Grâce à Dieu
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Pays:
Franco-belge
Thème (s):
Abus sexuel sur mineur, Eglise
Date de sortie:
20 février 2019
Durée:
2 heures 17 minutes
Évaluation:
*
Directeur:
François Ozon
Acteurs:
Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud

Grâce à Dieu, drame franco-belge réalisé et scénarisé par François Ozon, 2019. Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Josiane Balasko, Éric Caravaca.

Thèmes

Abus sexuel sur mineur, Eglise.

Autant le réalisateur (et scénariste) parle avec cœur des victimes, autant il parle avec rancœur de l’Église.

 

François Ozon a montré la souffrance des victimes avec vérité et sobriété (dans les images), avec sensibilité et sens de la complexité. Les mots sonnent juste, parce que ce sont les verbatims des personnes. Le film manifeste la difficulté d’accéder à la vérité (« La parole a besoin de beaucoup de temps pour se libérer »), la lenteur du cheminement permettant de passer des mécanismes qui furent mis en place pour survivre à la parole qui aujourd’hui fait vivre – et la conséquence juridique qui est l’allongement du temps de prescription (heureuse victoire, il est passé de vingt à trente ans). Il montre les ravages du traumatisme, filmant au plus près, avec empathie, plus, avec compassion, guettant chaque réaction de tristesse et de colère, s’attardant sur l’histoire de chaque protagoniste. Il ne gomme pas les différences et même les tensions au sein de l’association, les tentations de fuite et de déni ou, tout à l’inverse, de règlements de compte. Il nous donne à voir autant la gravité extrême du traumatisme (redoublée de ce que l’abuseur est un prêtre) que ses mécanismes individuels et institutionnels (familiaux, ecclésiaux ou médiatiques). Il montre que ces abus ne sont jamais possibles que parce que, outre la victime et son bourreau, il y a un réseau de complicité, le plus souvent passive, parfois active. On ne le dira jamais assez : une approche ajustée de la pédophilie – comme de toute manipulation et de tout abus – doit être complexe, c’est-à-dire systémique.

 

Malgré les mérites du film et l’utilité de ce plaidoyer, demeure un vif et double malaise.

D’une part, l’intrigue se détourne trop vite du prêtre agresseur pour se centrer sur une responsabilité institutionnelle qui se généralise à tout le clergé lyonnais. Pour Ozon, anticipant les décisions de justice, cette crise discrédite l’Église elle-même.

Le film cloche, au sens étymologique du terme. Comment ne pas être frappé de l’asymétrie du propos ? Autant, lors de longs plans fixes et compatissants, les victimes sont montrées dans leur souffrance, autant, dans des plans mouvants et fragmentés, Régine Maire ne semble guère affectée par leur propos et leur douleur et le cardinal Barbarin apparaît comme un politique froid, voire comme un homme double qui dit (« Je ne vais pas manquer de courage »), mais ne fait pas. Si, un moment, il prie, jamais son visage ne traduit la moindre sensibilité, la moindre communion à la souffrance inouïe des personnes abusées. Autant les faux-pas des victimes sont excusés, autant les autorités ecclésiales sont inexcusables (la parole, ô combien malheureuse, du primat des Gaules, qui sert de titre au film, est un lapsus aussitôt regretté). Autant l’on sent avec émotion celle des personnes abusées, autant l’on ne pressent jamais les doutes et les cas de conscience qui ont agité les responsables d’Église. Cette ambivalence est accentuée dans les différentes interviews du cinéaste : en affirmant vouloir donner la parole aux victimes, mais aussi respecter « la complexité de ces affaires » et ne pas intenter « un procès », il dit mais ne fait pas. Soufflant le chaud et le froid, il pratique le jeu psychologique du « caresse-pan » scénarisé par l’analyse transactionnelle.

