Les animaux fantastiques III
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Pays:
Américano-britannique
Thème (s):
Rédemption, Scénario
Date de sortie:
13 avril 2022
Durée:
2 heures 22 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
David Yates
Acteurs:
Eddie Redmayne, Jude Law, Mads Mikkelsen, Ezra Miller, Alison Sudol, Callum Turner, Jessica Williams, William Nadylam Katherine Waterston, Dan Fogler
Age minimum:
Adolescents et adultes

Les Animaux fantastiques III. Les Secrets de Dumbledore (Fantastic Beasts: The Secrets of Dumbledore), fantastique américano-britannique de David Yates, 2022. C’est le troisième des cinq opus prévus de la série Les Animaux fantastiques qui constitue une « extension du monde des sorciers », se focalise sur plusieurs personnages présents dans la saga Harry Potter et débute soixante-cinq ans avant celle-ci qui se déroule dans les années 1990. Avec Eddie Redmayne, Jude Law, Mads Mikkelsen, Ezra Miller, Alison Sudol, Callum Turner, Jessica Williams, William Nadylam Katherine Waterston, Dan Fogler.

Thèmes

Rédemption, scénario.

Dans son troisième opus, Joan Rowling développe avec grande rigueur les quatre problématiques qui sont, soit déjà en partie déployées, soit seulement ébauchées, ou plus inédites, dans les précédents épisodes. Cette incontestable maîtrise du scénario, qui s’inscrit dans le sillage de la maestria narrative de la saga Harry Potter, n’interdit pas la mise à question, voire la mise à distance.

Le scénario affronte quatre crises et même conflits qui sont autant d’enjeux anthropologiques et éducatifs : entre parent et enfant (Dumbledore et Croyance) ; entre les personnes qui s’aiment d’amitié ou d’amour ; entre l’homme et la nature ; entre le bien et le mal. Ayant abordé les trois premiers thèmes dans nos précédentes critiques, nous nous centrerons sur le dernier.

 

Ce troisième volet est sans doute central aux deux sens du terme : mathématiquement, puisqu’il est le troisième des cinq films qui ont été initialement prévus ; dramatiquement, puisqu’il révèle enfin l’enjeu que sont les deux grands secrets de Dumbledore – justifiant ainsi le titre au pluriel ; « évaluativement », puisque, après avoir dit le bien et le moins bien que nous pensions de cet épisode, notre note sera elle aussi médiane. Affirmons-le d’emblée. Rowling continue à manifester qu’elle est un grand auteur, à la fois profonde et cohérente, capable de mener une intrigue avec rigueur et profondeur, allant jusqu’au bout et jusqu’au but de ses enjeux humains et en tirant les conséquences narratives. Plus encore, elle puise sa problématique dans le cœur même de notre cœur qu’est le centre de la foi chrétienne, à savoir le salut et le salut dans et par l’amour.

Dans Harry Potter, cet enracinement proprement théologique avait conduit à plusieurs thèmes décisifs : la protection du jeune sorcier par l’amour inconditionnel de ses parents, le sacrifice, c’est-à-dire le don de soi « jusqu’à l’extrême » de Dumbledore, la conversion de Rogue, l’éducation de Harry qui, avec les vertus cardinales et l’amitié, est initié à plus essentiel encore : le don, le pardon et l’abandon – le reste qui fascine tant n’étant que la scène où se déroule le drame et qu’invente avec brio notre très créative auteur. Bref, le premier cycle est centré sur le salut de Harry et, par sa médiation, celui des « bons ».

Mais, dans Les Animaux fantastiques, la romancière devenue scénariste approfondit la problématique sotériologique et touche au point le plus important demeuré intouché par la première saga : la rédemption des « méchants » ou plutôt du « méchant ». En effet, Voldemort apparaît – au double sens du terme, dans son apparence et dans son apparition – comme le bad guy irréversiblement enfermé dans sa problématique de bad guy, pour les besoins, donc pour les nécessités, de l’intrigue. Or, ici, Rowling va plus loin, beaucoup plus loin. D’un côté, elle continue à faire de Grindelwald le fauteur du mal. L’on regrettera seulement que, tout en montrant qu’il poursuit son œuvre de perversion au service de son unique obsession et conviction, le pouvoir absolu, qui passe par la destruction de tous les Moldus et l’asservissement de tous les sorciers, elle n’approfondisse pas sa face sombre et manipulatrice, en ses causes et en ses effets, qu’elle avait si magistralement déployée dans le précédent opus. Quoi qu’il en soit, la grande nouveauté de l’intrigue est de faire du mage noir aussi le bénéficiaire du salut – du fait de son amitié avec Dumbledore. Rowling pose ainsi un problème extrêmement difficile, autant éthiquement que dramatiquement : comment à la fois combattre et sauver un super-vilain ?

