Les Oiseaux
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Thème (s):
Mal
Date de sortie:
Mai 1963
Évaluation:
****
Directeur:
Alfred Hitchcock
Acteurs:
Tippi Hedren, Rod Taylor, Suzanne Pleshette...
Age minimum:
Adolescents et adultes

Les Oiseaux

Thriller horrifique et fantastique américain d’Alfred Hitchcock, 1963. D’après la nouvelle éponyme de Daphné du Maurier.

Thèmes

Le mal, dans ses différentes dimensions.

Le film, peut-être le plus célèbre, du cinéaste américain, assurément l’un de ses plus originaux avec Psychose, fut salué pour sa prouesse technique : bien avant les facilités offertes aujourd’hui par les images numériques, Hitchcock a réussi à combiner, superposer techniquement des photos d’animaux dressés avec des effets spéciaux. Surtout, il a connu de multiples interprétations. D’autant que le film semble inachevé, l’histoire paraît suspendue, laissant sans réponse la question : pourquoi les oiseaux attaquent-ils ? Mais la véritable interrogation posée par cette histoire sibylline, intentionnellement polysémique, n’est-elle pas autre : que symbolisent les oiseaux ?

Trois interprétations semblent possibles – auxquelles j’ajouterai deux autres qui sont complémentaires.

1) Lecture marxiste

Ce film raconte les différentes phases de la révolution décrite par Karl Marx. En effet, l’histoire commence en nous montrant les opprimés : les multiples oiseaux encagés dans l’oisellerie. Plus encore, cette oppression est cachée, puisque l’ordre règne dans la prison ouatée de la luxueuse oisellerie : tout est fait pour aliéner, endormir, faire que l’ordre établi soit accepté sans rébellion. D’ailleurs les oiseaux ne représentent-ils pas l’espèce prétendument inférieure, donc dominée et exploitée. Puis, progressivement, les oiseaux vont se regrouper, pour rejeter l’oppression. Jusqu’au grand soir. Corbeaux prolétaires de tout le pays, unissez-vous. « Amis, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ? »

2) Lecture psychanalytique

À côté de cette lecture sociologique, précisément marxiste, on peut proposer un décryptage psychologique, précisément psychanalytique. Qui ignore combien le réalisateur est hanté par les grands thèmes de l’anthropologie freudienne. Il n’hésite par exemple pas à faire appel au thème de la fusion homicide dans Psychose : la folie meurtrière d’Alan Bates est clairement corrélée au refus d’abandonner sa mère pourtant morte.

Les oiseaux représentent l’anarchie pulsionnelle et leur révolte, le retour du refoulé. Le film raconte alors une désaliénation non plus sociale mais individuelle : la libération pénible, coûteuse, du lien œdipien.

En effet, au point de départ, le grand frère veut apporter un couple d’inséparables à sa petite sœur. Or, loin de symboliser une relation incestuelle/euse entre frère et sœur, ces oiseaux au nom tellement symbolique représentent plutôt la relation avec Lydia Brenner (Jessica Tandy), la mère qui rêve d’une relation sans perte, sans altération, sans risque. En effet, veuve, elle désire ne plus perdre son fils, souhaite pérenniser le bonheur présent et, en réalité, introduit la mort avec l’immobilité : cette mère castratrice a d’abord écarté l’institutrice Annie Hayworth (Suzanne Pieshette) avec qui Mitch a eu une brève aventure et voit maintenant d’un mauvais œil les prémisses d’une nouvelle aventure entre son fils et Melanie. Inséparable devient alors synonyme d’absence de distance, donc de fusion. De fait, en anglais, le terme est lovebirds

Mais, malgré la promesse réitérée de livraison, les oiseaux ne sont pas au magasin et une étrangère doit les apporter ; de plus, cette jeune femme vient du lac, donc de l’extérieur. Dès lors, elle introduit une altérité qui menace le bonheur indifférencié, sans autre dont rêve la mère. Sa jalousie destructrice à l’égard  de ces jeunes femmes rivales va prendre la forme de ces noirs animaux, tout droit jaillis de l’inconscient. Voilà pourquoi les oiseaux agressent la jeune fille au moment où elle accoste sur le rivage interdit. Une confirmation de cette interprétation est donnée par la petite sœur qui détourne ces agressions sur Annie : celle-ci sort à cause de Cathy ; or, cette dernière est la seule qui veut le bonheur de son frère, donc sort de la fusion mortifère.

Enfin, au terme, les différents habitants de la maison la quittent toutes portes ouvertes. Or, la maison représente l’enfermement, l’autre prison, familiale ; tous les monstres qui étaient enfermés dans l’oisellerie, sont désormais dehors, plus menaçants que jamais. Et la cause de l’exode libérateur, du salut, est l’ancienne « fiancée » qui meurt pour la nouvelle.

3) Lecture écologique

Une troisième interprétation possible applique le schème commun aux deux premières, à savoir la dialectique dont on sort par un redoublement de la violence, à la relation entre l’homme et la nature.

On peut en effet lire cette attitude agressive des oiseaux comme une révolte de la nature contre l’homme. Autrement dit, comme un retournement de la domination jusqu’ici exercée par l’homme sur son environnement. En effet, les oiseaux que l’on enferme veulent vivre en liberté. Pour le lui montrer, une seule voie : faire subir à l’homme ce que lui-même leur fait subir. Dans une parabole qui n’est pas sans rappeler Le rossignol de l’empereur de Chine, les oiseaux enferment donc un couple dans une maison..

