La La Land
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Pays:
Américain
Thème (s):
Amour, défaut), Perte
Date de sortie:
25 janvier 2017
Durée:
2 heures 8 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Damien Chazelle
Acteurs:
Ryan Gosling, Emma Stone, John Legend, Rosemarie DeWitt
Age minimum:
Adolescents et adultes

La La Land, romance et comédie musicale américaine écrite et réalisée par Damien Chazelle, 2016. Avec Ryan Gosling, Emma Stone, John Legend, Rosemarie DeWitt. Il remporte six Oscars en 2017, dont ceux du meilleur réalisateur pour Damien Chazelle et de la meilleure actrice pour Emma Stone, ainsi qu’une double consécration pour le compositeur Justin Hurwitz (meilleure musique et meilleure chanson originale pour City of Stars).

Thèmes

Amour, perte, maladie du don (excès, défaut).

Le film prodige (je ne dis pas prodigieux) aux quatorze nominations pour les Oscars 2017, de ce réalisateur prodige (Damien Chazelle a écrit le scénario de cette comédie musicale alors qu’il n’avait que vingt-cinq ans, âge où Orson Welles réalisait Citizen Kane) est auto-interprété comme une histoire d’amour aujourd’hui. En fait, ne serait-ce pas une fausse interprétation de l’amour ?

 

  1. Voici ce qu’affirme le vidéaste : « Beaucoup de choses peuvent se produire après le ‘ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’ [A lot of things can happen after ‘happily ever after.’]. […] L’idée était de reprendre la vieille comédie musicale, mais en l’ancrant dans la vie réelle où les choses ne se passent pas toujours exactement comme prévu [1] ». Ce prétendu réalisme n’est-il pas plutôt cynisme ou du moins pessimisme ?

J’en veux pour preuve la toute dernière image qui montre le chagrin de la si expressive Emma Stone (on ne saurait en dire autant de Ryan Gosling…). Certes, tout le monde s’appesantit sur le sourire final : Sebastian et Mia ont tous les deux réalisé leur rêve, n’est-ce pas là le plus important ? C’est oublier que ce sourire émerge sur fond d’une abyssale tristesse et de l’impression d’un véritable gâchis. D’ailleurs, n’est-ce pas ce doux-amer sentiment nostalgique (avec sa belle étymologie, « douleur du passé ») qui accompagne le spectateur au sortir du cinéma ?

Allons plus loin. Si, au terme, le cinéaste s’offre le luxe de cette longue scène onirique à la Un Américain à Paris (Vincente Minnelli, 1952), c’est bien pour nous faire ressentir-pressentir ce qu’aurait pu être le grand amour, et, plus encore, nous le faire croire. Il sait donc bien que le retour au présent brise ce rêve et, avec lui, le cœur de ces modernes Roméo et Juliette.

 

  1. Passons de la rétorsion à la réfutation. Ce que nous perdons en radicalité de la critique, nous le gagnons en compréhension de ce qui bugge dans la prétendue lucidité du réalisateur. Elle s’objective dans la structure du film qui est beaucoup plus bipartite que quadripartite (selon la répartition plutôt superficielle en quatre saisons).

 

  1. La première partie est celle de la divergence maximale entre les deux héros, qui s’avère finalement être la juxtaposition de leurs égos.

Tout commence (mal) par la prime rencontre de Seb et Mia (heureusement oubliée par les protagonistes, mais emblématiquement marquante pour les spectateurs). À peine se croisent-ils qu’il la klaxonne, agacé, et qu’elle lui répond par un doigt d’honneur. Bref, l’anti-West Side Story, c’est-à-dire l’anti-coup de foudre !

Cela se poursuit par la déconstruction en règle, plus amusante que jouissive, de tous les poncifs de la romance musicale : les décors féeriques et romantiques qui sont ironiquement banalisés ; le duo qui devient un duel ; la chanson qui torpille tous les lieux communs de l’amour ; le rapprochement préludant au baiser qui est interrompu par le coup de téléphone intempestif introduisant Greg le rival ; la proposition de retour qui se termine en refus mensonger ; le tout suivi par une superbe scène sur l’une des jetées du personnage peut-être le plus important du film, Los Angeles [2]… mais en solitaire. Et l’on pourrait continuer par le dézingage des coïncidences à répétition.

Or, la cause de cette anti-rencontre systématique réside non point dans un égoïsme utilitariste, mais seulement dans un égotisme, une préoccupation prioritaire de soi, en l’occurrence de sa réussite professionnelle. Avant d’être déchiré entre l’amour et leur carrière, les deux protagonistes sont divisés entre la poursuite de leur rêve (devenir actrice pour Mia, ouvrir un café où se jouerait du vrai jazz pour Seb) et le besoin d’un travail alimentaire (serveuse dans un café pour la première, pianiste dans des clubs pour le second).

 

  1. Apparemment tout bascule quand, au début de la seconde partie, Seb et Mia se trouvent enfin et se mettent en couple. Manifestement, ils s’aiment et sont heureux ensemble. Plus encore, cet amour-attrait se double d’un amour-bienveillance : ils ne sont plus seulement bien à deux, mais ils se font du bien, en veillant l’un sur l’autre.