Ce déséquilibre est clairement attesté par le cheminement d’Alexandre : homme à la foi profonde, il est de plus en plus profondément affecté, passant de l’abattement au courroux, et de la colère à la révolte. Trois étapes jalonnent son parcours : au début, malgré l’épreuve, il demeure profondément attaché à l’Église, s’abreuvant avec gratitude aux sacrements ; puis il découple sa foi en Dieu de son adhésion à l’institution ecclésiale ; enfin, au terme, à la question de son fils lui demandant « Papa, tu crois toujours en Dieu », il répond par un long silence – qui fait écho au panégyrique intolérable et théâtralisé de François en faveur de l’apostasie (c’est-à-dire le renoncement public au baptême). Le troisième pas d’Alexandre est d’autant plus troublant qu’il est très intentionnellement suivi de la dernière image du film. Celle-ci ne peut elle-même se comprendre qu’en relation à la première avec laquelle elle fait inclusion. En effet, au tout début, l’on voit l’archevêque de Lyon seul, étrangement seul, qui expose le Saint-Sacrement depuis la basilique de Fourvières, dominant la ville de Lyon. Et l’ultime plan montre la même basilique, mais dans un travelling ascendant, donc à partir d’en bas – comme pour dire une chute. Chute de la foi d’Alexandre scandalisé ? Chute attendue de l’Église dont on nous répète qu’elle est « puissante » et qui, tel Satan conduisant le Christ sur le pinacle du Temple, a cédé à la tentation de dominer le monde et abuser les plus faibles ? Mais il y a plus. En réalité, la lunule de l’ostensoire est vide. Est-ce, là encore symboliquement, signifier la vacuité d’une Église qui, ayant trahi son Seigneur venu pour « servir » (Mc 10,45), l’utilise pour asservir (le film ne cesse de répéter que l’Église est « puissante »…) ?

Soyons bien clair. Il ne s’agit pas de nier la responsabilité, d’abord du prêtre pédophile, ensuite de ceux qui, connaissant ses agissements, se sont contentés de le déplacer et donc ont contribué à multiplier les victimes : il y a des ignorances ou des minimisations gravement coupables qui se doivent d’être sanctionnées, canoniquement et civilement. De même, répétons-le, il était nécessaire de montrer combien il est intolérable d’instrumentaliser les deux plus beaux actes de la charité que sont la prière et le pardon.

Empêtré dans son intention d’accuser l’institution Église, voire Dieu lui-même, le cinéaste s’aveugle et passe trop vite sur le double mécanisme pervers qui meut certains pédophiles : le premier, constant, est le désordre sexuel, l’addiction et donc la compulsion ; le second, absent chez certains et présent chez d’autres, est celui de la jouissance du pouvoir, de l’emprise sur le plus faible. Si Spotlight (Tom McCarthy, 2015) ne donnait pas à entendre les victimes, il a, en revanche, finement cerné ce dispositif. Certes, la manipulation est nommée à plusieurs reprise, mais pour être absorbée par le premier aspect – « Preynat est un malade » –, et surtout, lors de la confrontation entre le prêtre et Emmanuel, par ce que le cinéaste appelle « l’omertà ecclésiale ». Il aurait fallu mettre à la question cette ligne de défense si astucieusement victimaire qui consiste à se réfugier dans la posture de la maladie, comme si la personne dépendante était dénuée de toute responsabilité (non pas vis-à-vis de sa dépendance, mais vis-à-vis de la manière dont elle se traite). C’est oublier un principe général : le malade n’est pas responsable de sa maladie (du moins quand elle est installée) ; en revanche, il est responsable de se soigner.

 

D’autre part, le film souligne longuement, lourdement le chemin du « zèbre » (Emmanuel) qui passe d’une vie éclatée et déprimante (longs plans subjectifs en moto, au point que l’on craint une tentative de suicide), à une vie désormais pleine de sens parce qu’elle est tournée vers l’accueil de la souffrance et la dénonciation des coupables.

C’est oublier que, si libérer la parole, nommer la cause et accuser le responsable est indispensable, ce n’est que la moitié du chemin. S’il est, sur le long terme, toxique et inefficace de minimiser le traumatisme, il est aussi destructeur d’entretenir la rancœur et ainsi redoubler la peine. La première attitude ampute la personne de son passé, la seconde de son avenir. Or, ces deux postures symétriques viennent, au moins en partie, d’une double défiguration du pardon dont le film ne montre qu’une seule facette.

