Jean Vanier, le sacrement de la tendresse
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Pays:
Français
Thème (s):
Vulnérabilité
Date de sortie:
9 janvier 2019
Durée:
3 heures 9 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Frédérique Bedos

 

Jean Vanier, le sacrement de la tendresse, documentaire de Fédérique Bedos, 2019.

Thèmes

Vulnérabilité positive.

Le film a beau être maladroit en sa forme, il demeure profondément touchant en son contenu.

 

Quelques malhabiletés de forme pourront indisposer le spectateur. Par exemple : les répétitions (jusque, malheureusement, dans l’ouverture, ce qui est d’autant plus regrettable que les premières impressions demeurent) ; une présence trop insistante de la réalisatrice – comment ne pas comparer avec le splendide film Le Pape François. Un homme de parole (2018) ? Hors une unique interprétation, d’ailleurs accessoire, Wim Wenders est demeuré totalement et constamment en retrait – ; une trame mal unifiée qui conduit à des longueurs et un rythme mal tenu qui, après un début bien cadencé qui va de la jeunesse de Jean à la fondation de l’Arche, conduit à un essoufflement sur la durée ; une insistance sur les questions politiques autour d’Israël, d’autant plus déséquilibrée qu’est trop mis entre parenthèses l’attachement singulier de Jean au Christ, notamment son amour de la Parole de Dieu en général et de l’Évangile selon saint Jean en particulier (on le voit une fois prier avec un livre qui ressemble fort à une Bible) ; une option bienvenue pour les petits, mais une occultation incompréhensible de sa fréquentation des grands qui sont des tout-petits (notamment les différents papes) ; un optimisme un peu trop irénique, c’est-à-dire une insistance trop unilatérale sur les lumières (on rit et on danse beaucoup) et un silence trop assourdissant sur les multiples obstacles du quotidien (quel chemin pour que la simplification des assistants rejoigne la simplicité des personnes handicapées !).

Une dernière réserve que d’aucuns jugeront accidentelle touche, selon nous, l’essentiel. Fédérique Bedos a cueilli au vol la belle intuition du « sacrement de la tendresse », dite en passant comme en s’excusant, par Jean Vanier, pour en faire l’axe central de son documentaire ; c’est selon moi masquer l’apport anthropologique majeur du fondateur de l’Arche : la vulnérabilité positive de ceux qu’il aime appeler « les personnes à handicap ». Pauvres en réussite, en talents intellectuels, en beauté plastique, etc., elles sont en revanche riches en humanité. Expliquons ce que le film ne fait, malheureusement, qu’effleurer. Dans une vision de l’homme bibliquement enracinée, mais qui n’est pas étrangère aux sciences humaines (cf., par exemple, la théorie de l’attachement de John Bowlby) et rentre en consonance avec notre expérience, le cœur est le noyau intime et la « zone » la plus précieuse de la personne. Or, le cœur (que, pour éviter toute ambiguïté et notamment toute confusion avec le cœur affectif sensible, l’on pourrait qualifier de « profond ») est immédiatement centré sur les besoins spirituels les plus fondamentaux : aimer et être aimé, être respecté et être relié, vivre de communion et de don (gratuit), vivre de vérité et de bonté, etc. Mais ces besoins sont souvent enfouis chez les personnes dites « normales », parce qu’ils ont été autrefois blessés et qu’ils sont aujourd’hui douloureusement frustrés. Or, si les personnes à handicap sont dénuées d’apparence et d’apparaître, elles sont apparition, c’est-à-dire laissent transparaître ces besoins qui sont consubstantiels à l’humanité. Elles révèlent donc aux humains « sains » cette richesse du cœur qu’ils enfouissent et oublient.

 

Demeure le contenu, qui est, de loin, le plus important et le plus marquant.

Il y a d’abord ces galeries de visages et de corps disgracieux d’où émane la grâce improbable et si émouvante d’un sourire ou d’une présence intense. Selon le propre vœu de Jean Vanier, ce n’est pas lui, mais les personnes à handicap qui sont les « héros » ou plutôt les hérauts du film.

Il y a aussi les multiples paroles de vie prononcées par Jean ou d’autres dont beaucoup font mouche et certaines touchent (en profondeur). Invitant à une conversion du regard et du cœur. Au hasard, en gerbe :

 

« La tendresse, c’est la rencontre entre deux personnes. Je ne veux pas faire du bien à l’autre. Juste le révéler ».

« En 1964 [année de fondation de l’Arche, à propos des personnes affectées d’un handicap mental], j’ai trouvé des gens assoiffés de relation, d’amitié ».

« Nous vivons dans la tyrannie de la normalité, de la compétitivité : vouloir toujours gagner ».

« Face à la violence de Pauline [une personne à handicap qui a toujours été rejetée], l’assistant va découvrir sa violence ».

« J’ose parler du sacrement de la tendresse ».

« Le pauvre rend présent Jésus ».

« Je vivrai le jour le jour ».

« Si on entre dans une relation avec les autres, ils nous humanisent ».

« Les plus sages sont ceux qui meurent : ils ne retiennent plus rien ».

« Nous découvrons que la personne à handicap donne et pas seulement reçoit. Et nous découvrons nos handicaps » (père Rafik).

 

Il y a enfin et surtout la personne de Jean Vanier : ce si grand homme (nous apprenons qu’il mesure 1, 97 m, ou plutôt mesurait car « je vais diminuer ») qui aime dire, à la suite de sainte Thérèse de Lisieux qu’aimer c’est s’abaisser, et qui l’a souvent fait auprès des plus exclus parmi les exclus que sont les personnes à handicap mental ; celui dont les paroles se sont faites chair dans l’œuvre connue et reconnue de l’Arche (la fédération internationale accueille plus de 1200 personnes en situation de handicap mental dans 33 communautés ; elle est présente dans quelque 35 pays et sur les 5 continents) ; celui dont la liberté intérieure lui permet d’échapper au filet de l’oiseleur – par exemple à cette ultime parole qui veut l’assimiler au Mahatma (« grande âme ») Gandhi : « Merci Jean, tu es vraiment une grande âme », que Jean contourne doucement par un splendide acte de gratitude : « À la grâce de Dieu ») – ; un homme lui-même vulnérable (hilarant passage des débuts de l’Arche où Jean raconte comment il fut conduit à tout faire, y compris la cuisine) qui se retire pour donner toute sa place aux plus vulnérables ; un homme décentré, livré, mangé. L’on ne dira jamais assez quelle abnégation (qui n’est pas négation) est nécessaire pour accéder de la captation à l’oblation qui est notre mission.

Terminons avec la phrase de Jean Vanier qui elle-même termine le film en l’ouvrant, c’est-à-dire en nous envoyant vers nos frères : « Aimer, ce n’est pas faire quelque chose pour quelqu’un. C’est être avec lui ».

Pascal Ide

Né en Suisse en 1928 et de nationalité canadienne, Jean Vanier est fils du Gouverneur Général du Canada. Il exercera dans la marine pendant 8 ans. Promis à une brillante carrière militaire, en 1964, il rencontre deux hommes avec un handicap mental. À l’époque, les personnes présentant des troubles mentaux étaient considérées comme le rebut de l’humanité et enfermées-entassées à vie dans des asiles psychiatriques déshumanisés et déshumanisants. Profondément touché par leur détresse, Jean Vanier décide de vivre avec eux dans une petite maison du village de Trosly Breuil dans l’Oise. C’est le début de l’Arche et d’une aventure dont il ne pouvait imaginer l’extension et l’impact.

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