En thérapie I
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Pays:
Français
Thème (s):
Psychanalyse, Thérapie
Date de sortie:
2021
Durée:
0 heures 26 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Éric Toledano et d’Olivier Nakache
Acteurs:
Frédéric Pierrot, Carole Bouquet, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Clémence Poésy, Pio Marmaï
Age minimum:
Adolescents et adultes

En thérapie I, série télévisée dramatique française, d’Éric Toledano et d’Olivier Nakache, et diffusée depuis le 4 février 2021 sur Arte. Première saison, 35 épisodes de 20 à 25 minutes, disponibles sur Disney. Librement adapté de la série télévisée israélienne BeTipul (Hagai Levi, Nir Bergman et Ori Sivan) et de sa version américaine In Treatment (Rodrigo García). Avec Frédéric Pierrot, Carole Bouquet, Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Clémence Poésy, Pio Marmaï.

Thèmes

Thérapie, psychanalyse.

En thérapie est une plongée plutôt réussie dans la cure freudolacanienne, ou du moins dans le monde psychanalytique ; et, peut-être aussi, en partie son issue.

 

Bien évidemment, les puristes trouveront à redire. Tant de règles de l’analyse sont ici violées, et avec chacun des patients : la narration de ses propres souvenirs avec tous ; la sortie de la neutralité éthique avec Adel ; l’embrassade finale (paternelle) avec Camille ; la violence physique avec le couple ; et surtout la transgression de la règle absolue d’abstention avec Ariane. Il faut toutefois ajouter que le premier à condamner ces entorses est Dayan lui-même. Sauf une : l’interventionnisme mêlé de surinterprétations, autrement dit la transgression de la norme elle aussi sacro-sainte, du silence.

Mais, à la décharge d’Olivier Nakache et Éric Toledano, comment aurait-il été possible de maintenir l’intérêt si la série s’était contentée de mettre en scène le monologue d’un patient allongé sur un divan ? Voilà pourquoi il fallait regrouper en un temps supersonique les prises de parole du « psy » qui s’étalent sur quelques années. Voilà aussi pourquoi il était nécessaire de multiplier les rebondissements et donc de concentrer en quelques séances les coups de théâtre qui ne se produisent que dans l’espace de toute une cure.

La série des talentueux réalisateurs du Sens de la Fête réussit donc le tour de force à non seulement nous attacher à tel ou tel patient dont le choix est suffisamment varié et représentatif pour permettre l’identification (eh oui ! même le spectateur projette, c’est-à-dire transfère sur les personnages désir, amour, colère, rejet). Mais aussi à créer un véritable suspense qui nous pousse à vouloir savoir ce que chacun va devenir, y compris le couple Dayan. Sans rien dire du jeu subtil des cadrages permettant de nommer implicitement les complicités avec le thérapeute ou les légères interventions de la musique soulignant un aveu clé du patient. Comment ne pas saluer la réussite qui consiste à constamment relancer l’attention, alors que les épisodes s’identifient à des séances d’une vingtaine de minutes, dans un monde où la durée moyenne d’une scène est celle d’une chanson et, en réalité, mesurée par la capacité attentionnelle, aujourd’hui fragmentée de la manière la plus inquiétante ?

Demeure un fait : seule Ariane est vraiment en analyse, les autres consultant soit pour expertise (Camille), soit pour un symptôme psychiatrique (Adel), soit pour un avis sur une décision de couple (Léonora et Damien). D’ailleurs, Ariane est arrivée au terme et les quatre autres, au mieux, pourraient en commencer une. La série introduit donc non pas tant à la cure qu’aux concepts fondamentaux de la psychanalyse comme le transfert, la vérité du symptôme, la culpabilité, les souvenirs-écrans. Elle montre de manière efficace les multiples défenses que le psychisme élève contre ses souffrances intérieures, pour s’en protéger, souvent en les projetant au dehors, avant de les retourner au dedans en une autolyse infinie. Ajoutons que, plus lacanienne que freudienne, l’interprétation apportée par Dayan se refuse à tout pathologiser, c’est-à-dire inscrire dans un cadre psychiatrique rigide, et à se référer obsessionnellement au sexe, pour se centrer sur l’issue hors de l’indifférenciation infantile. Qu’aurait d’ailleurs pensé le psychiatre français de cette succession d’initiales probablement involontaire, donc inconsciente, Ariane, Adel, Camille, Damien et Esther, où, au lieu de la régularité de l’alphabet épelé avec les jours de la semaine, nous voyons la première lettre se répéter, bégayer, comme une invitation pour les deux premiers patients à se rapprocher ?

 

Mais le scénario ne se contente pas de démystifier la pratique en permettant d’entrer dans le sanctuaire du cabinet de l’analyste (pourvu que l’idée ne vienne pas à des scénaristes de faire la même chose avec un confessional !). Il ne se contente pas non plus d’excuser la psychanalyse. Mais il a aussi le courage, plutôt rare en France, de l’accuser – modérément. Par la bouche des patients (l’inévitable lieu commun de la froideur distanciée ou de la posture surplombante), et même par celle des thérapeutes (comme le couplet lui aussi plutôt convenu de Dayan sur le Freud juif, machiste et conservateur et, symétriquement, le Lacan catholique lui aussi conservateur).

