D) La virginité pour le Royaume
L’application privilégiée de ce qui fut dit de notre eschatologie aujourd’hui est la virginité pour le Royaume des Cieux. On s’en doute déjà, on ne peut comprendre cet état de vie que dans le cadre de la théologie de la résurrection des corps. Nous le comprendrons mieux encore au cours de l’analyse qui va suivre. Comme toujours, Jean-Paul II partira de l’Évangile et des lettres de S. Paul.
Précisons une fois pour toutes, car Jean-Paul II n’explicite pas la manière dont cette continence se concrétise : la continence ou virginité désigne surtout « la profession religieuse et le célibat sacerdotal » (78, 4 ; p. 406). D’autre part, le Saint-Père utilise sans nuancer les termes de virginité, donation exclusive, célibat et continence (consacrés ou non). Donc ne confondons pas la vertu de chasteté et la continence dans le mariage (qui est maîtrise de la vie sexuelle génitale) et celle de la vie consacrée (qui en est l’abstention totale). Le vocabulaire du pape n’est parfois pas d’une totale précision, à l’instar du flou carctéristique du vocabulaire courant.
1) Introduction (73, 1 ; p. 388 et 389)
L’introduction traite du cadre général de cette nouvelle série de réflexions. Le contexte très général est celui du « sol évangélique de la théologie du corps ». Le contexte plus immédiat est celui de la résurrection des corps, donc le quatrième cycle de catéchèse. Même si la donation exclusive de soi-même pour Dieu se vit dès ici-bas, dans l’état historique, elle « permet déjà […] de jouir par anticipation de ce que l’homme aura en partage après la future résurrection ». Cette anticipation est une des significations de cet état de virginité, ainsi que nous le verrons plus loin. D’ailleurs, le passage étudié ci-dessus comporte une mention de cet état ; or, il traite de la résurrection (Mc 12, 25).
Il demeure que le texte de Mc 12 ne traite pas explicitement de la virginité consacrée ; d’où l’appel à d’autres textes qui serviront de fondement à la réflexion de Jean-Paul II : texte de l’Évangile et textes de S. Paul.
2) Ce qu’en dit l’Évangile (TDC 73 à 82)
a) Lecture du texte (Ibid., 2 ; p. 389)
À la suite de la discussion avec les pharisiens au sujet de l’indissolubilité du mariage et de la lettre de répudiation que Moïse autorisait en certains cas – ce qui fut longuement étudié dans les deuxième et troisième cycles –, les disciples qui ont « écouté attentivement » la réponse de Jésus sur l’adultère du cœur réagissent : « Si telle est la condition de l’homme envers la femme, il n’est pas expédient de se marier ». (Mt 19, 10) Ce qui est l’occasion pour Jésus d’introduire une donnée radicalement nouvelle : « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c’est donné. Il y a en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels en vue du Royaume des Cieux. Comprenne qui pourra ». (Mt 19, 11-12. C’est Jean-Paul II qui souligne en vue de son développement ultérieur)
Une note référencée renvoie à trois études techniques exégétiques de ce passage (Ibid., note 83 ; p. 390).
Exposons le texte de l’Évangile en systématisant l’analyse de Jean-Paul II qui s’étend sur pas moins de neuf entretiens. Il étudie la continence d’abord en sa relation à la vocation au mariage, puis en elle-même en sa dimension subjective de décision libre, éclairée et motivée, ainsi qu’en sa dimension objective, « pour le Royaume ». Il peut alors, comme d’habitude, en tirer les conséquences plus générales pour la théologie du corps qui est, rappelons-le, la perspective englobant toutes ces catéchèses.
b) Comparaison de la continence pour le Royaume et du mariage
1’) Nouveauté de la continence
o’) Introduction
La continence dont parle le Christ est une vocation nouvelle, spécifique. En effet, le Christ ne répond pas à la question des apôtres relative au mariage, par exemple en leur disant : il n’est pas expédient de se marier ; auquel cas son jugement serait négatif et la continence pour le Royaume des Cieux ou le mariage (selon le point de vue où l’on se place) aurait aussi une valeur négative. Si donc, le Christ « ne se maintient pas dans la ligne » de la question et du raisonnement,
Mais « le Christ a recours à un autre principe ». En effet, le Nouveau Testament ne fait aucune allusion à cette vocation. Cela signifie la profonde nouveauté de son propos et sa valeur spécifique (73, 3 ; p. 390). Or, cette originalité est double. D’une part par rapport à l’avenir, d’autre part par rapport au passé et il faudra plus longuement établir ce second point.
a’) La différence avec la résurrection des corps (73, 5 ; p. 391)
La continence pour le royaume est une réalité historique. Il ne faut pas confondre cette vocation actuelle et la continence future. Pour cela, Jean-Paul II distingue « la continence dans le Royaume des Cieux » et « la continence pour le Royaume des Cieux ». En effet, le Christ compare mariage et continence, celle-ci étant considérée « comme une sorte d’exception à ce qui est plutôt une règle commune en cette vie ». Or, le mariage est une réalité ô combien historique ; donc le bien-fondé de la comparaison suppose que la continence l’est de même.
D’ailleurs, la signification de la virginité est notamment eschatologique : elle anticipe le Royaume ; et on ne peut anticiper que ce qui n’est pas encore présent.
Célibat consacré
« Le célibat a une relation avec la résurrection d’entre les morts ; il est un signe d’éternité, d’incorruptibilité et de vie. En effet, le mariage a comme fin naturelle la génération des enfants. Il assure la continuité de l’humanité et la création de nouveaux êtres, parce que les hommes sont destinés à mourir et qu’il leur faut une succession. […] Il n’est plus nécessaire dans l’autre monde de s’assurer une descendance, puisqu’on est immortel [1] ».
b’) La nouveauté par rapport à l’Ancien Testament (TDC 74)
On n’y trouve nulle part trace de la vocation à la continence : « Il n’y a pas de place dans l’Ancien Testament pour cette signification du corps que le Christ […] veut maintenant […] révéler » (Ibid., 3 ; p. 393)
1’’) C’est un fait (Ibid., 2 et 3 ; p. 392 et 393) :
Jean-Paul II n’en donne qu’un exemple tiré du livre des Juges (Jg 11,37-39). La fille de Jéphté dit ces « paroles significatives », comme remarque le pape : « Qu’il me soit accordé […] de pleurer ma virginité ». (Jg 11,37) De manière plus générale, aucun des « conducteurs spirituels » n’a « proclamé cette continence en paroles et dans la conduite ».
2’’) La cause en est double (Ibid., 3 ; p. 393) :
Tout d’abord, le mariage était l’état commun de la nature humaine. Plus profondément, il est recommandé par le Créateur comme vocation : l’homme souffrait de la solitude et « c’est Dieu lui-même qui l’avait tiré de cette solitude » (76, 5 ; p. 400 ; cf. Gn 2,18). Et cette vocation est inscrite, se traduit subjectivement dans notre être par une inclination naturelle à la vie conjugale. C’est pour cela que la stérilité est si douloureuse aux femmes et c’est aussi pour cela que la continence, le renoncement volontaire pour le Royaume est un « tourment », selon le mot étonnant de Jean-Paul II que nous retrouverons plus loin (Ibid.).
Il y a une seconde raison, propre au peuple juif : le mariage avait acquis « une signification consacrée par la promesse que le Seigneur avait faite à Abraham » (cf. Gn 17,4.6-7 que cite Jean-Paul II). Il fait partie de l’alliance promise par Dieu : la fécondité, la procréation sont une bénédiction de Dieu ; et son cadre est le mariage qui devient alors un « état religieusement privilégié ». C’est la raison pour laquelle « l’idéal de la continence était difficile à comprendre » pour les apôtres et les auditeurs de Jésus.
3’’) Objection (Ibid., p. 393) :
Dans deux notes, Jean-Paul II relève deux objections fréquentes opposées à la spécificité néotestamentaire et chrétienne du célibat. soulignent. ??? D’une part le prophète Jérémie observa le célibat sur un ordre explicite du Seigneur ; « mais ceci fut un signe prophétique ». D’autre part, au temps de Jésus, la secte des esséniens et la communauté de Qumran, le célibat existait. Mais c’est en rompant avec le judaïsme officiel qu’elles s’étaient constituées et le sens qu’elles attribuaient au célibat en faisait une valeur négative.
4’’) Confirmations
Une première confirmation est donnée par le fait que le Christ tient compte de cette difficulté de ces auditeurs (Ibid., 4 ; p. 393 et 394). En effet, pour l’Ancien Testament, la continence, l’état de celui qui ne se marie pas est la conséquence d’une maladie ; or, être eunuque de même, car c’est « un état de déficience physique », et c’est le terme qu’à dessein le Christ emploie. Aussi, « par cette référence Jésus touche – en un certain sens – » ce fond « psychologique, éthique » et « religieux » de l’Ancien Testament. C’est comme s’il disait à ses auditeurs : « Je sais que ce que je vous dirai maintenant suscitera de grandes difficultés dans votre conscience, dans votre manière de comprendre la signification du corps ».
Une dernière confirmation est fournie par la conscience qu’ont eu les apôtres de cette nouveauté et de cette importance (Ibid., 5 ; p. 394) :
Les apôtres n’ont pas immédiatement manifesté peul opinion – ce qui nous en dit long sur leur étonnement. Mais on trouve une réaction, en particulier chez S. Paul. « Cela confirme que ces paroles s’étaient gravées dans la conscience des disciples du Christ de la première génération, puis qu’elles fructifièrent ». L’enseignement de Paul montre aussi qu’ils ont accepté l’enseignement du Christ.