Pour résoudre cette redoutable aporie, Rowling fait appel à une invention qui, caractéristique de son imaginaire, n’est pas sans résonance avec certaines réalités de la première saga (horcruxe, etc.) : le pacte de sang. Par cet objet, elle objective et pérennise l’amour et sort de la pure intériorité fluctuante du sentiment à laquelle on le réduit aujourd’hui.

Comment le pacte de sang n’évoquerait-il pas une autre alliance, celle que, dans l’Ancien Testament, Dieu noue avec son peuple par le sang des animaux et, plus encore, dans le Nouveau, il scelle par le sang de son Fils ? Comment ce symbole effectif ne ferait-il pas songer à ces signes efficaces par excellence que sont les sacrements qui permettent à la fois d’objectiver, d’extérioriser, de signifier et de causer ? Ne voyons surtout pas dans ces hypothèses une profanation ni même une sécularisation. Déchiffrons plutôt ici, ce que l’on retrouve chez d’autres grands auteurs de féerie anglais, à savoir un imaginaire ardemment façonné par leur foi chrétienne.

Quoi qu’il en soit de la réponse à ces questions, le problème scénaristique qui se pose à Rowling autant qu’à Dumbledore, devient le suivant : comment à la fois sauver les Non-Maj du mal et du Malin incarné qu’est Grindelwald, et, dans le même temps, affranchir le bourreau lui-même de lui-même ?

La solution intermédiaire découverte par Rowling dans l’affrontement final est aussi originale que la problématique : non pas tuer le méchant qui veut le tuer, mais le protéger ; pour cela, non pas un duel, mais un « triel ». L’entrecroisement des sortilèges contraires conduit à rompre le pacte de sang. Mais, après un bref et violent affrontement, Albus Dumbledore et Grindelwald hésitent, et ce dernier finit par s’enfuir. Quelle sera la solution définitive qui réconciliera les deux objectifs de prime abord inconciliables : défendre les innocents et racheter le coupable ? La rigueur, voire l’ascèse dont Rowling a fait preuve avec les Harry Potter nous le certifie : elle a trouvé une solution unique et cohérente qui nous étonnera et nous émerveillera.

 

Demeurent deux problèmes de fond.

Le premier concerne bien entendu le contenu éthique, à savoir l’homosexualité. Évoquée lors d’une interview par Rowling comme une hypothèse, bien avant que ne commence la série des Animaux fantastiques, l’orientation sexuelle de Dumbledore devient ici le thème principal. Comment expliquer ce choix ?

Faire de ce pacte de sang une relation qui lie un disciple à son maître, un enfant à son père, un époux à son épouse, est banal. Il est donc plus original de la nouer entre deux grands amis. Mais comment rendre ce lien plus dramatique et l’investir émotionnellement ? En faisant de cette amitié un amour. Rowling en fait-elle pour autant le lieu d’un engagement idéologique pour la libération des minorités opprimées ? Autrement dit, milite-t-elle en faveur de la culture gay ? Les convictions par ailleurs défendues avec courage et indépendance d’esprit nous assurent que non.

Nous émettrons donc l’hypothèse suivante. Le fait de l’attirance est énoncé, sans être jugé, mais aussi sans être revendiqué ou emblématisé. De plus, il est dit, mais pas montré. Voire, ce qui est mis en avant est l’attachement amical. En effet, l’amitié entre hommes se différencie de l’amitié entre femmes en ce que les premiers font ensemble, alors que les secondes sont ensemble. Autrement dit, les hommes sont d’autant plus proches qu’ils partagent une mission commune. Et si l’on crie au stéréotype, nous répondrons que cette diversité se fonde sur un psychisme qui, dès le sein utérin, est façonné par son environnement hormonal [1]. Or, tel est le cas d’Albus et Grindelwald qui poursuivent de concert la plus haute des missions : changer le monde. En ce sens et seulement en ce sens, le choix de faire de Dumbledore un gay est compréhensible – ce qui ne signifie pas qu’il soit « sauvable ».

