La Mule
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Pays:
Américain
Thème (s):
Amour, Espérance, Famille
Date de sortie:
23 janvier 2019
Durée:
1 heures 56 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Clint Eastwood
Acteurs:
Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne
Age minimum:
Adolescents et adultes

 

 

La Mule (The Mule), drame biographique américain coproduit et réalisé par Clint Eastwood, 2018. Inspiré par l’histoire de Leo Sharp. Avec Clint Eastwood, Bradley Cooper, Laurence Fishburne, Alison Eastwood, Michael Peña.

Thèmes

Espérance, amour, famille.

L’acteur-coproducteur-réalisateur de 88 ans, autant que le héros du biopic, nous donnent à voir ce qui manque le plus à notre monde actuel et qui pourtant soulève le plus le cœur de l’homme : l’espérance et l’espérance d’une métamorphose salvatrice.

 

Entre la première et la dernière image du film, quel changement ! La prime scène nous montre un homme très amoureux… de ses lys. Earl Stone chérit tellement les fleurs qu’il a donné le nom de l’une d’elles à sa fille, oubliant en revanche de lui dire qu’il l’aime plus que celles-ci. Nous l’apprendrons plus tard, cette passion dévorante n’a dévoré tout son temps que parce qu’elle a dévoré son cœur. Dans l’ultime plan, nous le voyons paisiblement traverser la partie de la prison où désormais il vit non plus pour ces fleurs d’exception, mais pour, par elles, faire vivre les autres de cet amour émerveillé.

 

Comment expliquer un tel chemin ? Une fois n’est pas coutume, l’événement déclencheur de cette mutation radicale ne se produit pas au terme, mais au tout début – même si les effets ne se feront sentir que sur le long terme. En effet, en perdant ses moyens de vivre, Earl perd aussi sa raison de vivre. Imprévoyant jusqu’à l’imprudence, cet horticulteur-inventeur est monomane jusqu’à l’idolâtrie (et, si le mot existait, l’antholâtrie). Comme tout jouisseur, cet homme de l’instant présent prend alors brutalement conscience que sa vie ne dure que ce que durent les lys : la cigale qui avait fait chanter ses lys tout l’été de vie n’avait rien accumulé pour l’hiver de la récession. En préférant sa fleur, il a exclu tous les autres : sa femme, sa fille, ses amis, ses relations. Et, selon une loi presque nécessaire, celui qui exclut se trouve tôt ou tard exclu. Earl se retrouve donc seul, terriblement seul.

Or, ce premier choc, bien que traumatisant, au lieu de susciter une salutaire rentrée en lui-même, le conduit, par le biais d’une heureuse-malheureuse rencontre, à une dégringolade encore plus cataclysmique : non plus seulement matérielle et relationnelle, mais morale. Comment toutefois comprendre que le vieil homme, qui n’a jamais enfreint une seule fois le code de la route et donc ne transgresse pas la loi, se laisse ainsi aveugler ? En le voyant accueilli par une mitraillette et sommé de ne pas regarder le contenu de son chargement, même le ravi de la crêche en aurait nourri un soupçon !

Le film ne proposant aucune interprétation, le spectateur est laissé à ses supputations. La raison de cette cécité tient-elle au besoin de survivre dans la solitude et la disette, à la candide naïveté de l’homme qui aime rendre service (Earl ne cesse de donner des conseils, y compris à ceux qui ne lui demandent rien), au désir de créer des liens d’amitié (et le monde des petits dealers mi-philippins, mi-mexicains est campé avec modération et même compassion), voire de paternité (« Cesse de m’appeler fiston ! »), à un appétit qui lui fait croquer la vie, le « meilleur sandwich au porc du monde » et toute autre délectation concupiscible, à l’amour des longues randonnées en voiture (Earl ne sillonnait-il pas les routes des États-Unis 60 heures par semaine ?) sur des chansons de Dean Martin et des tubes de jazz (dont on sait que Clint Eastwood est un amateur éclairé) ? Peut-être toutes ces motivations rassemblées. J’en rajouterai une qui n’est pas anodine : le besoin de réparer (c’est ainsi qu’il paiera les études de sa petite-fille ou la réception de sa fille), et de reconstituer les liens qu’il a négligés au sens le plus étymologique du terme (construit sur le verbe ligare, « lier », précédé d’un préfixe négatif, la négligence qui est négation du lien devient alors le contraire de la religion, selon l’une des possibles origines du mot).

Or, parcourant les cercles concentriques plus haut nommés, Earl va progressivement se rapprocher de sa famille et, ultimement, du centre rayonnant, sa femme qu’il a toujours aimée et qui l’a toujours aimé.

 

Le véritable basculement suppose toujours une décision de la liberté, et une décision qui engage la vie. Celle-ci se prendra quand la mule devra choisir entre continuer à rouler pour le cartel et rendre visite à sa femme mourante. Non seulement il optera résolument pour l’amour de sa vie, et ainsi pour sa famille (« Je fus nul comme père et comme mari »), mais, pour la première fois de son existence, il demeurera longuement et gratuitement près des siens. S’en suivra un échange bouleversant entre Earl et Mary. Lui, parce qu’il a tout perdu, mais surtout parce qu’il a tout à se faire pardonner : « Je suis désolé pour tout, Mary. C’est vrai, je croyais que l’important c’était d’être quelqu’un, alors que j’étais une nullité dans ma famille. Je suis là ». Elle parce que, au seuil de la mort, elle recontacte son cœur en sa vulnérabilité – « J’ai peur » ; « Je suis si contente que tu sois là » –, et donc avec ses besoins fondamentaux que sont la vérité – « Les autres avaient droit au Earl délicieux » – et l’amour – « Tu as été l’amour de ma vie et la souffrance de ma vie » – inconditionnel – « On t’aurait ouvert les bras, riche ou pas ».