Il demeure que les disciples du Christ eurent de la difficulté à percevoir cette nouvelle vocation (75, 4 ; p. 397 et 398). Avec son réalisme historique habituel, Jean-Paul II insiste sur ce point.
Bref, les paroles du Christ « marquent un tournant » (Ibid., 5 ; p. 394 ???) et « une nouveauté absolue » (76, 1 ; p. 398).
c’) Conséquence (75, 4 ; p. 397 et 398)
Le pape en déduit que la découverte de cette vocation chez les disciples fut progressive. Il est difficile d’accepter une donnée nouvelle, ainsi qu’on en fait tous les jours l’expérience. Les apôtres, formés à l’Ancienne Alliance, faisaient du mariage et de la fécondité « une condition religieusement privilégiée ». Par ailleurs, c’est l’exemple et le témoignage qui jouent un rôle décisif dans un enseignement éthique ou spirituel. À partir de quel exemple peut-on accéder à cette conscience nouvelle que requiert la continence ? Jean-Paul II distingue :
– le cas des premières générations « des confesseurs du Christ ». Ici, c’est la certitude de la foi et la méditation « de la maternité divine » et virginale de la Vierge qui les a conduits « à comprendre, d’une part, la sainteté du mariage et d’autre part, le désintéressement du mariage en vue du Royaume des Cieux ».
– le cas immédiat des apôtres. Le mystère de la virginité de Marie « leur était resté caché » ; il ne leur restait donc qu’un seul exemple pour comprendre le célibat pour le Royaume : non plus celui des patriarches de l’Ancienne Alliance, mais l’« exemple personnel […] du Christ lui-même ».
2’) Supériorité de la vocation à la continence
Jean-Paul II l’établir à partir d’un texte central de sa pensée : « En choisissant la continence pour le Royaume des Cieux, l’homme a la conscience de pouvoir se réaliser de manière différente et, en un certain sens, plus que dans le mariage, en se faisant ‘don sincère pour les autres’ (Gaudium et Spes, 24) ». (77, 2 ; p. 401 et 402)
Cette supériorité est affirmée par l’Évangile dans le texte que nous lisons (Mt 19, 11-12). Jésus y « dit certainement qu’il s’agit d’une vocation exceptionnelle, qui sort de l’ordinaire » et qu’elle est nécessaire pour le Royaume des Cieux ». Or, la supériorité peut s’entendre en ce sens. C’est donc que « le Christ l’indique implicitement », mais non pas directement. S. Paul est encore plus clair, puisqu’il assure : ceux qui choisissent de se marier « font bien », et que les continents volontaires, « font mieux » (1 Co 7, 38). Enfin, telle est « l’opinion de toute la tradition, tant doctrinale que pastorale ». (id., 5 et 6 ; p. 403 et 404)
Le pape apporte une précision importante : « cette ‘supériorité de la continence sur le mariage ne signifie jamais, dans la tradition authentique de l’Église, une dévaluation du mariage ». Ce serait du manichéisme dont on a vu combien l’Évangile, via Jean-Paul II, l’excluait. (id., 6 ; p. 404)
C’est ce que va éclairer le point suivant qui approfondit les relations de ces deux vocations et donne la véritable lumière.
3’) Complémentarité des vocations au mariage et à la continence (TDC 78)
En effet, Jean-Paul II commence par une affirmation qui paraît contredire ce qu’il a dit la semaine précédente : Mt 19 et 1 Co 7 « n’offrent aucune base permettant de soutenir soit l’infériorité du mariage, soit la supériorité de la virginité ». Que penser ? En fait, le Saint-Père parle des motivations et non pas de l’essence de ces vocations : quant à la nature même, la continence est bien supérieure ; mais quant à la motivation, le Christ « propose à ses disiciples l’idéal de la continence […] non pas pour un motif d’infériorité » du mariage, « mais seulement pour le Royaume des Cieux ». (id., 1 ; p. 404)
a’) Erreur (id., 1 à 3 ; p. 404 à 406)
Souvent on a opposé ces deux vocations et on a ainsi divisé l’Église. Par exemple « les célibataires constitueraient, pour le seul motif de leur continence, la classe des parfaits et, au contraire, les personnes mariées constitueraient la classe des non-parfaits (ou des moins parfaits ) ». N’est-ce pas ce qu’a dit « une certaine tradition théologique » quand elle a identifié l’état religieux à « l’état de perfection » ?
Jean-Paul II répond en distinguant les trois vœux (pauvreté, chasteté et obéissance), dont la continence fait partie, et la charité ; or, la perfection chrétienne consiste dans la finalité, c’est-à-dire la charité elle-même : c’est pour cela que « la charité est la mesure », car seule la fin est à même de mesurer l’action. Et « les conseils évangéliques », autrement dit les trois vœux, ne sont que les moyens, mais des moyens privilégiés, car ils « aident incontestablement à parvenir à une plus pleine charité ».
D’où deux conclusions. Ceux qui, dans un institut religieux, vivent de « la fidélité à l’esprit de ces conseils » sont appelés à « vivre dans un état de perfection », le terme de perfection étant donc transféré de la fin aux moyens. D’autre part, la « perfection est accessible et possible à » quiconque vit de charité, « dans un institut religieux comme dans le monde ».
De plus, Jean-Paul II ne semble-t-il pas suggérer une piste lorsqu’il parle d’une « fidélité à l’esprit de ces conseils » (les trois vœux) ? C’est donc qu’il est possible de distinguer entre un vécu « institutionnalisé » de ces conseils, et un vécu dans l’esprit, ce que l’on peut trouver même dans le mariage.
D’où le corollaire : celui qui est « dans le monde peut atteindre de facto un degré supérieur de perfection […] par rapport à la personne qui vit l’état de perfection mais à un moindre degré de charité ».
Marie, modèle de complémentarité des vocations
« La virginité et la maternité coexistent en elles : elles ne s’excluent pas et ne s’imposent pas réciproquement des limites. Au contraire, la personne de la Mère de Dieu nous aide tous – particulièrement toutes les femmes – à découvrir comment ces deux dimensions et ces deux voies dans la vocation de la femme, comme personne, s’expliquent et se complètent l’une l’autre [2] ».
b’) Vérité
En fait, « cette supériorité et cette infériorité sont contenues dans les limites de la complémentarité » de ces vocations, autrement dit, y sont subordonnées : « ces deux états s’expliquent et se complètent l’un l’autre » (id., 2 ; p. 405), et cela, « dans la vie d’une communauté authentiquement chrétienne » (id., 4 ; p. 406). En effet, double est le sens du corps : sponsal et procréatif et l’on retrouve cette complémentarité, cette interpénétration réciproque pour ces deux significations :
– Dans l’amour conjugal, comme dans la continence, l’amour « est sponsal, c’est-à-dire qu’il s’exprime par le don total de soi », quoique différemment : au conjoint dans le cadre du mariage, à l’unique Epoux dans le cadre de la vriginité consacrée. Or, cet amour « tend à exprimer cette signification sponsale du corps » qui lui appartient « depuis l’origine », car elle appartient au dessein créateur de Dieu. (Id., 4 ; p. 406)
– D’autre part, ces deux états de vie s’expriment aussi dans la fécondité, donc dans la paternité et la maternité, là encore diversement : physiques, dans le cadre du mariage, et spirituelles (la « fécondité de l’Esprit-Saint » ), dans le cadre de la continence. Et il y a complémentarité, notamment dans le cadre du mariage, car « la génération physique […] ne répond pleinement à sa signification que si elle est complétée par […] l’éducation donnée par les parents » ; or, celle-ci est d’ordre spirituel. (Id., 5 ; p. 406 et 407)
En conséquence, « nombreux sont les aspects et les sphères de la complémentarité ».
c) Dimension subjective de la continence pour le Royaume
La continence pour le Royaume des cieux présentent une double dimension : subjective (liberté de cette vocation) et objective.
1’) Nécessité de la liberté de cette vocation
Le Christ affirme : « Comprenne qui pourra » et « Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là seulement à qui c’est donné ». Jean-Paul II fait appel à « la doctrine de l’Église » pour interpréter ces paroles : celles-ci « expriment, non pas un commandement qui oblige tout le monde, mais un conseil qui concerne seulement quelques personnes : celles précisément qui sont capables de le comprendre, celles à qui c’est donné ».
En effet, « comprendre » a deux sens : l’un théorique et l’autre pratique ; dans le premier sens, nous avons déjà vu que les contemporains du Christ avaient de la difficulté à comprendre ses paroles ; mais ce n’est pas d’abord la signification utilisée par Jésus. Dans le second sens, la « compréhension implique […] la motivation ». (76, 4 ; p. 399) On entend alors par compréhension, à la fois la saisie intellectuelle et l’adhésion pratique, la décision, donc le dessein de d’engager dans cette voie ; or, c’est le cas d’une minorité, « une exception par rapport à l’autre état » (73, 4 ; p. 390 et 391) et non pas la voie habituelle dont parle « l’origine » (Gn 2), c’est-à-dire le mariage. Nous reparlerons plus loin de cette décision, mais, dès à présent, nous voyons combien elle fait partie de cette vocation consacrée.