À juste titre, Ozon donne à voir combien un pardon donné trop vite, combien un pardon exigé, sont inacceptables. Insupportable scène où Régine Maire demande à Alexandre de prendre la main de son bourreau qui, non seulement n’a pas demandé pardon, mais se victimise (« C’est une souffrance pour moi. C’est une maladie »). Insupportable scène où elle invite à prier le « Notre Père » et donc à prononcer la cinquième demande : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé ». Il fallait montrer combien ces attitudes manipulatrices redoublent la culpabilité de la victime en libérant injustement le malfaiteur de sa responsabilité. Elles trahissent gravement l’enseignement du Christ.

Mais la parole libérée, c’est-à-dire la parole qui accuse l’offenseur, est-elle suffisante pour être vraiment libérante ? Il y a un mensonge à souligner que la liberté intérieure naît de la seule parole de vérité, de l’autre ou de soi – hors tout amour. Deux paroles retentissent très fortement. La première est celle d’Emmanuel face à l’aveu, sans fard ni déni, du père Preynat : « Je ne vous pardonnerai jamais ». La seconde, beaucoup plus dramatique, est prononcée par la femme d’Emmanuel lui disant : « Si tu lui pardonnes, il fait de toi sa victime à vie ». Comme s’il n’y avait pas un juste chemin entre le pardon qui est démission et soumission, et le pardon – le libre pardon aimant, « du fond du cœur », exigé par le Christ (Mt 18,35) – qui est la mission de tout chrétien. Je précise : non pas le pardon conditionnel lié à la reconnaissance de la faute, mais le pardon inconditionnel face à la faute inexcusable. Cette vérité est à ce point vital qu’aujourd’hui, la psychologie elle-même reconnaît de plus en plus que la guérison ne peut advenir sans cette étape du pardon.

Nous revenons au problème de fond. Au-delà de la pédophilie, le film d’Ozon fait le procès de l’Eglise et, plus encore de Dieu qui, par la parole du Christ, son exemple et la force de son Esprit, nous enseigne le pardon.

Pascal Ide

Alexandre Guérin (Melvil Poupaud) habite la région de Lyon. Cadre bancaire épanoui d’une quarantaine d’années, ce catholique pratiquant est époux d’une femme aimante et père de cinq enfants, qui tous partagent la foi. Parlant avec un ancien camarade de scoutisme, il se souvient des abus sexuels dont il a été victime, enfant, de la part d’un prêtre du diocèse de Lyon, le père Bernard Preynat (Bernard Verley). Les faits sont prescrits, mais, assailli de souvenirs douloureux, Alexandre décide d’entreprendre une enquête. Il entre en contact avec l’actuel archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin (François Marthouret), et soupçonne que, malgré l’alerte de plusieurs parents, les autorités ecclésiastiques de l’époque ont étouffé l’affaire. Une confrontation est organisée à l’archevêché entre Alexandre et le père Preynat en présence de Régine Maire (Martine Erhel), secrétaire du cardinal. Le prêtre reconnaît aussitôt les faits, mais omet de demander pardon.

Blessé par cette indifférence, Alexandre poursuit son enquête et découvre que le prêtre pédophile est curé dans une paroisse et toujours au contact d’enfants. Par ailleurs, soupçonnant l’existence d’autres victimes, survenues après la prescription, et ne parvenant pas à les trouver, il décide de déposer plainte. Le capitaine Courteau (Frédéric Pierrot) entre en contact avec François Debord (Denis Ménochet), qui, scout, eut le père Preynat comme aumônier, et fut aussi abusé. Aujourd’hui, il est devenu athée. Après avoir refusé, il décide de rendre l’affaire publique en témoignant devant les médias et crée une association, La Parole libérée, avec d’autres victimes, notamment Gilles Perret (Éric Caravaca), un chirurgien et Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud), un écorché vif. Désormais, leur intention est de faire condamner non plus seulement le père Preynat, mais aussi les autorités ecclésiastiques qui savaient et n’ont rien fait.

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