Chaos et puissance de la matière

Depuis que deux ouvrages d’excellents vulgarisateurs [1] – et peut-être plus encore des films à succès, comme la série Butterfly Effect (L’effet papillon, science-fiction américano-canadien d’Eric Bress et J. Mackye Gruber, 2004 ; L’effet papillon 2, de John R. Leonetti, sorti directement en vidéo en 2006 ; L’effet papillon 3, de Seth Grossman, lui aussi en vidéo en 2009) – l’ont fait connaître, la théorie du chaos est désormais bien connue du grand public. Son aura tient sans doute à son nom suggestif, même si le terme n’a pas le même sens dans le langage commun et dans le langage des physiciens. D’un mot, est chaotique un processus qui est sensible aux conditions initiales (SCI). Sensible signifie que son évolution est imprévisible, c’est-à-dire, dans la perspective scientifique, aléatoire. Pour le détail, je me permets de renvoyer au cours d’histoire de philosophie de la nature présent sur le site.

Je souhaiterais seulement, en cette brève note programmatique, proposer une interprétation qui relève de la cosmologie philosophique. Elle se fonde sur trois principes : les deux premiers, aristotéliciens, sont la matière comme potentialité et le mouvement (le devenir) comme acte de ce qui est en puissance en tant que tel ; le second, que l’on pourrait qualifier de hégélien ou de heideggérien, est la coextensivité de l’être (matériel, sensible) et du temps.

Voici comment l’on pourrait formaliser le raisonnement qui éclaire philosophiquement un phénomène, un devenir SCI :

La matière est puissance.

Or, en son indétermination, la potentialité est ouverture aux contraires.

Or, le devenir est acte de ce qui est en puissance en tant qu’il est en puissance (définition rigoureuse) ; autrement dit, il est passage de la matière informe à la matière actuée (définition insuffisante, puisque, avec « passage », elle introduit dans la définition un terme équivalent au défini).

Or, le temps dit l’être ; mieux, il s’inscrit dans l’histoire, sans pour autant s’identifier à elle. Dit autrement, il y a correspondance et non équivalence.

Donc, la sensibilité des conditions initiales caractéristique du processus chaotique est la traduction ontochronique (au sein du devenir relu à la lumière de l’être) de la potentialité elle-même inaugurale [2].

Pascal Ide

[1] Cf. James Gleick, La théorie du chaos. Vers une nouvelle science, trad. Christian Jeanmougin, coll. « Sciences d’aujourd’hui », Paris, Albin Michel, 1989 ; Ian Stewart, Dieu joue-t-il aux dés ? Les nouvelles mathématiques du chaos, préf. de Benoît Mandelbrot, trad. Marianne Robert et Marcel Filoche, coll. « Nouvelle bibliothèque scientifique », Paris, Flammarion, 1992, rééd., coll. « Champs » n° 411, 1998.

[2] Dans cette perspective, l’attracteur étrange, qui fait converger ce que la seule sensibilité initiale fait diverger, serait la traduction physico-mathématique de l’actualité informée et finalisatrice versus la potentialité matérielle.

3.8.2024
 

Les commentaires sont fermés.