Le Christ souligne lui-même le caractère volontaire de celle-ci quand il distingue les trois catégories d’eunuque : les deux premières correspondent à « un état de coercition, parce que nullement volontaire ». Mais la troisième catégorie correspond à la vocation à la continence pour le Royaume des Cieux ; or, ces eunuques « se sont eux-mêmes rendus tels » ; la distinction faite par le Christ a donc pour but de « souligner encore plus nettement son caractère volontaire ».
2’) Exercice de cette liberté
a’) Première condition. La compréhension
Nous le disions ci-dessus, le Christ lui-même rappelle l’importance de la juste compréhension : « Comprenne qui pourra ». La liberté s’étaye en effet, sur la connaissance : je ne peux décider que de ce que je connais. Le renoncement impliqué par la continence est « conscient et volontaire » (77, 3 ; p. 402).
En particulier, la juste compréhension de cette vocation ne doit pas en cacher la difficulté. Jean-Paul II, avec beaucoup de réalisme, revient à plusieurs reprises sur ce sujet, rejoignant une préoccupation pastorale bien actuelle. Cette difficulté s’exprime en trois mots : tourment, sacrifice et exigence.
1’’) Tourment (76, 5 ; p. 400) :
Le Christ « laisse aussi clairement entendre le tourment que peuvent provoquer cette décision et ses […] conséquences ». Jean-Paul II explique aussitôt pourquoi : « en raison des inclinations normales (nobles d’ailleurs) de sa nature ». Précisons : l’inclination sexuelle qui porte l’homme vers l’autre sexe n’est pas d’abord le fruit de la libido, d’un désir désordonné, mais le fait de la nature. C’est pour cette raison qu’« il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Gn 2,18) et que l’homme est d’abord appelé au mariage (cf. aussi Gn 2). Le manque étant source de souffrance, on comprend pourquoi la solitude du célibataire comporte une souffrance (un « tourment ») réelle.
Aussi le Christ atténue-t-il son appel à l’idéal de la continence « par cette règle de compréhension que nous avons signalée » : « Comprenne qui pourra ».
2’’) Renoncement et sacrifice (77, 3 ; p. 402) :
« Continence signifie renoncement conscient et volontaire » aux deux biens du mariage qui sont les deux significations du corps : l’« union corporelle » des époux et « la génération comme fondement de la communauté familiale ». Or, le sacrifice est un don conscient et voulu comportant un renoncement à un bien très réel. La continence pour le Royaume « est [donc] liée à un certain sacrifice de soi-même ».
Ce premier sacrifice s’inscrit dans le temps, il est suivi d’autres sacrifices volontaires de soi-même.
Jean-Paul II revient plus loin sur le renoncement : « Pour être pleinement conscient de ce qu’il choisit (la continence […]) l’homme doit être tout autant conscient de ce à quoi il renonce ». Ce qui signifie que la conscience conjugue l’« idéal » et le réalisme. Voilà pourquoi il insiste sur le « choix bien mûri » : la maturité est une condition indispensable à la réponse à l’appel à la continence (et au mariage, d’ailleurs). (81, 2 ; p. 414)
3’’) Exigence (79, 8 ; p. 410) :
« Le Christ ne cache pas à ses disciples le fait que le choix de la continence pour le Royaume des Cieux est […] un renoncement » qui comporte « des exigences ».
En Pasteur suprême de l’Église, Jean-Paul II insiste donc sur trois points capitaux pour la spiritualité de la continence, du célibat : tout d’abord, elle implique pleines liberté et conscience ; ensuite, elle est renoncement à deux biens immenses : l’union et la procréation ; enfin, elle n’est pas d’abord renoncement tourmenté, mais don amoureux et joyeux de soi.
b’) Seconde condition. La motivation
C’est ce qu’il nous faut maintenant considérer avec attention. Bien que le texte ne tranche pas de manière aussi nette, il paraît possible de distinguer quatre significations différentes motivant le choix de la continence pour le Royaume.
1’’) Signification eschatologique
On le sait, dans « l’autre monde », « on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22,30), alors que « les enfants de ce monde prennent femme et mari » (Lc 20, 34). Or, être continent, c’est ne pas prendre de conjoint. En conséquence, « la continence terrestre pour le Royaume des Cieux est certainement un signe qui indique » et anticipe « l’autre monde », ce que l’on appelle l’eschatologie. (75, 1 ; p. 395)
Mais il faut approfondir. En effet, positivement, qu’est-ce qui caractérise le Royaume des Cieux, le monde nouveau ? C’est que Dieu sera « tout en tous » (1 Co 15, 28) ; et cette union sponsale et plénière à Dieu, dans la vision « face à face », se traduira par « l’union d’une parfaite intersubjectivité » : « tous ceux qui prennent part à l’autre monde » seront unis « dans le mystère de la communion des saints ». (Id.) Car le Royaume sera le « développement authentique de l’image […] de Dieu » et « Dieu est trinitaire, donc communion » (77, 2 ; p. 401 et 402).
Or, celui qui est continent « est capable de découvrir dans cette solitude […] une forme nouvelle et même encore plus pleine de communion intersubjective avec les autres » : en effet, dans ce choix de la virginité, l’homme est appelé et « a la conscience de se réaliser de manière différente » comme « ‘don sincère pour les autres’ (Gaudium et spes, n. 24) ». (Id., p. 402) Autrement dit, ce qui caractérise la vie du célibataire consacré est un plus grand don de soi, une plus grande disponibilité et accueil : et c’est à cette condition qu’il accomplit sa vocation et qu’il devient signe eschatologique, c’est-à-dire montre ce que sera notre vie future.
2’’) Signification sotériologique (75, 1 ; p. 395)
Sotériologique signifie : en relation avec le « salut » (sôter, en grec). Le célibat « exprime la force et la dynamique les plus authentiques du mystère de la rédemption du corps ». En effet, il « anticipe la future résurrection » et « l’autre monde ». Et celle-ci est le fruit de la grâce salvifique.
3’’) Signification christologique (75, 1 ; p. 395 ou ibid.)
Nous venons de voir que le célibat a un sens sotériologique et c’est le Christ qui nous sauve : la rédemption est « un mystère que le Christ a écrit dans l’histoire terrestre de l’homme et a profondément enraciné dans cette histoire. Ainsi donc, la continence pour le Royaume des Cieux porte surtout l’empreinte de la ressemblance avec le Christ ». Plus encore, c’est imiter le Christ qui « a lui-même fait ce choix ».
N’appartenir qu’au Christ
« Par le signe de la chasteté vécue dans le célibat, les prêtres expriment leur attachement déterminant au Christ Prêtre et à l’Église son Epouse. Ce signe n’est pas d’abord celui d’un effort de perfection personnelle dans une rupture avec le monde, mais la manifestation et le moyen d’une vie donnée, saisie par le Christ et le service de son Évangile, au point de n’‘appartenir’ à personne d’autre [3] ».
- Jean Chrysostome, Père de l’Église grecque, parle du célibat volontaire : « Dieu ne le refuse à personne, quand on le lui demande avec ferveur… Ce don est accordé à tous ceux qui le souhaitent et qui le demandent [4] ».
4’’) Signification charismatique ou pneumatique
Elle approfondit la précédente et la fonde. C’est la plus belle et la plus décisive raison. Marie et Joseph sont les créatures qui ont le plus vécu de ce mystère de la continence. Or, dans le mystère de la conception de Jésus, ils « devinrent les témoins d’une fécondité différente de celle de la chair, c’est-à-dire de la fécondité de l’Esprit : ‘Ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint’ (Mt 1, 20) », comme l’a dit l’ange à Joseph. C’est donc que la continence est liée à « la plus parfaite fécondité de l’Esprit-Saint », « auquel l’homme soumet son esprit quand il choisit librement la continence dans le corps ». (75, 2 à 4 ; p. 395 à 398)
Notons que Jean-Paul II dit souvent que cette vocation à la continence est « charismatique ». En grec, « charisma » signifie grâce ; et on approprie à l’Esprit-Saint l’infusion de la grâce en nos cœurs (cf. Rm 5, 5). Voilà pourquoi on qualifie de « charismatique » l’action de l’Esprit-Saint.
Le célibat s’inscrit donc dans une dynamique trinitaire : vécu pour (le Royaume de) Dieu, à l’imitation du Christ, dans la fécondité de l’Esprit.
d) Dimension objective de la continence pour le Royaume (TDC 79)
Jusqu’à maintenant, nous avons parlé de « la finalité subjective, de l’appel du Christ à la continence ». Mais celle-ci a aussi « un sens objectif » (id., 1 ; p. 407). Nous en avons déjà parlé en traitant des différentes significations. La vocation à la continence est liée à une décision, et précisément à « une finalité surnaturelle bien précise », à un « effort spirituel déterminé ». (74, 5 ; p. 394) Et cette finalité est objectivement fixée par les quatre significations établies ci-dessus.
Mais il faut encore préciser ce sens objectif, et cela en s’interrogeant sur le sens de l’expression : « pour le Royaume des Cieux », à la lumière de Mt 19, 11-12 où elle « est définie de façon précise ».
1’) Signification de l’expression « pour le Royaume des Cieux » (id., 2 et 3 ; p. 407 et 408).
