Le mystère Henri Pick
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Pays:
Français
Thème (s):
Amour, Mystère, Vérité
Date de sortie:
6 mars 2019
Durée:
1 heures 40 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Rémi Bezançon
Acteurs:
Fabrice Luchini, Camille Cottin, Alice Isaaz, Bastien Bouillon, Vincent Winterhalter
Age minimum:
Adolescents et adultes

Le Mystère Henri Pick, comédie française coécrite et réalisée par Rémi Bezançon, 20191. Adapté du roman éponyme de David Foenkinos, 2016. Avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Alice Isaaz, Bastien Bouillon, Vincent Winterhalter.

Thèmes

Amour, mystère, vérité.

Sur fond d’une énigme stimulante et innovante, ce polar (sans meurtre), rafraîchissant comme une bouffée d’air breton chargée d’embruns, nous parle du mystère croisé de l’amour et de la vérité.

 

Les films à intrigue sont malheureusement trop rares, estime un grand amateur de Maurice Leblanc (l’inventeur d’Arsène Lupin était encore davantage l’inventeur d’énigmes parmi les plus astucieuses et les plus suggestives de l’histoire de la littérature policière). Comme toutes les histoires à énigmes dignes de ce nom, Le mystère Henri Pick multiplie les fausses pistes. D’autant que, astucieusement, le casting prend un acteur peu conu pour que le spectateur n’intussusceptionne pas que son rôle est essentiel. Accompagné par une musique sibylline sans cesser d’être légère, le scénario nous fait épouser les essais et les erreurs de l’autoproclamé Sherlock Holmes et l’autodénié Dr Watson, comme les allers-retours, autant temporels, entre le passé de plus en plus riche et un présent de plus en plus obscur, que géographiques entre Paris et la Bretagne.

Sur fond de cette histoire épatante, ce sont deux mondes qui s’opposent : celui, tout de superficialité voulue du monde de l’édition parisienne, et celui de naïveté subie d’une petite ville de province soudain bouleversé par une gloire passagère autant qu’illusoire. Dès lors, le véritable chassé-croisé n’est pas celui de l’amour et du hasard (l’improbable rencontre entre Jean-Michel Rouche et Joséphine Pick), ni celui de la vérité et du hasard (la démultiplication aélatoire des hypothèses, toutes éjectées).

 

Dans ce monde de paillettes qui exécutent les auteurs sans même les prévenir (non sans excuses : un Français sur trois écrit un livre de sorte que les grands éditeurs comme Gallimard et Seuil n’acceptent qu’un manuscrit sur mille, et, selon les mots de la toute-puissante éditrice Inès de Crécy, « les lecteurs deviennent moins nombreux que les écrivains »… ?), Rouche est celui qui cherche la vérité sans l’amour. Au point que celui qui s’est ratatiné (« Tu es devenu plus petit ») et a troqué la passion contre le cynisme, selon les mots de son épouse, perd d’un coup son travail, sa femme et sa réputation, selon ses propres mots. Mais, en cette quête opiniâtre autant qu’inconditionnelle du vrai (« Les impostures littéraires sont toujours démasquées »), deux choses vont se produire en lui.

La première, comme une vérité intérieure (« Cette affaire m’a révélé »). Certes, Rouche est aussi victime de la cabale jalouse de ceux qui veulent sa place. Mais lui-même n’a-t-il pas vendu son âme, c’est-à-dire son appel profond, en acceptant d’être présentateur alors qu’il est critique littéraire, plus encore, d’écrire des essais aussi prometteurs que les Prolégomènes à une métaphysique de la narratologie (sic !), alors qu’il porte en lui la fibre d’un grand écrivain (ainsi que Joséphine lui rappelle sans aménité mais en toute authenticité).

Le second événement, qui est le fruit béni du premier, est la découverte de la vulnérabilité. Au contact de ces bretons aussi bruts et résistants que le granit, il va reconnaître sa cuistrerie (« Je suis venu vous présenter mes excuses ») et découvrir la générosité (c’est par compassion pour ces orphelins d’éditeur que Jean-Pierre Gourvec (Marc Fraize) a érigé cette étrange bibliothèque). De fait, nous voyons progressivement l’homme inflexible qui jouit d’être seul contre tous et d’avoir raison contre tous, s’adoucir, sourire et s’ouvrir, c’est-à-dire apprendre de l’autre et finalement aimer. La phrase répétée à Joséphine : « J’ai l’impression que vous êtes folle de moi » n’est qu’apparemment narcissique : elle est une projection sur l’autre de ce qu’il ressent en lui (« J’aime votre façon de conduire »).