Comment ne pas relever l’humour au second degré, le film ayant dû faire appel à des images de synthèse pour représenter les oiseaux ?

À ces lectures qui font appel aux sciences sociales et humaines, je joindrai deux lectures sapientielles, philosophique et théologique.

4) Lecture philosophique

Les oiseaux se présente comme une réflexion sur le mal et le possible salut, sur fond de seconde guerre mondiale. Au point de départ, nous sommes confrontés à la fausse innocence de celui qui veut ignorer l’existence du mal ailleurs : l’american way of life oublie et dénie l’horreur nazie qui s’est déroulée de l’autre côté de l’Atlantique. Jusqu’à ce que le mal se rappelle lui-même à la conscience de ces faux candides qui sont de vrais aveuglés. Certains ont vu des similitudes entre ces oiseaux et les bombardiers qui tous deux planent et plongent, entre la rue incendiée et les villes bombardées, entre les personnes massées dans les abris et les villageois regroupés dans le bar.

Au point de départ, le mal apparaît aussi à la fois injuste et tout-puissant. En fait, il pointe son doig accusateur sur l’homme : n’a-t-il pas quelque responsabilité dans l’existence de ce mal ? Surtout, n’est-ce pas à lui – non pas de consentir, de manière fataliste, mais – d’agir pour enrayer le mal ?

Si cette interprétation est valide, la leçon semble alors profondément pessimiste : le héros s’enfuit dans un monde où le mal règne partout ; même sa famille en est douloureusement affectée de l’intérieur. L’absence d’attaque des oiseaux ne saurait réconforter ; elle n’est peut-être que différée ; l’avenir semble tellement peu assuré…

5) Lecture théologique

Comment une fable aussi riche de sens ne présenterait-elle pas aussi une dimension transcendante ? Pour des raisons biographiques (cf. François Truffaut, Hitchcock Truffaut, ou Le Cinéma selon Alfred Hitchcock, Paris, Robert Laffont, 1966 ; rééd., Paris, Gallimard, 1993), Alfred Hitchcock n’était-il pas hanté par le mystère de l’innocent injustement accusé, voire par celui du péché originel ? Mais aussi par le regard divin. N’a-t-il pas appelé la vue aérienne de Bodega Bay juste après l’explosion « le point de vue de Dieu » (cf. Ian et Perkins Cameron, « Interview with Alfred Hitchcock », Movie, 6 janvier 1963) ?

L’histoire du salut se déroule en trois temps : création, chute, rédemption. Tout commence avec l’innocence originelle du jeune homme. Il continue avec la lutte non pas éternelle, mais personnelle, du bien et du mal. Que les oiseaux soient nombreux et anonymes, ne signifient pas qu’ils soient indifférenciés. Ils sont plutôt « légion », comme les ennemis du Christ. Mais qui les combattra ? Qui a le cœur assez pur pour pouvoir en triompher ? Le film semble en demeurer au constat du mal omniprésent, voire tout-puissant, donc paraît s’arrêter au deuxième temps de l’histoire sainte : la faute. Dans une fin alternative qui n’a jamais été tournée, Lydia, la mère, prie ainsi, révélant toute sa culpabilité refoulée : « Dear God, Dear God, what have we done ?  »

Pourtant, le film tout entier relève d’une ambiance eschatologique, depuis la première scène où les oiseaux tournent inexplicablement dans le ciel de San Francisco. En particulier, la dernière scène où la voiture de Melanie, conduite par Mitch, quitte la ferme au petit jour (surtout connue pour la difficulté proverbiale à y masser des oiseaux sur tous les plans) baigne dans une lumière parousiaque. Certes, la menace est très palpable : le monde attend son jugement ; tout ce qui fut caché sera révélé. Mais une trouée fait descendre la lumière du soleil : le monde attend d’abord un pardon qui ne peut que venir du Ciel.

6) Conclusion

Ce quarante-huitième long-métrage constitue une exception dans le cinéma hitchcockien : c’est l’unique film fantastique de l’auteur ; c’en est aussi le plus angoissant. Or, loin d’être seulement psychologique, cette angoisse est sociologique et cosmologique ; voire elle est d’origine éthique et théologique (elle symbolise la rupture avec Dieu).

En cette année de la miséricorde, nous sommes en droit de demander : le grand cinéaste a-t-il suffisamment pris en compte que le temps présent est celui du pardon toujours offert ? « Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17).

Pascal Ide

L’élégante Melanie Danniels (Tippi Hedren) se rend à Bodega Bay pour offrir un couple d’oiseaux, les « inséparables », à Cathy Brenner (Veronica Cartwright). Celle-ci est la petite sœur de Mitch Brenner (Rod Taylor), un avocat qu’elle connaît à peine. Progressivement, contre toute attente et contre toute logique, différentes sortes d’oiseaux se mettent à attaquer les êtres humains, les agressions devenant de plus en plus meurtrières. Épargneront-ils Melanie et Mitch ? Surtout, pourquoi s’en prennent-ils aux hommes ?

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