« Le Royaume des Cieux signifie le Royaume de Dieu que le Christ a prêché dans son accomplissemement final, c’est-à-dire eschatologique ». Ainsi donc, il faut distinguer le Royaume de Dieu dans sa réalisation temporelle, où il est ébauché et dans son « accomplissement eschatologique » où il est achevé : il porte alors le nom de Royaume des Cieux. Tel est le sens de « la parabole du banquet de noces » (Mt 22,1-4) Or, ce qui est fait dans le temps inaugure, commence, invite à, bref « prépare » « l’accomplissement définitif ». En conséquence, celui qui est appelé à la continence pour le Royaume prépare et instaure « de manière toute spéciale » le Royaume des Cieux. Autrement dit, il manifeste, il signifie que le dynamisme même de ce monde terrestre et du Royaume de Dieu n’est pas borné à ce monde, mais est orienté dans « la perspective de son accomplissement eschatologique ».
2’) Difficulté (id., 3 et 4 ; p. 407 et 408)
Telle est donc, « d’une manière générale », la « finalité » du « renoncement volontaire ». Mais cela reste encore bien général et peu motivant. En effet, l’action a besoin de finalité concrète : ce n’est pas la perspective des vacances en général qui me fait partir en voyage, mais celle de vacances en tel lieu, avec telles personnes, etc. Le Christ « ne précise pas […] pour quelles tâches concrètes cette continence volontaire est nécessaire ».
On pourrait répondre que S. Paul « nous dira quelque chose de plus à ce propos » (cf. 1 Co étudié plus loin) et que « la vie de l’Église dans son cours historique » complètera. Mais ce ne serait pas prendre en compte le silence volontaire du Christ qui, intentionnellement, ne donne « aucune indication plus détaillée sur la façon de comprendre ce Royaume », alors qu’il aurait très bien pu le faire. Avec grande finesse de lecture de l’Écriture, Jean-Paul II relève ce silence et va tenter d’en montrer toute la richesse de sens.
3’) Réponse (id., 5 à 9)
Elle est double, négative et positive :
a’) En négatif (id., 5 ; p. 408 et 409)
Le Christ connaît « la ligne de pensées » utilitariste de ses disciples, puisque ceux-ci l’ont adoptée quand il a été question du mariage : « Si telle est la condition, avaient-ils dit, […] il ne convient pas de se marier ». (Mt 19,10) En effet, « ce convient » fait « résonner quelque note utilitariste ». Et « le Maître se détache ouvertement de cette manière de concevoir » l’appel de Dieu, qu’il s’agisse du mariage ou de la continence. Or, donner une raison particulière à la continence serait risquer de la subordonner à cette raison, de faire un « calcul » et lui ôter toute valeur, ce qui est l’attitude utilitariste. Voilà pourquoi le Christ ne spécifie pas « pourquoi il vaut la peine de renoncer […] au mariage ».
Ainsi se dessine en creux la raison positive : la continence « constitue en elle-même une valeur particulière ».
b’) En positif
Tout d’abord (id., 6 ; p. 409), « chacun doit agir conformément à la vocation choisie ». Autrement dit, la vocation vaut pour elle-même. En effet, tel est le cas pour le mariage : « si quelqu’un choisit le mariage, il doit le choisir tel que le Créateur l’a institué à l’origine ; et il doit chercher en lui les valeurs qui correspondent au plan de Dieu ». Or, la continence pour le Royaume est aussi une vocation. De même, celui qui décide d’être continent « doit y chercher les valeurs propres de cette vocation ».
Ensuite, plus précisément (id., 7 ; p. 409), « le Royaume des Cieux » s’éclaire de « la révélation du rapport conjugal du Christ avec l’Église » développé par Ep 5,25s et que nous analyserons plus loin. En effet « ce texte est également valable soit pour la théologie du mariage, soit pour la théologie de la continence ». Or, qui dit conjugal, dit don de soi et donc amour.
De plus (id., 8 et 9 ; p. 410), on sait que la décision pour la continence suppose la vive conscience du renoncement. Et « les paroles du Christ » qui insistent sur cet aspect sont « caractérisées par une certaine sévérité ». Mais comme toujours, le « non » est pour un « oui » : « c’est le propre du cœur humain d’accepter des exigences même difficiles, […] au nom de l’amour pour la personne », qui est ici le Christ ; de plus, ce renoncement est pour une « disponibilité », celle « du don exclusif de soi pour le ‘Royaume de Dieu’ ». Ainsi dans « la profondeur et le sérieux de la décision de vivre dans la continence […] transparaît lumineusement l’amour ». Or, le Christ lui-même donne l’exemple d’un don total de soi, « jusqu’à la fin, dans le mystère de la Pâque et de l’Eucharistie ». Aussi cet amour, selon ce que nous disions plus haut, est à l’image de l’amour sponsal du « Christ lui-même comme Epoux de l’Église, Epoux des âmes ».
Ainsi, la « donation de soi » dans la continence est un « renoncement, mais surtout », elle est « faite par amour », comme une « réponse particulière à l’amour de l’Epoux divin ». De sorte que l’on peut dire que la décision de la continence acquiert « la signification d’un acte d’amour sponsal ». Telle est la splendide raison pour laquelle le Christ n’explicite pas plus la raison de la continence : celle-ci est une invitation à se donner, à l’image de Jésus. Et rien n’est subordonné à l’amour. Seule la charité ne passera pas (cf. 1 Co 13,13).
e) Conséquence pour la théologie du corps (TDC 80 et 81)
0’) Intention (80, 2 ; p. 411)
« Il convient maintenant de prêter attention à la signification que ces paroles [du Christ sur la continence pour le Royaume] ont pour la théologie du corps ». En effet, Jean-Paul II l’a noté à deux reprises, il n’est pas indifférent que ce texte sur la continence soit situé juste après l’entretien sur le thème du mariage qui fut au centre du premier cycle de catéchèse traitant de « l’origine » en Gn 1 et 2. Or, « la signification sponsale du corps humain » a été « déduite […] de l’analyse des premiers chapitres de la Genèse » (Gn 2,23-25).
Voilà pourquoi il est intéressant d’étudier la lumière apportée par l’enseignement sur la continence au sujet de la théologie du corps.
1’) Signification erronée (id., 3 et 4)
a’) Principe
Nous l’avons vu, aujourd’hui, « on a pris l’habitude de parler surtout d’instinct sexuel ». Qu’en penser ?
Jean-Paul II donne d’emblée un sens restrictif mais rigoureux au terme d’instinct : il désigne une réalité qui « est le propre du monde des animaux ». Or, l’étude précise des deux premiers chapitres de la Genèse a montré que « la Bible » établit « une limite très claire et indiscutable entre le monde des animaux (animalia) et l’homme », car seul ce dernier est « créé à l’image et ressemblance de Dieu ». Réduire l’homme à l’animal, c’est faire du naturalisme et oublier ce qui lui est propre : intelligence et capacité de don. De plus, cet instinct implique la « nécessité » ; or, la dignité de l’homme consiste en la liberté (du don). (cf. id., 5 ; p. 412 et 413)
Par ailleurs, on se rappelle que, selon une catégorie centrale, l’anthropologie doit être « adéquate », c’est-à-dire « appropriée ». On doit donc conclure que « l’expression ‘instinct sexuel’ n’est nullement appropriée et adéquate ».
Précisons. L’homme est pour une part animal (Jean-Paul II parle prudemment d’« une certaine analogie »), mais il est bien plus que cela. Aussi, « l’application du concept d’instinct sexuel à l’homme […] limite […] et diminue » la sexualité humaine : d’une part, en sa dimension personnelle et subjective ; d’autre part, en sa dimension interpersonnelle et intersubjective : autrement dit, l’union conjugale (« une seule chair ») est bien plus que la copulation animale. En positif, le « concept clé » et « seul approprié et adéquat » est celui de « signification sponsale du corps » et donc de la sexualité ; or, le corps animal (même « d’hommestiqué », selon le jeu de mots suggestif de Lacan) ne recèle nullement cette signification.
b’) Application à notre question
Si l’on identifie la sexualité et le corps humain à cette catégorie naturaliste qu’est l’instinct sexuel, on se rend incapable de comprendre l’apport de l’appel à la continence ; celle-ci devient une mise hors jeu du corps et ne nous apprend rien sur ce qu’il est et ce qu’est la personne dont il est le signe visible. Plus encore, la continence apparaît impossible à vivre et illusoire.
2’) Signification vraie
Que signifie la continence pour la théologie du corps, en vérité ? La question qui se pose est celle de la relation entre la vocation à la continence et le corps.
Un signe nous invite déjà à croire qu’il existe une relation (id. 5 ; p. 412 et 413). En effet, parlant de la continence, le Christ dit « Comprenne qui pourra ! » (Mt 19,12) Or, que « la continence soit « comprise », signifie qu’elle soit « tirée et déduite ». Et de quoi ? « de l’idée que l’homme a de son propre ego psychosomatique », donc en son corps et en son âme. D’ailleurs, la continence est un libre acte de don et de renoncement, ce qui présuppose la pleine et « mûre conscience » de ce que l’on donne et de ce à quoi on renonce, qui est l’exercice de la signification sponsale du corps.
La continence confirme et approfondit la signification du corps (id., 6 et 7 ; p. 413 et 414). Le corps vit de cette signification sponsale lorsqu’il vit « pour ». Or, il est évident que, dans le cadre du mariage, l’homme est appelé à vivre de ce « pour » : il choisit « la donation personnelle de lui-même faite à une autre personne », de manière à ne plus former qu’une seule chair. Mais ce pour n’est nullement exclu dans la continence. Jean-Paul II l’affirme plusieurs fois, mais ne précise qu’une seule fois en quoi consiste ce pour : certes, il s’agit de « la continence pour le Royaume des Cieux » ; mais on ne se donne qu’à une personne, et celle-ci est le Christ : par la continence, l’homme choisit de « se donner totalement au Christ ».
