Boîte noire
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Pays:
Français
Thème (s):
Liturgie, Vérité
Date de sortie:
8 septembre 2021
Durée:
2 heures 9 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Yann Gozlan
Acteurs:
Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussollier
Age minimum:
Adolescents et adultes

Boîte noire, thriller français coécrit et réalisé par Yann Gozlan, 2021. Avec Pierre Niney, Lou de Laâge, André Dussollier.

Thèmes

Vérité, liturgie.

En conjugant découverte passionnante d’un micromonde, enquête haletante et quête passionnante de la vérité, Boîte noire est – ou plutôt aurait pu être – une réussite.

 

À l’instar de nombreux films et séries, le thriller coscénarisé et réalisé par Yann Gozlan est l’occasion d’entrer un petit univers inconnu, celui de la sécurité aérienne civile. Avec ses convictions et ses croyances, comme l’atteste l’habile plan-séquence d’ouverture ; ses normes et sa déontologie ; ses rites. Ces derniers culminent avec une particulière solennité dans l’ouverture de la boîte noire retrouvée sur les lieux de l’accident, dont on ne saura qu’après qu’il s’agit aussi des lieux d’un crime. Cette liturgie se déroule avec ses officiants en habits, ses gestes minutieux à l’extrême, sa séquence (ouverture, prélèvement, analyse), son silence religieux, ses participants attentifs (« actuosa participatio » !) et ses attentes transformantes : un banal objet se révèle détenir les plus précieuses informations sur la vie et la mort de 316 personnes.

 

Certes, le déroulement de l’histoire est sinon banale, du moins sans surprise majeure : les fausses pistes se multiplient, la plus patente étant évidemment la plus trompeuse ; la toute-puissance épique de Mathieu se retourne en toute-impuissance kénotique ; la dénonciation convenue visera les capitalistes sans scrupule et sans nuance. Mais l’intrigue, menée à un rythme soutenu, sait ménager de vraies tensions, un réel suspense et une heureuse identification avec ce héros solitaire dont on se surprend à épouser la cause qui, au début, est celle de la vérité et, de plus en plus, s’associera à celle de la justice.

 

Venons-en à ce qui, pour moi, est le plus passionnant : la personnalité de celui qui, paradoxalement, occupe toute l’affiche. Comme si c’était lui dont on sondait la boîte noire…

En effet, tout, chez Mathieu, si bien interprété par le beau ténébreux Pierre Niney, dit le secret : la personnalité introvertie, le relationnel taiseux et froid (rencontrant pour les besoins de l’enquête le mari d’une des victimes du crash, le jeune expert s’avère totalement incapable d’exprimer une parole de compassion), le profil observateur distancié (à la soirée de son épouse, il se garde bien d’entrer en contact avec ses collègues), à la limite de l’automate (il réduit ses analyses à des procédures hors contexte et, à la longue, dépersonnalisantes, ainsi que le lui reproche un pilote avéré), la pente paranoïde et obsessionnelle (la caméra insiste sur son besoin compulsif de ranger ses crayons).

Mais, peu à peu, nous découvrons la richesse insoupçonnée d’une personnalité que tout prépare à être un inventeur (au sens étymologique : le verbe latin invenire signifie « découvrir ») incomparablement pénétrant et un analyseur incorruptiblement véridique. Mathieu possède, en effet, au plus haut point, les quatre qualités qui caractérisent l’enquêteur. Deux sont cognitives : les capacités d’observation (ici acoustiques, jusqu’à une hyperesthésie douloureuse) et l’intelligence systématique. Les deux autres sont éthiques : la persévérance jusqu’au scrupule tâtillon, le courage jusqu’à l’affrontement seul contre tous. Sa femme connaît et reconnaît ces vertus hors pair, lorsque, ayant vu son époux exposer avec une admirable sobriété doublée d’une indéniable rigueur la thèse de l’attentat terroriste, elle sent monter en elle une irrésistible bouffée d’amour passionné.