Mais c’est là que le bats va blesser. Car chacun va tellement veiller sur l’autre, précisément sur le rêve de l’autre, que le couple va éclater. Dans la première partie, nous le disions, le jeune homme et la jeune femme ne se rapprochent pas par excès d’égotisme. Dans la deuxième, ils vont s’éloigner par excès d’altruisme. Dans les deux cas, les bourreaux autocentrés ou les sauveteurs trop allocentrés divergent.

Emblématique est leur dispute. Leur profonde incompréhension vient de ce que l’un reproche à l’autre d’abandonner son rêve, alors que le second rétorque qu’il a écouté la demande du premier en cherchant à grandir (sous-entendu : revenir dans la réalité et abandonner son idéal). Ainsi, la querelle manifeste au dehors la tension qui les mine au-dedans, de sorte que, faute de connaissance de soi, chacun fait payer sa frustration. Cette distance interpersonnelle va se traduire dans une distance spatiale (pour accomplir son rêve, ils vont devoir s’éloigner) qui elle-même deviendra une distance temporelle (le couple se voit de moins en moins, et la rareté des connexions va disloquer la communion).

 

  1. Est-ce à dire que le dilemme est insoluble, que le couple est voué à cette dialectique infinie entre trop et trop peu (de « je » ou de « tu » au choix) ? Le remède requiert de mettre en place trois moyens.

Le premier est la sortie du scénario de sauveteur : vouloir le bien de l’autre jusqu’à en vouloir à l’autre.

Le deuxième est l’entrée dans le renoncement : la perte féconde (et partielle) de son propre rêve, mais mesurée par l’assurance que l’autre, décentré est au service de ce notre propre désir. Nous sommes ici encore entre deux extrêmes tout aussi unilatéraux : le défaut de détachement qui conduit à la solitude douloureuse ; l’excès de détachement qui, selon la loi d’oscillation des contraires, se renversera tôt ou tard en son opposé.

Le troisième est la co-construction progressive de la communion où, en consentant au compromis sans compromission, s’invente une troisième voie et émerge un « nous » qui est plus que la somme du « je » et du « tu ».

 

La chanson phare du film, City of stars, qui a remporté en 2017 le Golden Globe et l’Oscar de la meilleure chanson originale, est interprétée une première fois par Sebastian sur le Hermosa Beach Pier et une seconde en duo avec Mia, quand Sebastian part en tournée avec le groupe de Keith. À bien l’écouter, elle dit tout.

 

« Ville d’étoiles

City of stars

Est-ce que tu brilles juste pour moi ?

Are you shining just for me?

Ville d’étoiles

City of stars

Il y a tellement de choses que je ne peux pas voir

There’s so much that I can’t see

Qui sait ?

Who knows?

Est-ce le début de quelque chose de merveilleux et de nouveau ?

Is this the start of something wonderful and new?

Ou un rêve de plus que je ne peux pas réaliser ?

Or one more dream that I cannot make true? »

 

D’un côté, Seb (et Mia qui lui répond en écho) est si centré sur lui qu’il s’imagine que L.A. « brille juste » pour lui. De l’autre, il soupçonne son aveuglement (« There’s so much that I can’t see »). Mais ce questionnement sur son angle mort, loin de l’ouvrir à autrui et au juste don de soi, le conduit à s’interroger seulement sur son « rêve » (est-il ou non réalisable ?). Est-ce un hasard si l’un des vers (« Who knows? ») reproduit à l’identique celui d’une des chansons les plus fameuses de West Side Story, « Something’s Coming » où, tout au contraire, Tony n’est qu’attente de son rêve qui, ici, est le grand amour… ?

Pascal Ide

[1] Damien Chazelle, cité par la notice Wikipédia du film en français.

[2] Oui, La est l’acronyme de L.A. et le titre du film renvoie de manière caustique à Hollywood.

Hiver

Emma Stone, de face, se passant la main dans les cheveux en souriant. Emma Stone joue le rôle de Mia dans La La Land. Un embouteillage monstre s’est formé sur un autopont de Los Angeles (Another Day of Sun). Mia Dolan (Emma Stone), une actrice débutante, répète un dialogue de film dans sa voiture. Lorsque Sebastian Wilder (Ryan Gosling) klaxonne derrière elle, elle lui répond par un doigt d’honneur.

Plus tard dans la journée, Mia quitte précipitamment son poste de barista à la cafétéria des studios Warner, à Hollywood. Elle court passer une audition qui se révèle très frustrante. Le soir, remotivée par ses trois colocataires, elle se rend avec elles à une fête organisée dans une villa de Hollywood Hills (Someone in the Crowd). En sortant, elle s’aperçoit que sa Toyota Prius a été emportée à la fourrière et se résout à rentrer à pied au hasard de la nuit.

Dans un restaurant où il est employé comme pianiste ambianceur, Sebastian se laisse aller à des improvisations de jazz au lieu de jouer les chants de Noël expressément listés par le propriétaire (J. K. Simmons). Entrée dans l’établissement pour mieux entendre un morceau qui l’interpelle, Mia semble transportée (Mia and Sebastian’s Theme). