Jésus L’Enquête
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Thème (s):
Conversion, Jésus, Résurrection, Vérité
Date de sortie:
22 vévrier 2018
Durée:
1 heures 52 minutes
Directeur:
Jon Gunn
Acteurs:
Mike Vogel, Erika Christensen, Robert Forster, Frankie Faison, Faye Dunaway
Age minimum:
Tout public

 

 

 

Jésus : l’enquête (The Case for Christ), biopic américain de Jon Gunn, 2018. Inspiré du roman éponyme de Lee Strobel publié en 1998. Avec Mike Vogel, Erika Christensen, Faye Dunaway.

Thèmes

Conversion, Jésus, Résurrection, vérité.

Le biopic émouvant de Jon Gunn n’est pas seulement un superbe témoignage, tel qu’on s’attendrait à l’entendre sous la grande tente de Paray-le-Monial, lors d’une session d’été, il est une leçon d’apologétique et, avant tout, un film, c’est-à-dire une histoire captivante racontée en images.

 

  1. Le témoin est un index tendu vers celui qu’il révèle. Certes, le témoin est changé, plus, métamorphosé, par sa rencontre avec le Christ ; mais, un témoignage n’est authentique que parce qu’il s’efface devant celui qu’il atteste. Ainsi, plus le prophète épouse sa vocation prophétique, plus il devient diaphane de celui qu’il glorifie, tel Jean le Baptiste qui n’est que la voix portant la Parole.

Chez le converti, Dieu se révèle volontiers en une expérience. C’est ainsi que Leslie commence son chemin quand, lors des rencontres à la paroisse fréquentée par Alfie, elle dit « n’avoir jamais rien ressenti d’aussi fort avec quelqu’un » – ce qui déclenche d’ailleurs une crise monumentale de jalousie chez Lee qui la camoufle en trahison… Et elle poursuivra son chemin avec conviction, lorsqu’elle éprouvera que, loin d’entrer en concurrence avec l’amour de son époux, l’amour du Christ l’accroît et l’affermit : « Toi et personne d’autre » – ce qui, justement, conjure toute jalousie.

Mais, avec grande justesse, le film n’en demeure pas à ce ressenti qui pourrait être déconstruit en ses causes toutes intérieures et subjectives. Depuis Ludwig Feuerbach (donc avant Freud), l’un des principaux arguments de l’athéisme n’est-il pas que la religion est la projection à l’infini des aspirations ou des frustrations de l’homme ? Pour le philosophe allemand, Dieu n’est que le Dieu de l’homme.

D’abord, Leslie décrit cette expérience au seuil de son cheminement, de surcroît en réponse à Lee qui lui objecte ne croire qu’aux faits – « Les faits sont le seul chemin vers la vérité » – et à la raison – « La raison, c’est la meilleure chose ». Ensuite, lorsque, au terme, Lee pleure, ses larmes sont l’effet et non la cause de son changement. Par ailleurs, Dieu parle aussi à travers des signes objectifs, sensibles, dont le plus patent est la bouleversante coïncidence non pas seulement des présences simultanées dans le même restaurant de la famille Strobel et de cette infirmière compétente et proactive, mais de cette même famille avec l’obéissance d’Alfie à sa motion intérieure – « J’avais prévu d’aller dîner ailleurs. Quelque chose m’a poussée ici » –, autrement dit, avec l’intention qu’avait Dieu de sauver la petite fille des Strobel.

Enfin et surtout, Dieu se donne à connaître à travers sa Parole. De même que les mages ont besoin de la double médiation du livre de la nature et du livre de la Bible, plus précisément, du complément que le second apporte au premier, de même, Leslie rencontre Jésus en méditant assidûment la Bible (quel témoignage !). De fait, le film tourne autour de trois versets qui, tous, sont repris deux fois, selon une insistance caractéristique de la divine pédagogie : « À tous ceux qui l’ont reçu, il [le Verbe] a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom » (Jn 1,12) ; « La foi est l’argument de ce que l’on ne voit pas » (He 11,1) ; « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (Éz 36,26). En fait, les manières de citer diffèrent. Si, à chaque fois, la parole biblique est entendue in extenso, dans le premier cas, la référence précise est donnée, dans le deuxième, elle est seulement évoquée (montrant Leslie en train de lire sa Bible), dans le troisième, elle n’est en rien mentionnée. Pour être toutes trois vitales, ces paroles semblent donc graduées en importance : la première résume la finalité même du dessein divin en sa totalité : « devenir enfants de Dieu » ; la deuxième exprime le moyen essentiel qu’est la foi et la troisième, la condition qu’est le changement de cœur.

Mais cette subtile différence recèle peut-être une autre signification, jusqu’à inverser la hiérarchie entre les paroles : en dissimulant la référence, le film suscite la curiosité et stimule la recherche du spectateur, l’incitant donc à vivre ce que Dieu lui-même fait vivre à son héros ; or, Lee vit un véritablement chemin de conversion, qui est un passage du cœur sclérosé (« le cœur de pierre ») au cœur tendre (« le cœur de chair ») ; dès lors, la transplantation de cœur dont parle le prophète Ézéchiel devient le passage central sur lequel vrille tout le film. En effet, ce passage n’est pas seulement entendu, mais lu ; il n’est pas seulement lu, mais pleinement approprié par Leslie dans sa prière pour son mari : « Donne à Lee un cœur nouveau ». Or, en s’appropriant la parole dans la foi (cf. He 11,1), Leslie se laisse informer et, plus, transformer par cette parole ; autrement dit, elle assimile le Verbe divin qui est le fils de Dieu, c’est-à-dire devient enfant de Dieu (cf. Jn 1,12). Nous retrouvons donc, mais en ordre inversé, les trois paroles du film.

Ainsi, une authentique conversion fait signe non pas vers l’homme qui se convertit, mais vers Dieu qui convertit. Se convertir, ou plutôt être converti, c’est être révélé à soi-même, mais, bien plus encore, laisser Dieu si proche se révéler à travers soi. Bien que de facture évangélique (non sans de belles ouvertures : Lee rencontrera un prêtre catholique qui est un savant archéologue), l’exténuation des médiations ne retourne pas le témoin vers lui-même dans une peu croyable auto-attestation.

Précisément, qu’est-ce que Dieu révèle de lui-même au chercheur persévérant qu’est Lee ? Sans doute, chaque spectateur répondrait différemment à cette question, tant le film est riche et tant aussi nous sommes diversement sensibles aux si nombreuses propriétés de Dieu – qui sont autant de « facettes » réfractant la simplicité infiniment profuse de son unique essence vivante. Pour ma part, j’en retiendrai deux parmi beaucoup.

Le film nous donne à voir la somptueuse surabondance des voies divines. S’il y a « plus de différence entre les âmes qu’il n’y en a entre les visages » (sainte Thérèse de Lisieux rapportant une parole du père Pichon), c’est parce qu’il y a encore plus de différence entre les histoires saintes, c’est-à-dire les chemins de Dieu croisant ceux de l’homme, qu’entre les âmes. En effet, l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,26-18). Or, Dieu est cet abîme insondable de richesse (cf. Rm 11,33) qu’aucune intelligence créée, même dans la gloire éternelle de la vision béatifique, ne pourra jamais arpenter. Donc, chaque ange, chaque homme participe de Dieu sans jamais pourtant en épuiser le mystère infini. Vertigineuse contemplation !

Exprimons-le concrètement. Les conversions de Lee et Leslie, si proches humainement, diffèrent du tout au tout, et quant aux trajets, et quant aux délais. Bien que vivant du même athéisme prétendument tranquille, Leslie est d’emblée touchée, à la fois bouleversée par la coïncidence et remplie de gratitude, alors que Lee résistera longuement, jusqu’à faire du chantage (« Tu as besoin d’un autre homme. Tu me trompes avec Jésus ») et mettre en péril son couple. Certes, cette hétérogénéité s’explique par des trajectoires différentes – plus sereine chez Leslie, plus tourmentée chez Lee –, voire des géographies diverses – féminine et masculine, plus affective chez l’une, plus rationnelle chez le journaliste. Mais, cette explication par en-bas ne saurait tout dire.

Si Dieu ajourne aussi longtemps sa propre révélation, « son dessein bienveillant » (cf. Ép 1,3-10) se nourrit d’intentions qui ne seront (au moins partiellement) dévoilées qu’au terme : en ne se donnant qu’au terme d’un long et douloureux combat de Jacob (cf. Gn 32,23-33), Dieu ne chercherait-il pas à susciter le meilleur du journaliste, et cela, en vue de son plus ardent rayonnement ? De fait, la fécondité de Lee (le récit de sa conversion s’est vendu à pas moins de 14 millions d’exemplaires, il sera suivi par 20 autres livres, il deviendra pasteur, etc.) sera à la mesure de sa polémique (de polémos, « guerre ») contre la religion qu’il appelait « tyrannie ». En multipliant les obstacles, la Providence divine, suaviter et fortiter, agit donc comme un barrage : en vue d’élever les eaux, c’est-à-dire le niveau des énergies intérieures. Pour mener à bien son enquête, Lee doit déployer avec ténacité toute son ingéniosité, affûter son intelligence, multiplier les contacts les plus variés, bref, paradoxalement, s’adonner au service de Celui-là même qu’il combat.

Quoique plus descendantes, ces nouvelles raisons, humano-divines, ne suffisent pourtant pas à rendre compte à elles seules de toute la différence des parcours. La pertinente parole qu’un des interlocuteurs lance à Lee : « Quand estimerez-vous que vous en avez assez [de preuves] ? », pourrait en quelque sorte devenir une demande impertinente adressée à Dieu : « Quand estimeras-Tu que tu as assez fait attendre ta créature ? ». En effet, ultimement, c’est toujours Dieu qui se dévoile dans la différence des chemins, notamment de leur tempo. Pourquoi le pharisien Saul, adversaire virulent du Christ et des chrétiens, se convertit-il brutalement et contre son gré sur le chemin de Damas, alors que Charles de Foucauld, chercheur patient et persévérant de Dieu qui vient quotidiennement se recueillir au fond de l’église saint-Augustin, doit attendre des mois durant que le Très-Haut ne daigne inonder son âme de la même lumière convertissante ? La seule raison définitive réside dans l’abîme impénétrable de l’amour divin : amour, non pas énigmatique, encore moins absurde, mais mystérieux, parce que totalement gratuit. Dieu aime sans raison autre que son amour. Celui qui croit de toute son âme, éprouve la quasi-évidence de la figure du Christ, vrai Dieu et vrai homme, « qui m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2,20), donc est tellement habité par la continuité entre son désir de Dieu et le don que Dieu lui fait en se révélant à lui, qu’il pourrait oublier combien ce don transcende tout désir : la lumière est aussi attendue qu’imméritée – autrement dit, une nouvelle fois, gratuite.

Ainsi, ce que le film montre aussi avec force et grandeur, ce n’est rien moins que l’amour saisissant de l’Ami incomparable, qui nous saisit pour nouer la plus étroite et la plus irréfragable des amitiés (cf. Jn 15,13).

 

  1. Le cheminement éminemment personnel et personnalisant de la conversion n’est pas sans receler un contenu universel. Autrement dit une apologétique. Formé à partir du grec apologia, ce terme signifie « justification » ou « défense » ; ainsi, le dialogue de Platon intitulé Apologie de Socrate est un plaidoyer en faveur de ce dernier, victime d’une condamnation inique. Ici, il s’agit d’une défense de la foi chrétienne (qui est aussi une espérance), en référence avec la première épître de Pierre : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison (apologéin) de l’espérance qui est en vous » (1 P 3,15).

L’apologétique, en général, fait d’autant plus de bien qu’elle dit vrai. Le film apologétique Jésus : l’enquête, en particulier, fait d’autant plus de bien qu’il est une fontaine en plein désert. En effet, jusque dans les années 1930, les traités d’apologétique se multipliaient ; depuis, ils sont devenus une espèce en voie de disparition. À l’époque, ces ouvrages cherchaient à démontrer non pas la foi, qui fait appel à une lumière surnaturelle, mais sa crédibilité, c’est-à-dire sa compatibilité avec la raison, plus encore, sa grande convenance avec elle. Le plus souvent, ils étaient organisés en trois parties, établissant respectivement l’existence de Dieu, la divinité du Christ, et la surnaturalité de l’Église – la première relevant de la démonstration certaine, les deux suivantes de l’argumentation probable.

Aujourd’hui, en revanche, le lecteur peinerait à trouver un ouvrage qui rassemblerait cette triple démarche, au moins dans l’univers catholique francophone. Le seul livre qui s’en rapproche est celui du philosophe-évêque André Léonard (Les raisons de croire, coll. « Communio », Paris, Communio-Fayard, 1987). Sinon, l’on trouve quelques ouvrages rares et presque toujours récents cherchant à établir l’existence de Dieu (par exemple, Frédéric Guillaud, Dieu existe. Arguments philosophiques, coll. « La nuit surveillée », Paris, Le Cerf, 2013 ; Serge-Thomas Bonino, « Celui qui est », coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste », Paris, Parole et Silence, 2017), l’historicité du Christ (par exemple, Vittorio Messori, Hypothèses sur Jésus. « Et vous, que dites-vous que je suis ? », trad. Henri Louette, Paris, Mame, 1978 ; ou l’excellent contre Onfray de Jean-Marie Salamito, Monsieur Onfray au pays des mythes. Réponses sur Jésus et le christianisme, Paris, Salvator, 2017) ou la beauté de l’Église en son histoire qui est loin d’être honteuse (par exemple, Jean Dumont, L’Église au risque de l’histoire, Paris, Critérion, 1984 ; Jean Sévillia, Historiquement correct. Pour en finir avec le passé unique, Paris, Perrin, 2003).

Le film, lui, s’attache à la démarche centrale, se concentrant sur la pièce maîtresse qui est aussi le point le plus problématique : la résurrection du Christ. L’enquête fictive, mais réaliste, mise en scène par Kevin Reynolds dans son péplum historique, La résurrection du Christ (2016), Jésus : l’enquête l’actualise dans un récit paradoxalement authentique. D’autres films distribués par Saje, eux, se sont affrontés à bon escient aux deux autres volets de l’apologétique classique : l’existence de Dieu – par exemple, Dieu n’est pas mort (Harold Cronk, 2017) – et la sainteté de l’Église, en ses témoins récents – par exemple, Cristeros (Dean Wright, 2014) – ou plus anciens – par exemple, Damien de Molokai (Paul Cox, 2017).

Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le détail des arguments avancés lors des différentes rencontres de Lee qui va puiser aux sources les plus autorisées. Je soulignerai que, s’ils sont seulement ébauchés (les ouvrages ci-dessus permettent de les prolonger et les approfondir), ils sont factuellement bien fondés et rhétoriquement bien amenés ; leur présentation analytique est doublée d’une synthèse finale, racontée autant que visualisée, qui dope leur puissance persuasive ; enfin, chemin faisant, les réfutations des objections sont proposées avec astuce et légèreté.

 

  1. Pour être didactique, le film ne sombre jamais dans l’exposé. Dit autrement, le discours ne se substitue jamais au parcours qui demeure premier. Jésus : l’enquête nous raconte une histoire captivante, au rythme d’une intrigue rondement menée, multipliant les centres d’intérêt et les rebondissements. Et si le dénouement est sans suspense, le moment de la conversion, lui, n’est pas surprise – pour la raison avancée dans le précédent paragraphe : la foi est un don que nul mérite ne peut exiger et nul désir ne peut obtenir. Le kairos du retournement déjouera toujours tous les pronostics.

Le cheminement de Leslie est celui d’une attente au-delà de ce qu’elle savait d’elle-même, vers un accomplissement au-delà de ce qu’elle pouvait espérer. Il a suffi qu’elle entende un pasteur vraiment charismatique dire avec foi : « Dieu n’est pas à des kilomètres de vous. Il est ici Il attend que vous Lui parliez… », pour qu’elle entre dans ce dialogue d’amour et ne l’interrompe plus. En revanche, Lee ne nie pas seulement tout désir de l’Absolu, mais il lutte ouvertement contre Lui. Son athéisme n’est pas une prise de position apaisée, mais une lutte acharnée, nourrie par de multiples auteurs militants, de Hume à Russell. En effet, sa fermeture à la transcendance se projette en deux fermetures immanentes des plus révélatrices.

Tout d’abord, Lee ne se contente pas d’interpréter comme hasard la susdite coïncidence (ce qui est rationnellement très légitime), mais surtout, il minimise les conséquences que lui rappelle Leslie (« Sans cette femme, nous aurions perdu notre fille. Notre vie aurait été détruite ») et ne manifeste aucune gratitude à l’égard de la femme qui a sauvé sa fille. Au point qu’il en oublie son prénom après à peine une semaine. Or, à la demande spontanée de Leslie « Comment vous remercier ? », Alfie répond très simplement par un aveu spontané qui valait profession de foi : « C’est l’œuvre de Jésus ». Bien que dénué de tout prosélytisme, cet aveu ne peut que susciter toutes les préventions de Lee contre la religion identifiée à une aliénation. Ainsi, cette carence totale de reconnaissance à l’égard d’un don aussi immense que gratuit signale une décision intérieure de clôture. Loin d’être neutre à l’égard de Dieu, Lee le combat. Osons-le dire : il est révolté. Cette amnésie ingrate doit d’autant plus être interrogée que, lui et lui seul, est responsable de l’accident de sa fille (quant à la cause en amont, bien entendu, pas quant à l’événement) ; sa femme lui fait d’ailleurs remarquer qu’il a manipulé sa fille. Or, Lee ne ressent aucune once de culpabilité pour sa grave erreur – ce qui confirme sa fermeture à tout ce qui ressemblerait à une dépendance hétéronome (extérieure).

Ensuite, l’attitude de Lee au bureau atteste plus qu’une légitime fierté pour son travail de journaliste et d’écrivain, à savoir : un égocentrisme satisfait, voire méprisant à l’égard de ses collègues ; un mépris à l’égard de ses subordonnés qu’il exploite (« Plus que 29 minutes ! ») ; et une surdité à l’égard des attentes de ses supérieurs hiérarchiques (jusque dans les détails : « Ne claquez pas la porte, s’il vous plaît ! »). Pire, une fermeture à l’égard des autres, qui favorisera la condamnation gravement injuste et imprudente d’un innocent.

La cause de cette attitude narcissique [1] est aussi clairement assignée que les effets : le rejet de Walter Strobel (Robert Forster), son père, ou plutôt l’amertume née de la maladresse d’un père qui ne sait pas exprimer son amour en paroles (« Ce type ne s’est jamais intéressé à moi ») ; or, ce désamour (ressenti, ce qui ne signifie pas réel) a figé Lee dans une haine ouverte, ou dans une indifférence jugeante qui en est la forme glacée. L’explication psychanalytique, servie par le Dr. Roberta Watson (Faye Dunaway), paraîtra sans doute trop appuyée pour un public français qui apprécie davantage l’allusion et la liberté d’interprétation. Il n’empêche qu’il s’agit d’un témoignage, donc que nous avons à accueillir cet humble aveu qui, pour les enfants de Freud que nous sommes tous (qui ignore le sens du complexe d’Œdipe ?), semble être de la psychanalyse de Prisunic : c’est après avoir consenti à se réconcilier avec la mémoire de son père terrestre que Lee est apte à rencontrer son Père céleste. Et pourquoi ne pas se laisser toucher par cette belle scène où, sa mère le laissant discrètement explorer la maison parentale, Lee découvre, bouleversé, l’amour attentif et jamais démenti de son père ? Cette rencontre était donc autant une réconciliation qu’une conversion, et l’athéisme militant un déni passionnel beaucoup plus qu’une conclusion rationnelle. La phrase que prononce le prisonnier sur sa cécité à l’égard de son innocence, Lee la transpose immédiatement à son aveuglement à l’égard de Dieu. En effet, au journaliste qui ne nie pas sa culpabilité (« Je voulais vous dire que c’est moi le responsable »), mais se trompe sur son origine : « Je suis passé à côté de la vérité », le détenu injustement retenu répond avec une implacable précision : « Vous n’aviez pas voulu le voir ». Le refus de Dieu ne naît pas d’un prétendu défaut d’évidence – « ce que l’on peut connaître de Dieu est clair pour eux [les hommes], car Dieu le leur a montré clairement » (Rm 1,19) –, donc d’une privation d’intelligence, mais d’une décision de la volonté. « Cherchez-vous la vérité ou des faits qui prouvent votre conviction ? », demande l’un des chercheurs à Lee.