D’ailleurs, la continence est « une réponse particulière à l’amour de l’Epoux divin » (79, 9 ; p. 410) [réf. ajoutée], ce qui signifie que cet appel est un « acte d’amour conjugal, c’est-à-dire une donation personnelle de soi-même » (80, 1 ; p. 411). Précisons. Nous avions vu avant que la continence comporte une double face : négative de renoncement et positive de « réponse particulière à l’amour divin » ; or, on répond à l’amour par l’amour et cet amour est celui de la personne du Christ.
En conséquence, « la continence pour le Royaume de Dieu […] se réalise sur la base de la pleine conscience de cette signification sponsale » du corps. Loin de la nier, cette vocation la réalise et s’enracine pleinement dans la masculinité et la féminité. Ce choix de la continence n’est donc pas une « castration », comme on le croit trop. Au contraire, il ouvre « une nouvelle perspective de réalisation personnelle de soi-même ‘au moyen d’un don sincère de soi-même’« (81, 6 ; p. 416).
3’) Conséquences
« Si le choix [pour la continence] se réalisait à travers une quelconque négligence artificieuse de cette authentique richesse » qu’est la signification sponsale, et finalement par un oubli ou une négligence du corps lui-même, « il ne répondrait pas de manière […] adéquate au contenu des paroles du Christ » en Mt 19, 11-12. (id., 7 ; p. 416) Ce serait reproduire, à l’envers et symétriquement, l’erreur réduisant l’homme à l’animal. Ici, ce serait faire du consacré un ange, un pur spirituel. Et on connaît le mot profond de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête. Et qui veut faire l’ange fait la bête ». [5]
Par ailleurs, positivement, nous le savons, « la réalisation à cet appel [à la continence] sert […] à confirmer la signification sponsale du corps humain ». (81, 3 ; p. 415)
Mais Jean-Paul II va plus loin : en affirmant que « ce renoncement consenti […] est, en un certain sens, indispensable [c’est moi qui souligne] pour que la signification sponsale même du corps soit plus facilement reconnue dans tout l’ethos de la vie humaine ». Pour bien comprendre cette parole elliptique et suggestive du pape, il faut se rappeler ce qui a été dit de la complémentarité des vocations – chacune est nécessaire à l’autre –, et, de plus, que la virginité consacrée a une valeur de signe, d’expression : elle rappelle notamment que l’homme est fait pour Dieu, et cela, dès ici-bas : la continence n’est donc « pas sans signification pour cette vie ». (id., 3 et 4 ; p. 415)
4’) Conclusion
En conséquence, « l’appel du Christ à la continence […] a une signification capitale non seulement pour l’ethos [l’éthique] et la spiritualité chrétienne », ainsi que la Tradition, la théologie l’ont toujours affirmé, « mais aussi pour l’anthropologie et pour la théologie du corps », ce qui est l’apport propre et original de Jean-Paul II.
f) Conclusion générale (id., 5 à 7)
Primo, il demeure « un problème concret » non résolu (id., 5 ; p. 415 et 416). En effet, nous avons vu jusque maintenant le pourquoi de l’appel à la continence ; mais comment, « de quelle manière l’homme qui a reçu l’appel à la continence » peut-il le vivre, dans « la conscience de la signification sponsale du corps » ? Autrement dit, il faut passer de la finalité aux moyens, au chemin, ce qui est capital pour la pastorale. Mais répondre à cette question « dépasserait les limites des présentes considérations ».
Secundo, Jean-Paul II rappelle ses principales conclusions (id., 6 ; p. 416). D’une part, la continence comporte une double face négative (renoncement) et positive (le don) ; d’autre part, loin de nier « la valeur essentielle du mariage », elle « sert indirectement à la mettre en relief ». Bref, ces deux vocations permettent à l’homme de pleinement réaliser « la dignité du don personnel, liée à la signification sponsale du corps dans sa masculinité ou féminité ».
3) Ce qu’en dit S. Paul (TDC 82 à 85)
a) Présentation générale (82, 1 à 3 ; p. 416 à 418)
Il est nécessaire de faire la transition avec ce que disent les Évangiles pour mesurer l’originalité de l’apport de S. Paul. « L’enseignement de Paul » est corrélé à celui du Maître ; le contenu est identique quant au fond ; mais il « doit être évalué […] d’une manière différente ». La perspective change.
Une première raison de cette différence tient à l’expérience « propre » de l’Apôtre : « Paul se réfère […] également à sa propre expérience », remarque Jean-Paul II plus loin (83, 2 ; p. 419 et 420), par exemple lorsqu’il dit : « Je voudrais que tout le monde fût comme moi » (1 Co 7,7) qui vit la continence (sur le caractère personnel de son analyse, cf. aussi 85, 8 ; p. 429). Mais le pape fait aussi réfèrence à « son activité apostolico-missionnaire », comme nous allons maintenant le voir.
Une deuxième raison se fonde sur ceux à qui Paul s’adresse. En effet, « le problème du rapport entre mariage et célibat » est « un sujet qui préoccupait les esprits de la première génération », et davantage encore les convertis de l’hellénisme (du paganisme) que du judaïsme ; or, la communauté de Corinthe, à qui Paul adresse l’épître que nous allons commenter, rassemble des grecs, donc des païens. Aussi, l’Apôtre va-t-il tenir compte « de la mentalité de ses destinataires » et parler « de manière profondément humaine et réaliste » (84, 5 ; p. 424).
Une troisième cause de l’originalité tient au point de vue propre à Paul (82, 2 et 3 ; p. 417 et 418). Sa perspective est d’abord morale, à la fois magistrale et pastorale (Ibid., 2 ; p. 113). Elle est aussi liée à ses destinataires et au genre littéraire de l’épître. Paul à la fois enseigne la doctrine du Christ et « parle comme un classique maître de morale, affrontant et résolvant des problèmes de conscience ».
Mais il convient de bien articuler ces deux perspectives : le fondement ultime des réflexions morales doit toujours « être cherché dans la vie et l’enseignement du Christ lui-même ». (c’est nous qui soulignons) Ce qui, soit dit en passant, montre combien Jean-Paul II pense qu’il existe une morale spécifiquement chrétienne.
On peut encore préciser la perspective morale dans le cas particulier qui est le nôtre (Ibid., 3 ; p. 417 et 418). Nous avons vu que l’Évangile distinguait clairement commandement et conseil et faisait de la virginité ce que l’on appelle un des conseils (dits évangéliques, avec la pauvreté et l’obéissance). S. Paul, de même, explicite « de manière lumineuse » que ce qu’il va dire de la « ‘continence volontaire’ découle exclusivement d’un conseil » : « Pour ce qui est des vierges, dit S. Paul, je n’ai pas de commandement du Seigneur, mais je donne un conseil… » (1 Co 7,25) Le contenu est donc encore identique à l’Évangile, mais le « style […] est proprement paulinien ». D’ailleurs, l’apôtre donne aussi des conseils pour les autres catégories de vie : gens mariés et veuves.
b) Exposé du cœur de 1 Co 7
1’) Interprétation vraie
La thèse est la claire affirmation de la supériorité de l’état de consécration. Ne citons que la conclusion du passage de S. Paul (1 Co 7, 36 et 37) que Jean-Paul II rapporte en entier (Ibid., 4 ; p. 418) : « celui qui se marie avec sa fiancée fait bien, mais celui qui ne se marie pas fait mieux encore ». (v. 37)
Rappelons (Ibid., 5 ; p. 418) que la continence dont il est parlé et qui est supérieure au mariage est une continence dont la décision « doit être volontaire ». En effet, c’est S. Paul lui-même qui le dit : « faire mieux » suppose une action réfléchie. De plus, la continence s’oppose au mariage dans le passage cité ; or, l’Apôtre insiste pour montrer le caractère libre du mariage (ce qui s’explique par le contexte de l’époque où la décision était prise par les parents ou le tuteur) : « celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, en dehors de toute contrainte ». À fortiori pour la virginité.
2’) Interprétation erronée
Nous avons vu que l’une des particularités de notre époque est l’interprétation manichéenne, suspicieuse (donc négative) à l’égard du corps ou du mariage. Il serait aisé, à une lecture superficielle de s. Paul, de lui appliquer cette herméneutique, cet a priori. Sans aucune concession, fermement et à plusieurs reprises, Jean-Paul II le récuse.
a’) Preuve (82, 6 ; p. 418 et 419)
Tout d’abord, S. Paul dit très clairement que le mariage est bon. Citons un passage parmi beaucoup : « Es-tu lié à une femme ? Ne cherche pas à rompre ». (1 Co 7, 27) De plus, le manichéisme se caractérise par une dichotomie spirituel-charnel ; mais rien chez saint Paul n’incite à « considérer comme charnels ceux qui vivent le mariage et comme spirituels ceux qui choisissent la continence pour des motifs religieux ». En fait, « dans l’une et l’autre manière de vivre […] opère le don […] de Dieu ». Par conséquent, « l’enseignement » de l’apôtre n’offre « pas la moindre base pour ce qui, plus tard, sera appelé manichéisme ». (85, 4 et 5 ; p. 427 et 428)
D’ailleurs, les affirmations de S. Paul « constituent un lumineux commentaire de Gn 2,24 » ; or, on sait combien l’institution originelle du mariage l’envisage comme un bien. On le verra encore plus clairement en étudiant en détail un passage d’une autre épître de S. Paul : Ep 5. (Ibid., 6; p. 418 et 419)
b’) Première difficulté (Ibid.)