Plus tard, l’échange inattendu entre le flic (Colin) et le ripoux (Earl), loin de montrer la traditionnelle interchangeabilité des rôles, sera l’occasion pour Earl, décidément sauveteur, de mettre en mots la prise de conscience qui l’a saisie, et ainsi d’attester tout le chemin qu’il a accompli.

 

Mais le chemin ne s’arrête pas là. Nous avons vu qu’Earl est passé du stade esthétique au stade éthique : chez Kierkegaard, celui-ci culmine dans l’engagement au mariage ; or, par de multiples gestes, le héros cherche à reconquérir sa femme (« Tu es en beauté », « J’essaie de récupérer le temps perdu », la scène aussi hilarante qu’émouvante au cinéma) jusqu’à, en quelque sorte, la réépouser en s’allongeant délicatement près d’elle et en transformant le lit de mort en lit conjugal. Mais Earl n’ébauche-t-il pas aussi une ouverture vers le troisième stade, le stade religieux ? Trois signes : en consentant à se rendre au chevet de Mary, il met sa vie en jeu ; en se refusant à l’imposture victimaire que propose l’avocat, il témoigne héroïquement de la vérité, au prix de ce qu’il a toujours préféré, sa liberté chérie ; en profitant de son statut de détenu, il transmet son goût des fleurs et ainsi se donne.

D’ailleurs, le philosophe danois faisait de l’humour la transition entre l’étape éthique et l’étape religieuse. Or, n’est-ce pas cet humour qui transparaît dans la discrète critique des institutions (de l’avocate compromise à la police de Chicago dont la corruption est proportionnelle à l’élévation dans la hiérarchie : quelle dérision que ces dizaines de policiers pour arrêter un nonagénaire !) ou dans les égratignures au politiquement correct sur le racisme et les clichés sur les dealers…

 

Comment ne pas songer à Gran Torino ? J’avouerai que, lorsqu’Earl choisit sa famille contre ses tournées en pick-up, j’ai un moment pensé à un spectaculaire retournement du héros qui, se sachant perdu, se serait sacrifié pour que le cartel soit démembré et la drogue saisie. Mais ce que La mule perd en exemplarité martyrielle, il le gagne en réalisme (certes Walt Kowalski raconte un chemin exemplaire de conversion et de don, mais l’exemplaire demeure idéal) : Earl est ce M. Toulemonde qui, même à 90 ans (« Tu fleuris sur le tard »), peut encore radicalement changer de vie et, en sauvant la sienne, rayonner sur celle de ses proches et même des plus lointains. Être jeune, c’est avoir plus d’avenir que de passé : « Je t’aime, Mary, plus qu’hier et bien moins que demain ». Pour cet épatant acte d’espérance, merci M. Eastwood !

Pascal Ide

Illinois, 2005. Earl Stone (Clint Eastwood), vétéran de la Guerre de Corée, est devenu horticulteur : il cultive des lys, en invente, participe à un concours floral dont il remporte le premier prix, bref vit à ce point pour les fleurs… qu’il en oublie le mariage de sa fille Iris (Alison Eastwood, oui, la fille même du grand Clint).

12 ans plus tard, alors qu’il est âgé de 90 ans, Earl n’a pas surmonté la crise liée à la vente en ligne, est endetté jusqu’au cou et n’a plus de perspective d’emploi. Il se rend à une fête organisée par sa petite-fille Ginny (Taissa Farmiga). Mais son ex-femme, Mary (Dianne Wiest), a tôt fait de deviner qu’il n’est venu que pour chercher un toit et le jette. C’est alors qu’Earl est accosté par un latinos qui, apprenant qu’il avait traversé 41 État sur 50 sans avoir jamais eu une contravention, lui propose un « job » particulièrement facile : transporter un mystérieux produit avec son pickup à un endroit fixé sans demander ni regarder. Grassement payé, Earl n’est que trop heureux de voir ses factures passer à la trappe, d’autant que, homme de relation, les Mexicains qui l’approvisionnent l’apprécient au point de l’appeler « Tata », c’est-à-dire « grand père ». Jusqu’au jour où un doute le prend et qu’il découvre qu’il convoie de la cocaïne pour le compte d’un cartel de la drogue. Mais son besoin d’argent et sa réputation de générosité lui font vite ravaler ses scrupules. Pourtant, à son insu, un nouveau venu arrive à la DEA (Drug Enforcement Administration) de Chicago : l’agent Colin Bates (Bradley Cooper), sous la direction de l’Agent spécial de la brigade des stupéfiants (Laurence Fishburne), et avec l’aide de l’agent Trevino (Michael Peña), compte bien coincer la mule qui fait transiter la drogue et remonter jusqu’au parrain local, Laton (Andy García).

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