Toutefois, le plus profond est encore ailleurs. Il réside dans cette liberté supérieure par laquelle Mathieu va jusqu’à transgresser la lettre de la loi pour mieux en respecter l’esprit : trahir la confiance de sa femme, au nom de ce que lui dicte sa conscience morale et qui s’avère vrai. Révélatrice est la scène suivante où Noémie accuse Mathieu d’agir pour lui-même, alors que, connaissant sa modestie proverbiale, voire son retrait presque maladif, elle ne fait que projeter sur lui le narcissisme qui motive sa carrière, la conduit à bâillonner son propre jugement éthique, à accepter la séduction éhontée de son collègue et ami Xavier et, finalement, à se défier de la seule personne qui soit digne de confiance.

Symbolique est, de ce point de vue, l’opposition entre l’attitude du héros et celle des « méchants ».

D’un côté la technique qui, humoristiquement, permet de prendre les commandes d’un drone étranger, donne, tragiquement, au criminel de prendre les commandes de l’avion et aux tueurs sur la trace de Mathieu de causer son accident et sa mort ; entrant en résonance, l’anti-éthique de Xavier n’est que déni et manipulation, et la logique marchante d’Atrian vise, à court terme, à abandonner la conduite de ses avions à une intelligence artificielle.

Face à ces conduites, techniques et éthiques, aliénantes, Mathieu est le seul qui refuse toute compromission avec les jeux de pouvoir et la permission que lui offre notre servitude volontaire. Ce faisant, il atteste non pas la révolte vaine d’un isolé brandissant son autonomie hypostasiée contre les puissances violentes du monde moderne, mais le triomphe plein d’une personne libre qui s’est totalement mise au service de la vérité et de la justice, jusqu’à donner sa vie pour elles.

 

Un seul regret, mais de taille : que la scène finale n’ait pas su, à l’américaine ou plutôt à la Spielberg, recueillir toute l’émotion dont le cœur du spectateur est gonflé après avoir vu le sacrifice méconnu de Mathieu. Dans une attitude revancharde, il faut le dire assez typiquement franchouillarde, elle se centre sur la seule dénonciation du coupable, alors qu’il s’agissait d’entrelacer contestation et attestation, en saluant le martyr, au sens le plus adéquat du terme, de ce témoin fidèle. Demeure cette belle image d’une Noémie, partant seule sur le tarmac, entre tristesse d’avoir perdu l’amour de sa vie, culpabilité de l’avoir cru trop tard et fierté d’avoir honoré sa mémoire et imité son courage.

Pascal Ide

Acousticien hors pair, Mathieu Vasseur (Pierre Niney) est un agent du Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile (BEA). Il est marié à Noémie (Lou de Laâge), travaillant elle aussi dans l’aéronautique. Le BEA est chargé d’enquêter sur un accident aérien sans précédent : le crash d’un Atrian-800, nouveau long courrier de la compagnie European Airlines, sur le vol Dubaï-Paris à Bellevaux, dans les Alpes de Haute-Savoie. Aucun des 300 passagers et des 16 membres d’équipage à bord de l’avion n’ont survécu. Les raisons de la catastrophe étant inconnues, le BEA est chargé d’analyser minutieusement les boîtes noires de l’appareil dans ses locaux de l’aéroport du Bourget.

Mathieu est d’abord mis sur la touche pour d’obscures raisons par Victor Pollock (Olivier Rabourdin), son supérieur hiérarchique. Mais, suite à la disparition mystérieuse de ce dernier, le directeur du BEA, Philippe Rénier (André Dussollier), lui demande de reprendre l’enquête. Après avoir proposé le scénario attendu d’un attentat terroriste, le jeune homme se rend compte de l’incohérence d’un certain nombre de données. Peu à peu se dessine un scénario tout différent et encore plus scandaleux de crash, impliquant un brillant cadre d’Atrian, Xavier Renaud (Sébastien Pouderoux). Mais Mathieu se retrouve de plus en plus seul, d’autant que son épouse travaille chez Atrian et est proche de Xavier. Très scrupuleux, introverti et solitaire, sombre-t-il dans un délire paranoïaque ou voit-il vrai ? Son obstination finira-t-elle par payer, ou le mènera-t-elle à sa perte ?

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