Mais, en renouvelant la trame, Rowling perd à son insu le cœur du christianisme : elle refuse de faire des deux autres relations, celle du père et du fils, celle de l’époux et de l’épouse, l’axe dramatique par excellence. Dieu veut à la fois nous épouser et nous enfanter : « Ton créateur est ton Époux, ton Rédempteur » (Is 54,5) – la filialité exprimant la dépendance et la sponsalité l’interdépendance. La conséquence en est que l’investissement affectif, qui est le ressort de toute intrigue réussie, est manqué : qui, hors les adhèrents à l’idéologie gay, seront affectivement touchés par cette amitié amoureuse entre les deux hommes ?

 

Le deuxième problème concerne la cohérence même de Rowling vis-à-vis de son projet d’ensemble. Osons-le dire. Si Rowling est une magicienne de l’écrit, elle demeure une technicienne du script. Le passage des sept romans aux huit films, qu’elle a voulu superviser, nous l’avait déjà montré : quelle entropie ! Chez notre auteur, le génie de l’aventure et du supense ne se déploie pleinement que sur la longue durée et le mode de la narration écrite. Même si ce passage a disparu, puisqu’elle inspire le seul script, l’on devine qu’elle a pensé son intrigue, et donc le scénario, comme un roman.

Mais il y a plus. On le sait, la romancière s’est engagée à ne pas donner de suite à Harry Potter. N’est-elle pas fidèle à sa promesse en ne développant que les préquelles ? Toutefois, à son insu, elle introduit une contradiction dont son œuvre demeurera marquée irréversiblemet. Un autre JR, J.R.R. Tolkien en a fait les frais, lui qui a passé les dernières années de sa vie à tenter d’harmoniser rétrospectivement le legendarium qu’est le Silmarilion avec l’épisode final qu’est Le Seigneur des Anneaux. En effet, entre le passé et l’avenir, la relation est de progression, voire de progrès – surtout dans une histoire dramatique (traversée du mal, arrachement du bien à la violence). Or, la suite des deux sagas va du futur au passé, alors que Rowling, comme auteur, a progressé dans sa compréhension de la trame narrative. Redisons-le : elle a dorénavant compris que la question humainement la plus importante et scénaristiquement la plus efficace n’est pas le sauvetage de celui qui meurt, mais le salut de celui qui fait mourir [2]. Et redisons-le aussi, Harry Potter pose la première problématique et Les Animaux fantastiques la seconde.

Conséquence inéluctable : l’approfondissement scénaristique entre les deux franchises s’oppose à l’ordre chronologique de maturation. Autrement dit, l’histoire précédente sera paradoxalement plus radicale que la suivante. Je ne cours pas de risque à prophétiser qu’Albus risquera sa vie dans les deux derniers épisodes des Animaux fantastiques. Toutefois, alors que, dans le premier cycle (Harry Potter), Dumbledore sacrifiera sa vie pour lutter contre Voldemort, dans le second cycle (Les Animaux fantastiques), il fera beaucoup plus : il la donnera pour le mage noir qui, comme Judas, entendra son Seigneur lui murmurer à l’oreille, à lui et à lui seul : « Ami » (Mt 26,50).

Pascal Ide

[1] En l’occurrence, la testostérone, dont le taux est dix fois plus élevée chez l’homme que chez la femme, le prédispose aux choses et à l’action. Pour le détail des études le démontrant, cf. René Écochard, Homme, femme. Ce que nous disent les neurosciences, Perpignan, Artège, 2022.

[2] Il faudrait enrichir l’extraordinaire ouvrage d’Auerbach et montrer que la Bible a fait passer d’une histoire du mal tragique qu’est le mal subi au mal dramatique qu’est le mal agi et donc réformable. Cf. sur le site : « L’origine biblique du roman réaliste. Mimésis d’Auerbach ».

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