BONINO S.-T. o.p., Celui qui est. De Deo ut uno, coll. Bibliothèque de la Revue thomiste, Paris, Parole et Silence, 2016. Parue dans la Nouvelle Revue Théologique (NRT) 140 (2018) n° 2, p. 344-345.
Cela faisait bien longtemps que le public francophone attendait un traité du Dieu un. En fait, depuis plus d’un siècle, puisque le précédent ouvrage correspondant à cet objet est celui de Réginald Garrigou-Lagrange, Dieu, son existence et sa nature, publié en 1915 ! Son objet, précisons-le d’emblée avec son auteur, spécialiste reconnu notamment de l’histoire des thomismes médiévaux, n’est pas purement et simplement le Dieu un (par opposition au Dieu trinitaire), mais le mystère même de Dieu unitrine considéré dans son unité d’essence (l’essence étant partagée par les trois Personnes divines). Le plan, sans surprise, est aussi celui que suit l’illustre théologien romain, parce que tous deux demeurent fidèles, jusque dans le détail de l’organisation, aux questions 2 à 26 de la Prima pars de la Summa theologíae (y compris dans la place de la reprise critique des q. 12 et 13 que, influence de Kant oblige, on aurait tendance à placer en premier). A quelques différences près, dont la plus notable est une longue première partie qui traite des sources scripturaires (chap. 1) – attestant bien que nous sommes en théologie révélée -, puis rationnelles (chap. 2) – attestant la capacité de l’intelligence à élaborer une théologie philosophique -, avant de répondre aux objections faites à ce traité (chap. 3).
Si le cœur des thèses et de l’argumentation épouse très fidèlement la lettre et l’esprit de Thomas, exposé avec un grand sens pédagogique, voire avec humour, éclairant les nombreuses notions de cosmologie philosophique, de métaphysique et de noétique thomasiennes par des exemples adaptés, nous avons affaire à un commentaire au sens médiéval le plus relevé du terme : avec l’exposé de la lettre et du sens, nous sont aussi offerts une herméneutique des questions disputées qui ont suscité des débats au sein de l’Ecole (p. ex. sur l’immédiateté de l’action divine, la connaissance analogique de Dieu ou la connaissance divine des futuribles), et une évaluation des prises de position de certaines philosophies et théologies contemporaines (p. ex. sur la critique barthienne de la théologie naturelle, la prétendue constitution onto-théologique de la métaphysique ou sur la Process theology, la souffrance de Dieu). Le recenseur regrettera seulement que les propositions inédites des théologies naturelles britanniques comme celles de Richard Swinburne (sauf à travers le travail fort utile de Paul Clavier) ou d’un théologien de la taille de Balthasar ne soient pas assez prises en compte. Ici, les modèles plus philosophiques (qui continuent à faire référence) de Garrigou-Lagrange et Jean-Hervé Nicolas (dans le deuxième tome de sa dogmatique : De la Trinité à la Trinité) sont largement complétés, plus, enracinés dans l’Ecriture et la Tradition patristique. En ce sens, l’A. s’inscrit beaucoup plus dans le sillage d’un autre dominicain, le p. Vincent-Marie Leroy, son prédécesseur à la tête de la Revue thomiste, dont il fut l’élève et dont il est le disciple. Si lion veut une analogie, on pourrait dire que le secrétaire général de la Commission théologique internationale fait pour ce traité de la Somme de théologie (comme précédemment avec les anges et, espérons-le, il le fera avec d’autres traités aujourd’hui en déshérence comme celui de la providence divine) ce que le p. Marie-Michel Labourdette a fait pour la 2° partie de la même Somme, c.-à-d. la théologie morale. Précisons enfin que, si ce volumineux traité apparaît de prime abord comme un commentaire qui se résout dans la lettre de l’Aquinate, à celui qui le travaillera avec studiosité, mais aussi dans un authentique affectus veritatis, il deviendra savoureux, car il donnera à méditer non plus la littera du Docteur commun, mais la Res que lui-même contemplait cum gaudio : l’Ipsum esse subsistens. Avec cet ouvrage, les programmes de théologie dans les premiers cycles des facultés de théologie et les séminaires ont le manuel de base idéal pour introduire à ce cours encore trop négligé, voire oublié, nécessaire à tout parcours de base dans la science sacrée.
Pascal Ide