Ainsi, pour s’éveiller au Tout-Autre, Lee devra s’ouvrir à l’autre. En l’occurrence, poser un certain nombre d’actes de sortie de lui-même qui seront autant de réparation des liens que son attitude égoïste a fait souffrir : en reconnaissant humblement sa dramatique erreur à l’égard du prisonnier, en demandant pardon à sa fille pour son injuste colère, et surtout en se réconciliant avec son épouse pour ses jalousies, ses défiances et ses rejets répétés. Si la conversion peut advenir au terme d’une enquête rationnelle qui montre la crédibilité de la foi, en revanche, elle ne le peut pas sans un changement moral qui rend la vie compatible avec l’Évangile : elle est, en effet, la rencontre non d’une vérité abstraite, ni d’une norme tout aussi froide, mais d’une Personne, et requiert donc l’engagement de toute la personne. Aussi les deux rencontres de l’icône du Saint-Suaire, qui sont autant de face à face, constituent-elles les deux sommets du film, et, pour Lee (et pour moi !), ses deux moments les plus émouvants. La conversion ne s’effectue pas lorsque Lee s’écrie « Dieu, tu as gagné » face à son tableau saturé de preuves, mais en contemplant la simplicité poignante de l’Amour crucifié, du visage de ce Christ qui devient soudain une personne réelle et intensément présente. « Pourquoi ne s’est-il pas défendu ? », avait-il demandé au prêtre lors de la première rencontre. Celui-ci avait répondu d’un mot : « Love ! ».

 

Comment ne pas rapprocher The Case for Christ, littéralement : « Plaidoyer pour le Christ », d’une autre enquête, elle aussi menée par un journaliste épris de vérité, actuellement sur les écrans : L’apparition ? Certains préfèrent le premier parce qu’il narre une histoire vraie, d’autres le second parce qu’il laisse plus de place à la liberté interprétative du spectateur ; d’aucuns reprocheront au premier une direction d’acteurs plutôt lâche et au second une figure sacerdotale peu édifiante. Mais pourquoi choisir ou hiérarchiser ? Réjouissons-nous plutôt que le grand écran nous propose cette multiplicité de choix, à l’image de la prodigue pluralité des demeures du Père (cf. Jn 14,2) et de cette infinie richesse du Dieu riche en miséricorde (cf. Ép 4).

Et, surtout, ne boudons pas notre plaisir. « Debout, partons d’ici » (Jn 14,31), au cinéma…

[1] Rappelons que posséder des traits narcissiques, même accentués – ce qui est ici le cas de Lee au début du film –, n’est pas posséder une personnalité narcissique – ce qui n’est en rien le cas de Lee, puisqu’il va radicalement changer et s’ouvrir.

 

Pascal Ide

Chicago, 1980. Lee Strobel (Mike Vogel), jeune et brillant journaliste d’investigation au Chicago Tribune, va au restaurant avec son épouse Leslie (Erika Christensen) pour fêter sa dernière réussite. Mais leur petite fille avale un bonbon qui se bloque par mégarde dans sa trachée. Ils assistent, impuissants et terrifiés, à son étouffement, lorsqu’une infirmière, Alfie Davis (L. Scott Caldwell), intervient avec efficacité et la sauve. À Leslie qui la remercie, elle répond simplement que c’est là l’œuvre de Jésus qui l’a poussée à venir dîner dans ce restaurant.

Le soir même, lorsque leur fille leur demande qui est Jésus, Lee, qui est un athée revendiqué, répond froidement que c’est un homme comme les autres. Et à Leslie qui lui reparle de la présence de l’infirmière, il la réduit à une coïncidence heureuse. Toujours bouleversée, la jeune femme se rend à l’hôpital de la Miséricorde pour rencontrer Alfie et la remercier. Touchée par sa foi simple et tellement assurée, Leslie accepte de l’accompagner dans son église et ne tarde pas à se convertir.

Mais, confronté à cette soudaine conversion, Lee se braque, allant jusqu’à affirmer qu’il a épousé une autre femme et qu’elle a été manipulée. Vite convaincu de l’inanité de ses arguments, il décide alors de s’attaquer à la racine : l’inanité du christianisme. Et il commence une enquête sur son fondement qu’est la résurrection du Christ, avec l’acribie et la persévérance du grand journaliste qu’il est…

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