 

Tout à l’opposé, le cheminement du « coupable » consistera à passer de l’amour à la vérité. Plus précisément, celui qui a implicitement opté pour l’amour sans la vérité va devoir, dans une épreuve décisive, accueillir la réalité, donc le vrai, et, avec cohérence, quitter celle qui, au fond, n’aime qu’elle-même en lui. Au début, nous voyons Fred tolérer l’intolérable attitude de Gérard Despero : sa mésestime de lui-même seule autorise le manque de respect de l’autre. Puis nous le retrouvons dans l’ombre au cocktail du Seuil, alors que la compagne arriviste qu’il continue d’admirer (« Qu’est-ce qu’elle est belle ! ») se pâme sous les projecteurs. Au terme, nous découvrirons toute la supercherie fomentée par Daphné : mascarade qui l’a conduit à sacrifier la vérité de son talent au mensonge de la carrière de son égérie. Et si, acculée, confrontée à son double langage, sa bien-aimée passe, avec une incroyable virtuosité, de Bourreau à Victimaire (jusqu’à la crise de larmes), elle ne quitte pas son besoin totalement égocentré de réussite et de reconnaissance, jusqu’à construire sa carrière sur les débris de celle de celui qui devrait être l’amour de sa vie. Sub-jugué au sens propre, c’est-à-dire écrasé par le joug de l’amour fou et de la fragilité de l’artiste maudit, l’écrivain-loser s’ébroue de cette double fascination contrastée, passionnelle et morbide, pour naître à la vérité. Symboliquement, Fred quitte Daphné en pleine nuit et se contente, sans attenter à sa réputation, d’envoyer son roman au si lucide Rouche. L’épilogue, heureusement elliptique, laisse le soin au spectateur d’imaginer ce que sera la suite : scandale ou étouffement. Mais l’issue n’est-elle pas suggérée lorsque le critique chambre de manière réjouissante la surfaite Marguerite Duras…

 

L’introduction faisait allusion à la distinction fameuse où le philosophe contemporain Gabriel Marcel recueille beaucoup de sa pensée : celle de l’énigme (le problème, dans le lexique marcellien) et du mystère. « Mystère, c’est un problème qui empiète sur ses propres données ». Même si le titre fait d’abord allusion à ce qui n’est qu’énigme-problème, il recèle en son sein un véritable mystère : par la médiation improbable d’un simple pizzaïolo, un critique littéraire à la superficialité arrogante et une bretonne à la rigidité contrôlante recontactent le cœur vulnérable et généreux de leur être.

 

Pascal Ide

Frédéric dit « Fred » Koskas (Bastien Bouillon), jeune écrivain qui vient de publier un four, La baignoire, et compagnon d’une jeune éditrice, Daphné Despero (Alice Isaaz), se fait chambrer par Gérard (Vincent Winterhalter), son futur beau-père, chez qui ils passent un week-end à Crozon, au cœur du Finistère. Sur une suggestion de son père, Daphné décide de se rendre dans la bibliothèque municipale où se trouve une section dite « des livres refusés », consacrée aux manuscrits que des éditeurs n’ont pas acceptés. Elle y découvre un manuscrit, Les Dernières Heures d’une histoire d’amour qu’elle décide aussitôt de publier. Le roman qui devient aussitôt un best-seller, est d’autant plus hors du commun qu’il a été écrit par un certain Henri Pick, un pizzaïolo breton décédé deux ans auparavant dont sa femme Madeleine (Josiane Stoléru) dit que son génie méconnu d’époux n’a jamais écrit autre chose que des listes de courses – et ce n’est pas celles de Proust… Sans compter qu’un tel chef d’œuvre bouscule les catégories bien en place de la critique littéraire : le bleu versus l’auteur patenté, l’inconnu versus l’écrivain (re)connu, le provincial versus le parisien, etc.

Mais voilà que la belle machine marketing mise en place par Daphné, s’appuyant sur la longue expérience de l’éditrice en chef du Seuil, Inès de Crécy (Astrid Whettnall), va se heurter à l’acribie du critique littéraire et animateur télévisé à succès, bref, le Bernard Pivot que Fabrice Luchini a toujours rêvé de jouer, Jean-Michel Rouche. Recevant Madeleine Pick sur son plateau, femme modeste abasourdie par le succès du livre et paniquée par son passage à la télévision, il émet l’hypothèse que le roman de son mari serait une mystification. Madeleine et sa fille Joséphine (Camille Cottin) sont outrées. Le contrecoup ne tarde pas à se faire sentir : Rouche perd son travail (par un simple texto) et son épouse qui lui fait comprendre que leur vie de couple n’existe plus depuis longtemps.

Qu’à cela ne tienne, ce rejet généralisé le stimule. Rouche part pour la Bretagne, bien décidé à percer le « mystère Henri Pick », d’autant que, contre toute attente, Joséphine, la jolie divorcée, se met à le seconder, tout en souhaitant démontrer la thèse exactement contraire : son père est bien l’auteur de ce talentueux roman, où se rencontrent la Bretagne et la Russie de Pouchkine. L’enquête aboutira-t-elle ? Est-ce le seul roman du roman qui est en jeu ?

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