Mais la plus efficace des critiques vient de l’implicite plus que de l’explicite. Sans être exhaustif et sans hiérarchiser : même psychanalyste pratiquant depuis plus de trente ans, tout individu demeure un névrosé qui doit s’attendre à retourner sur le divan ; l’homme ne peut que rejouer son passé, surtout quand il a à faire avec l’amour et la mort ; tout symptôme présent renvoie à un trauma passé bien circonscrit (alors que l’on sait de plus en plus qu’un climat familial par exemple anxiogène, sans événement traumatique particulier, suffit à blesser la psychè) ; la croyance déterministe selon laquelle toute coïncidence est signe ; au mieux, le patient doit s’attendre à vivre avec son symptôme en s’efforçant ni de s’en culpabiliser ni de le faire payer à son entourage. L’on songe au « diagnostic » de Deleuze et Guattari pointant les deux plus gros travers de la psychanalyse : tout reconduire à une histoire de papa-maman ; réduire le désir à un manque, alors qu’il est d’abord vie, donc plénitude. Ajoutons, ce qui est plus typique du profond pessimisme de Lacan, la conviction que l’homme est habité par ce qu’il appelait, notamment, « la chose », et programmé pour s’autodétruire : « Je n’ai pas pu apprivoiser le monstre », avoue Philippe Dayan à Esther dans le dernier épisode.

 

Si le film amorce une timide remontrance de la conviction quasi religieuse : « Hors de la psychanalyse, point de salut », en revanche, il n’offre aucun salut hors de la psychanalyse. Pourtant, la toute dernière scène où l’on voit Dayan s’exercer à la pleine conscience et croiser sur la place de la République des donneurs de Hugh le fait un moment espérer…

Les limites, de plus en plus évidentes, de la cure, dessinent pourtant en creux le besoin d’un autre genre d’approche psychothérapique que, à l’époque de Freud, on ne pouvait encore qu’espérer, mais qui, à celle de Lacan, a commencé à émerger, surtout outre-Atlantique, et aujourd’hui, devrait être majoritairement proposée : les thérapies qualifiées de brèves. Relevons trois de ces limites.

Ce qui manque d’abord et avant tout, c’est tout simplement l’efficacité curative (dont Freud n’avait… cure !). De même que la santé physique se caractérise par le « silence des organes » (René Leriche), de même la santé psychique par le silence des facultés, c’est-à-dire leur harmonie paisible qui permet de se décentrer de son ego douloureux pour enfin se centrer sur l’autre. Or, Dayan, s’il croit que l’on peut changer, est néanmoins convaincu que l’on ne peut être durablement heureux.

Il manque ensuite, la sortie de l’interprétation et l’atterrissage dans le monde. Les deux symptômes peut-être les plus frappants chez Dayan sont l’incapacité à démêler ce qui vient du dehors (les attentats du Bataclan) et ce qui vient du dedans (le retour du refoulé) et l’impossibilité à détricoter ce qui relève du fictionnel (fantasmatique) et du réel dans son amour pour Ariane. Or, l’interprétation omniprésente est aussi arbitraire qu’inefficace. Certes, tel ou tel patient se trouve soulagé de comprendre que « c’est pas ma faute », mais comment en être assuré ? Nulle preuve empirique ne pouvant la valider, culpabilité et violence peuvent revenir au grand galop. Brouillant les frontières du soi et du non-soi, l’analyse pâtit d’un secret idéalisme que, voici déjà 85 ans, Roland Dalbiez avait déjà dénoncé avec lucidité.

Enfin, l’attitude du psychanalyste ne gêne peut-être pas tant par sa froideur que par sa mentalisation. Même en supervision (contrôle), Dayan ne donne jamais accès à ce qu’il ressent, sauf à sa colère accusatrice. L’analyste se nourrit de la conviction que, plus il est en retrait, plus il donne d’espace à l’analysant. Assurément, il y a du courage à ne pas répondre aux sollicitations et aux agressions démesurées du patient – et la série en offre des exemples spectaculaires ! Mais c’est oublier que l’analysant souffre et parfois atrocement, donc a besoin de compassion ; or, toute expression de celle-ci ne rime pas forcément avec fusion et régression. L’on doit à la thérapie systémique, et notamment celle développée par Mony Elkaïm, d’avoir montré l’insuffisance, voire l’erreur de cette prétendue neutralité : quand le thérapeute s’implique avec vulnérabilité et partage ce qu’il ressent avec attention (au sens aimant d’attentionné), il déplace nécessairement la relation et donc en accélère le changement.

 

En thérapie (psychanalytique) est un commentaire psychologique dans les marges de la parabole christique sur la paille et la poutre (cf. Lc 6,41-42) – l’espérance en moins ! Oui, bien des pailles que je reproche à autrui ne font que révéler la poutre qui, en moi, me fait souffrir et fait souffrir. Non, la seule prise de conscience ne saurait en guérir. À quand un Oui, mais… (Yves Lavandier, 2002) décliné en série télé ?

 

Pascal Ide

Paris, 13 novembre 2015, au lendemain des attentats du Bataclan, le Dr Philippe Dayan (Frédéric Pierrot), psychiatre et psychanalyste, reçoit chaque semaine cinq patients, tous en pleine crise existentielle : lundi, Ariane (Mélanie Thierry), une jeune chirurgienne qui fait un transfert amoureux pimenté sur lui ; mardi, Adel Chibane (Reda Kateb), policier de la BRI, intervenu au Bataclan, souffrant d’un stress post-traumatique qu’il nie ; mercredi, Camille (Céleste Brunnquell), une adolescente sportive de haut niveau qui vient à la suite d’un accident à vélo et a subi de la part de son entraîneur un abus, lui aussi dénié ; jeudi, Léonora (Clémence Poésy) et Damien (Pio Marmaï), un couple en crise qui veut et ne veut pas être suivi. Le vendredi soir, Dayan consulte lui-même sa contrôleuse, Esther (Carole Bouquet), amie et veuve de son ancien mentor. Les épisodes se succèdent par séries de 5 représentant une semaine de rendez-vous.

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