Cependant S. Paul dit que se marier n’est pas pécher (cf. 1 Co 7, 36), et avant : « Si cependant tu te maries, tu ne pèches pas » (1 Co 7, 28). Serait-ce donc qu’il suspecterait le mariage ? Non pas, si l’Apôtre écrit ainsi, c’est au contraire parce qu’« il s’agit probablement de la réponse à la question de savoir si le mariage est un péché ».
c’) Deuxième difficulté (83, 3 ; p. 420)
En un autre endroit, S. Paul s’exprime ainsi : « Mais ceux-là [qui vont se marier] connaîtront des tourments dans leur chair, et moi je voudrais vous les épargner ». (1 Co 7, 28) Et avant : « Il est bon pour l’homme de s’abstenir de la femme… » (v. 1) N’est-ce pas encore donner gain de cause au manichéisme ? N’est-ce pas, de plus, s’opposer à l’enseignement du Christ : il a parlé de la tristesse ou des souffrances de la femme, non pas liées à l’état matrimonial, mais à la naissance et « il a aussi souligné la joie (cf. Jn 16, 21) » ?
Pour systématiser la réponse de Jean-Paul II, tourment peut s’entendre en deux sens : ontologique ou moral. Dans le premier sens, ce serait le mariage qui serait vicié en son être, intrinsèquement. Dans le second sens, le tourment concerne la vie du couple : « ces tourments sont souvent de nature morale », dit le pape. En effet, « le véritable amour conjugal […] est aussi un amour difficile ». Ici, Jean-Paul II ne précise pas plus, mais il est aisé de développer son idée, comme il le fait par ailleurs : nous vivons encore sous le régime historique où notre corps, même racheté, est encore soumis à la concupiscence, ce qui suppose une lutte contre le péché, l’égoïsme, la convoitise. Voilà pourquoi S. Paul, dans son réalisme, avertit « ceux qui – comme parfois les jeunes – croient que l’union et la coexistence conjugales doivent leur donner uniquement du bonheur et de la joie ». Et sa perspective est strictement « évangélique », nullement manichéenne.
Précisons encore davantage. À l’instar du Christ, même s’il parle de ces difficultés, l’Apôtre « n’entend pas guider ses auditeurs vers le célibat en leur indiquant les tourments du mariage » (Ibid., 4 ; p. 420), mais pour des raisons positives. Et celles-ci sont de deux ordres que nous allons maintenant exposer.
d’) Troisième difficulté (84, 6 ; p. 424 et 425)
Paul affirme qu’« elle passe la figure de ce monde ! » (1 Co 7, 29-32) Un manichéen ne renierait pas une telle exclamation.
En fait, S. Paul insiste sur ce point « certainement en se référant au milieu qui, en un certain sens, était orienté pour jouir du monde ». Et, dans le milieu hellène des Corinthiens, « le mariage était compris comme une manière de jouir du monde » , ce qui n’était pas le cas dans « la tradition israélite », ainsi qu’on l’a longuement vu.
C’est pour cela que l’Apôtre appelle « ceux qui jouissent du monde » à le faire « comme s’ils n’en jouissaient pas véritablement ». Jean-Paul II précise que « l’Apôtre se rendait bien compte que, s’il encourageait à s’abstenir au mariage, il devait en même temps mettre en lumière » la valeur évangélique du mariage, et cela « avec le plus grand réalisme ».
e’) Quatrième difficulté (84, 8 et 9 ; p. 425 et 426)
Si nous poursuivons la lecture de 1 Co 7, 1, nous lisons : « en raison du péril d’impudicité, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari ». (v. 2) Ne prend-on pas s. Paul en flagrant délit de réduction du mariage à n’être qu’un « remède contre la concupiscence » ?
Notons d’abord que la théologie faisait de ce remède la troisième finalité du mariage (finalité secondaire), après la procréation-éducation des enfants et le soutien mutuel, mais que jamais elle n’a réduit le mariage à cette seule fin, ce qui serait du manichéisme.
Les fins du mariage
Voici par exemple ce que nous lisons dans l’ouvrage classique, pondéré et très bien informé d’Adnès sur le mariage. Il traduit la pensée commune à l’époque et conforme à l’enseignement du Magistère romain [6]:
« Dans le mariage, la fin primaire de l’œuvre est la procréation et l’éducation de l’enfant, la fin secondaire l’aide mutuelle. […] A la suite du péché originel, le mariage se trouve avoir acquis une nouvelle finalité secondaire, qui est d’apporter un remède à la concupiscence, entendue au sens étroit du mot, c’est-à-dire l’instinct sexuel que la raison et la volonté n’arrivent plus que difficilement à dominer à cause du désordre introduit dans la nature humaine par la perte des dons préternaturels de la justice originelle. À cette concupiscence le mariage procure en effet un apaisement légitime en lui permettant de s’exercer dans les limites de la chasteté conjugale [7] ».
Selon son habitude, Jean-Paul II répond en se fondant sur l’Écriture. Celle-ci forme un tout, surtout quand on considère un même écrit. Certes, Paul parle de la concupiscence, mais on peut lire quelques versets plus loin : « Je voudrais que tout le monde fût comme moi [continent volontaire] ; mais chacun reçoit de Dieu son don particulier ». 1 Co 7, 7) En conséquence, l’Apôtre met en relief, avec autant de vigueur un double côté du mariage :
– un « côté humain […] qui concerne la concupiscence de la chair » ;
– et un « caractère sacramentel et charismatique », divin : en effet, « ceux qui choisissent le mariage […] ont reçu un don de Dieu » qui est « un don spécifique, c’est-à-dire adapté à leur vocation de vie ». Paul, le Docteur de la grâce, comme l’ont appelé certains Pères ou Docteurs de l’Église [8], voit donc « l’action de la grâce en chaque homme », marié ou continent.
Confirmation (85, 4 ; p. 427 et 428) nous est donnée par d’autres passages de l’épître où s. Paul parle du corps qui « est un temple du Saint-Esprit qui est en vous » (1 Co 6, 19). Or, « la grâce qui fait du corps ‘un temple de l’Esprit-Saint’« existe tant « dans la virginité » que « dans le mariage ». L’Apôtre demeure donc toujours pleinement conscient et de la faiblesse charnelle de l’homme et de « la réalité du don que Dieu offre », et cela tant « à ceux qui s’abstiennent du mariage qu’à ceux qui prennent femme ou mari » : cette double conscience permanente (et parfois dialectique) est tout-à-fait propre au « réalisme de la théologie paulinienne du corps » et de la théologie paulinienne tout court.
f’) Conclusion
Reprenons les paroles de Jean-Paul II comparant les vocations du mariage et de la continence pour le Royaume de Dieu : « il ne s’agit pas de distinguer entre ‘bien’ ou ‘mal’, mais seulement entre ‘bien’ ou ‘mieux’ ». (82, 6 ; p. 418 et 419)
3’) Premier fondement
Le premier fondement de la doctrine paulinienne est « plaire à Dieu » : « L’homme qui n’est pas marié se préoccupe des affaires du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur ». (1 Co 7, 32) Telle est la première motivation de la virginité selon S. Paul : plaire à Dieu, c’est-à-dire lui être uni. Jean-Paul II va commenter en détail chaque mot de « cet énoncé [qui] mérite une analyse particulière », avant de l’appliquer à la continence :
a’) Analyse des termes (83, 7 ; p. 421)
1’’) « Se préoccuper » (id., 7 ; p. 421 ou ibid.)
- Luc est le « disciple de Paul » : voici la clé méthodologique. Or, chez S. Luc, ce dont on se préoccupe, ce que l’on cherche, c’est « vraiment et uniquement ‘le Royaume de Dieu’ (Lc 12, 31), car c’est ‘la partie la meilleure’ (Lc 10, 41) » ; et on retrouve ce même sens chez S. Paul (2 Co 11, 28 ; Ph 2, 20-21 ; 1 Co 12, 25). Tel est donc le sens de ce verbe : on « ne saurait se préoccuper que de ce que » l’on « a vraiment à cœur », en l’occurrence :
2’’) « …les affaires du Seigneur » (Ibid., 8 ; p. 429)
« Par cette expression concise, Paul embrasse la réalité objective tout entière du Royaume de Dieu ». (cf. par exemple 1 Co 10, 26) Précisons encore : pour Paul, le Seigneur est surtout le Christ (cf. par exemple Ph 2, 11). Ainsi, les affaires du Seigneur sont surtout celles du Christ, son royaume et son Église (cf. Col 1, 18) : voilà ce dont « se préoccupe l’homme non marié ». Et c’est pour cela qu’il peut porter, comme Paul, le beau nom d’« apôtre de Jésus-Christ » (1 Co 1, 1).
