jade à son bac blanc, est encore plus stressée qu’elle et invente une histoire bien féminine si invraisemblable que l’agent de police la laisse passer malgré un grave excès de vitesse.

Plus tard, elle découvre que sa fille a été acceptée à l’Université Mc-Gill à Montréal et ne peut se faire à l’idée de se retrouver seule. En repensant à tous les doux souvenirs partagés avec ses enfants, surgit l’idée de filmer son quotidien avec sa fille, comme si elle devait la perdre définitivement. Mais est-ce la meilleure manière de se préparer à son prochain départ ?

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