3’’) « Plaire au Seigneur » (Ibid., 8 ; p. 429)
Cette « expression se retrouve dans d’anciens livres de la Bible » (par exemple Dt 13, 19). Plaire à quelqu’un est chercher à faire sa volonté. Or, c’est le Christ le premier qui a toujours fait ce qui plaît à Dieu (cf. Jn 8, 29 et Rm 15, 3). Ainsi, plaire à Dieu, c’est « suivre les traces du Christ ». Par ailleurs, seule la grâce nous configure au Christ. Aussi plaire à Dieu ne peut qu’être le fruit de la « vie dans la grâce de Dieu », ce qui est identiquement la sainteté.
34’) Lien entre les deux motivations (Ibid., 10 ; p. 429 et 430)
Ce second aspect de la motivation (« plaire au Seigneur ») est la « racine » et la « source » (Ibid., 9 ; p. 429) du premier aspect (« se préoccuper des affaires du Seigneur »). C’est pour cela que nous allons concentrer notre attention sur lui. Mais il s’agit des « deux aspects de la même réalité de Dieu et de son Royaume » : on ne peut les séparer. Et la distinction était nécessaire pour manifester « plus clairement la nature et la possibilité de la continence pour le Royaume des cieux ».
b’) Exposé (84, 1 à 3)
Celui qui est continent pour le Royaume cherche à plaire à Dieu.
1’’) Preuve (Ibid., 2 ; p. 423)
En effet, plaire au Seigneur, c’est lui être uni. Tout à l’inverse, « l’homme lié par les liens du mariage ‘se trouve partagé’ (1 Co 7,34) », note Jean-Paul II à la suite de s. Paul. C’est donc que celui qui est continent n’est pas partagé : « la personne non mariée devrait se caractériser par une intégration intérieure, une unification », non pas d’abord psychologique, mais éthique : une orientation, une consécration entière, exclusive au service du Royaume.
2’’) Difficulté (Ibid., 3 ; p. 423 et 424)
Avec réalisme et comme cela fut développé plus haut, Jean-Paul II sait bien que celui qui ne se marie pas peut « se trouver devant un certain vide », puisque l’homme est fait pour se marier ; et le vide, le manque est source de souffrance, de tourment. Or, le Christ n’est « pas un grand prêtre impuissant à compatir à nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en tout » (He 4, 15). C’est pour cela que Jésus a parlé des souffrances liées à la consécration, à ses apôtres et par delà, à toutes les âmes consacrées qui demeurent unies au Christ, en les assurant de sa compassion (cf. Lc 22,28-29).
« Ce qui permet à la personne non mariée, non pas tant de se plonger exclusivement dans ses éventuels problèmes personnels, mais plutôt de les inclure dans le grand courant des souffrances du Christ et de son Corps qui est l’Église ».
3’’) Conséquence (84, 1 ; p. 422 et 423)
Ainsi « apparaît […] le caractère sponsal de la continence pour le Royaume de Dieu ». En effet, dans la virginité, d’une part, l’homme fait effort pour plaire à Dieu : « l’homme s’efforce toujours de plaire à la personne aimée » : et cela vaut tant dans le cadre du mariage qu’ici, où l’aimé est le Christ. De même que la femme mariée cherche à plaire à son mari, de même celle qui est consacrée, à plaire à Dieu (cf. 1 Co 7,34). D’autre part, « à cette aspiration correspond une approbation [donc une grâce] de Dieu agréant les efforts de l’homme » ; plus, cette aspiration est elle-même une grâce et toute grâce est « un don de Dieu ». Or, qui dit sponsal, dit don de soi, ce qui est le fruit et l’acte même de l’amour véritable.
c’) Moyens (Ibid., 4 et 5 ; p. 424)
Ayant vu la finalité de la virginité qui est de plaire au Seigneur, il faut « se préoccuper des moyens » (Ibid., 1 ; p. 422 et 423), et plus encore se demander comment « être uni au Seigneur » (Ibid., 4 ; p. 424). Etre uni au Seigneur, c’est chercher, pour la femme (et pour toute personne) consacrée, « à être sainte de corps et d’esprit » (1 Co 7, 34).
En effet, en quoi consiste la sainteté ? « Selon la conception biblique, la sainteté est moins une action qu’un état ; elle a surtout un caractère ontologique », lié à l’être, l’état, mais aussi « moral », donc lié à l’action.
Au sens ontologique, la sainteté s’identifie au sacré, ce qui appartient « exclusivement à Dieu ». Or, nous avons vu que le propre de la continence est de « demeurer sans cesse avec Lui, jouir de sa présence, sans se laisser distraire par des choses non essentielles (cf. 1 Co 7, 35) ». Donc, en ce sens, la virginité pour le Royaume s’identifie à la sainteté.
Au sens moral, « ce qui est offert à Dieu doit se caractériser par la pureté morale ». En effet, le consacré est à Dieu, comme l’épouse-Église est au Christ. Or, l’Église est « sans tache ni ride » (cf. Ep 5, 27), selon une expression que nous analyserons plus loin.
L’expérience de la présence continuelle de Dieu :
Le but ultime de la vie chrétienne est la présence continuelle à Dieu :
– S. Louis de Gonzague « devait faire autant d’efforts pour se distraire des pensées pieuses que la plupart des gens pour y penser ».
– S. Paul de la Croix confiait à son directeur : « Si l’on me demandait en n’importe quel moment : ‘A quoi penses-tu ?’ il me semble que je pourrais répondre que Dieu seul occupe mon esprit ».
– S. Gemma Galgani : « Ces jours derniers, j’ai commis un gros manquement : c’est beaucoup que Dieu ne m’ait pas foudroyée ! O miséricordieux Jésus ! M. Laurent m’avait chargée de faire un compte. Je m’y appliquai, un peu trop peut-être, et je sortis de la présence de Dieu, mais ce fut à peine l’espace d’une minute, et je rentrai bien vite en moi-même. Je sollicitai le pardon de Dieu qui me l’accorda aussitôt ».
– S. Marie de l’Incarnation : « L’on admirait avec étonnement son grand et presque continuel silence et la brièveté de ses entretiens quand elle était obligée de parler. Il était bien aisé de voir que c’étaient des effets de l’actuelle présence qu’elle avait de Dieu en son intérieur ». [9]
4’) Second fondement
« Je vous le dis, frères : le temps se fait court. Reste donc que ceux qui ont femme vivent comme s’ils n’en avaient pas […], ceux qui usent de ce monde, comme s’ils n’en usaient pas véritablement. Car elle passe la figure de ce monde ! » (1 Co 7, 29-32).
- Paul se fonde ici sur la caducité de ce monde temporel. Il serait aisé d’interpréter ce passage en un sens manichéen, et nous l’avons déjà refusé plus haut. En fait, il fait « référence », indirecte, mais « vigoureuse » à « la réalité de l’autre monde » et à « la théologie d’une grande attente », celle de la résurrection des corps. En regard, « le mariage lui-même est lié à la figure de ce monde qui passe » et « impose la nécessité de ‘se refermer’ dans cette caducité ». Or, l’éternité est « mieux » que le temporel, puisque celui-ci passe, donc est caduc. (85, 1 et 2 ; p. 426 et 427)
Une confirmation est fournie par le veuvage. Selon S. Paul, l’état de veuvage vaut mieux que le mariage (cf. 1 Co 7,39-40) ; or, il est, par certains côtés, plus proche de celui de célibataire que celui de mariage. (Ibid., 3 ; p. 427)
5’) Troisième fondement (86, 1 à 3 ; p. 431 et 432)
Jean-Paul II l’évoque à peine, mais il est implicitement présent dans le texte. En effet, la rédemption du corps comporte une dimension cosmique, ainsi que le montre Saint Paul (Rm 8, 19-23 que le pape cite par bribes) : « Toute la création crie sa souffrance, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et non pas elle seule. Nous aussi qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons intérieurement et nous attendons […] la rédemption du corps ». (Rm 8, 22-23) Car « la rédemption de notre corps [et la rédemption et la rédemption de notre corps] fait partie de notre espérance » dès le « proto-évangile » ; or, « toute la création […], depuis le début, est liée de façon particulière à l’homme et lui est subordonnée (cf. Gn 1, 28-30). La rédemption de notre corps est donc la rédemption du monde : elle a une dimension cosmique ». Dans cette « image cosmique de la rédemption », S. Paul confirme Gn 1 : « il met l’homme au centre, exactement comme au commencement celui-ci avait été mis au centre de l’image de la création ».
Or, et c’est là le point que Jean-Paul II ne rappelle pas, nous avons vu que l’état de continence pour le Royaume manifeste cette rédemption et tout à la fois anticipe le monde futur qui est victoire définitive sur les forces de mort et de péché. Voilà pourquoi cette vocation comporte une signification cosmique.
c) Remarque (85, 7 et 8 ; p. 428 et 429)
Par souci de complétude, le Saint-Père cite et commente très brièvement « un texte très important » qui est relatif à la « volontaire et périodique abstention des époux » : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre ; si ce n’est d’un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis reprenez la vie commune de peur que Satan ne profite de votre incontinence pour vous tenter. Ce que je vous dis là est une concession, non un ordre ». (1 Co 7,5-6)
Pour l’instant, Jean-Paul II n’en fait sourdre que quelques lumières sur la vie, non sur la fécondité conjugale. Tout d’abord, il remarque que la « concession » dont parle S. Paul ne peut trouver son sens et son fondement que dans la subjectivité somatique et spirituelle de l’homme et de la femme. Mais le pape en tire surtout des conséquences pour la théologie du corps. Ici, ce que l’Apôtre dit relève, non pas du commandement, mais du conseil, ce qui signifie que cette distinction ne concerne pas seulement la continence pour le Royaume.
d) Conséquence (Ibid., 9 et 10 ; p. 429 et 430)
Tous ces développement sont importants pour le sujet englobant de toutes ces catéchèses, à savoir la théologie du corps. Ils nous disent que l’homme « est destiné – également avec son corps – à la vie future » : cela est évident pour la vocation à « la continence pour le Royaume de Dieu », mais aussi « concernant le mariage », en son « accomplissement eschatologique ». Et nous avons vu que cette destination confirme « la signification sponsale du corps et donc le « fait d’être corps ».
En même temps, ces développements sont importants pour l’éthique. Le bien n’est jamais séparé de l’être, dans l’enseignement du Christ. Et la promesse de la résurrection jette « dans le cœur inquiet de l’homme les premiers germes de la réponse à la question de savoir ce que signifie être chair » et l’établit ainsi dans l’espérance, donnant à son agir d’être « dans la perspective de l’autre monde ».
4) Conclusion (86 ; p. 431 à 434)
Dans cette dernière catéchèse du cycle consacré à la résurrection des corps, Jean-Paul II parle un peu du sens cosmique de cette résurrection (n. 1 à 3 : cf. plus haut), mais surtout propose une réflexion synthétique à titre à la fois :
– de conclusion de toute la première partie (les quatre premiers cycles) relative à la théologie du corps en ses quatre états (originel, pécheur, racheté et ressuscité)
– et de transition avec les développements qu’il va maintenant consacrer au sacrement de mariage et qui vont occuper toutes les catéchèses restantes (soit en tout, un bon tiers du volume).
Pour cela, le pape montre combien le corps humain est appelé à la rédemption, à l’espérance de la rédemption : « la rédemption de notre corps fait partie de notre espérance ». (n. 2 ; p. 431). En un mot, il va expliciter et commenter l’admirable expression de S. Paul en Romains : « nous attendons », autrement dit nous espérons, « la rédemption de notre corps ». (Rm 8, 23)
Or, la rédemption que le Christ est venu apporter se présente sous deux formes : eschatologique et achevée, quotidienne et imparfaite car en chemin.
a) La rédemption définitive (n. 1 à 3 et 5 ; p. 431 à 433)
Cette rédemption « se manifeste […] dans la résurrection en tant que victoire sur la mort » , à savoir « la victoire eschatologique sur la mort ».
En effet, dès après la création, dans ce que la tradition appelle le proto-évangile (Gn 3, 15), on entend « la première annonce du salut ». (cf. n. 1 et 2)
Ensuite, la rédemption du corps va s’accomplir dans le Christ, d’une part « par son enseignement » qui nous promet la résurrection (cf. avant : Mt 22, 30), d’autre part et « surtout par le témoignage de sa mort et de sa résurrection » à laquelle nous particip(er)ons. « Ainsi donc », en Jésus, « cette espérance par laquelle nous sommes sauvés trouve sa confirmation ». Le Christ oriente « les fils de Dieu » vers cette liberté et cette gloire de la résurrection. Voilà pourquoi l’Évangile réalise « la profondeur divine du mystère de la Rédemption », et cela dans le « sujet historique spécifique » qu’est le Christ. (n. 3)
b) La rédemption au quotidien (n. 6 et 7 ; p. 433)
Mais la rédemption du corps s’« adresse [aussi] à l’homme historique », quel que soit son état de vie, mariage ou continence, et ne pas la rétrécir à ce qui fut dit dans le seul dernier cycle. En effet, cette rédemption porte sur le péché : l’espérance qu’elle apporte est « l’espérance de la victoire sur le péché » ; or, si le monde futur ignore le péché, celui-ci fait partie de notre quotidien. Aussi, conclut Jean-Paul II dans une de ces formules dont il a le secret, la rédemption du corps est « l’espérance du quotidien ».
Que la rédemption se manifeste dans le quotidien, c’est un fait d’expérience. Aussi Jean-Paul II n’a pas besoin de le démontrer : la grâce de Dieu « aide, dans les tâches normales et les difficultés de la vie humaine, à vaincre ‘le mal par le bien’ (Rm 12, 21) » ; « sa puissance » est à l’œuvre dans les actions extérieures de l’homme « et jusque dans les mouvements du cœur ». Et cela vaut pour les deux vocations : ceux qui sont mariés « doivent reprendre chaque jour l’actualisation de l’union indissoluble […] qu’ils ont conclue » ; de même ceux qui « ont choisi la continence […] doivent aussi donner chaque jour le témoignage de leur fidélité ».
c) Fondement de la rédemption du corps
Ce fondement n’est rien moins que la théologie du corps :
En effet, il y a comme une ambivalence ou plutôt une polysémie (une pluralité de sens) du terme corps (4 ; p. 432) : dans la Genèse, « le corps […] exprime l’aspect visible de l’homme et son appartenance au monde visible » ; mais « pour saint Paul, le corps », en outre, exprime « le fait que l’homme est comme étranger à ‘laction de l’Esprit de Dieu ». Cette double signification s’explique par le fait que Genèse parle du corps originel dans la perspective de la création et que S. Paul envisage le corps historique, dans l’état de péché appelé à la rédemption. Voilà pourquoi la juste compréhension du corps humain doit faire appel à toute la théologie du corps l’envisageant « au commencement » (cf. Mt 19, 8), et dans l’état de concupiscence pécheresse du cœur appelé à la conversion et à la pureté (cf. Mt 5, 28), et dans sa résurrection finale (cf. Mt 22, 30).
On pourait ajouter que, les perspectives des enseignements de l’Évangile et des lettres de l’Apôtre, relatifs à la rédemption du corps sont complémentaires. Si « le Christ met en relief la grandeur du renoncement », donc l’aspect plus négatif, « Paul indique surtout comment il faut entendre le Royaume de Dieu » (83, 6 ; p. 421).
Mais, du fait qu’elle est espérance, cette rédemption est révélatrice de l’homme (id., 8 ; p. 434). En effet, « pour comprendre tout ce que comporte la rédemption du corps dans la lettre aux Romains » et en général, « il faut une authentique théologie du corps ». (id., 4 ; p. 432)
En retour, d’ailleurs, cette espérance révèle la théologie du corps à lui-même. En effet, que nous apprend la rédemption du corps ? Qu’elle est espérance. En effet, espérer c’est attendre (et l’espérance théologale n’a pas d’autre objet qu’attendre Dieu) ; or « la rédemption du corps selon l’Apôtre est, en définitive, ce que nous attendons ». (id., 5 ; p. 433) Voilà pourquoi « la rédemption du corps aide, avant tout, à découvrir tout le bien qui permet à l’homme de remporter la victoire sur le péché et la concupiscence » ; or, en positif, cette victoire dessine la capacité de don inscrit dans le corps que le péché a pu occulter, mais non pas effacer : aussi la Rédemption du Christ permet de « découvrir et de renforcer le lien qui existe entre la dignité de l’être humain […] et la dimension sponsale de son corps ». (id., 8 ; p. 434)
Autrement dit, que l’homme soit appelé au salut, loin de le condamner à la concupiscence (ainsi que le faisaient les philosophies du soupçon), montre combien il est capable de bien et combien il est bon. Or, dans le langage du corps, cette bonté se traduit et se réalise par la signification nuptiale ou sponsale.
Pascal Ide
[1] Max Thurian, Mariage et célibat. Dons et appels de Dieu, Taizé, Presses de Taizé, 1977, p. 134.
[2] Jean-Paul II, Lettre apostolique Mulieris Dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme, 15 août 1988, n. 17, Paris, Téqui, 1988, p. 68.
[3] Les évêques de France, Catéchisme pour adultes. L’Alliance de Dieu avec les hommes, Paris, Centurion, Cerf, etc., 1991, n. 463, p. 276.
[4] S. Jean Chrysostome, cité par L. Pirot et A. Clamer, La sainte Bible, Paris, Letouzey et Ané, tome IX, 1946, p. 252.
[5] Blaise Pascal, Pensées, n. 329 (éd. Chevalier et n. 358, éd. Brunschvicg), Œuvres complètes, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1954, p. 1170.
[6] « Il y a en effet, tant dans le mariage lui-même que dans l’usage du droit matrimonial, des fins secondaires – comme le sont l’aide mutuelle, l’amour réciproque à entretenir et le remède à la concupiscence » (Pie XI, Encyclique ‘Casti Connubii’, sur le mariage chrétien, in Documentation Catholique, 551 [31 janvier 1934], col. 270)
[7] Pierre Adnes, Le Mariage, coll. « Mystère chrétien », Paris, Desclée, 1963, p. 118 et 122. Sur toute cette difficile question, cf. l’excellent historique très bien documenté d’Alain Mattheeuws, Union et procréation. Développements de la doctrine des fins du mariage, coll. « Recherches morales », Positions, Paris, Le Cerf, 1989.
[8] Cf. par exemple le prologue de S. Thomas d’Aquin sur les épîtres de S. Paul, en particulier sur l’épître aux Romains (S. Thomæ Aquinatis, Opera Omnia, 5. Commentaria in Scripturas, Éd. de l’Index Thomisticus, 1980, p. 441 et 442).
[9] Vie de Gemma Galgani, ch. 18 ; Dom Jamet, Le Témoignage de Marie de l’Incarnation, p. 332-333. Ces différents exemples sont cités par L. Colin, La vie intérieure, Paris, Saint-Paul, 1948, p. 41 et 42.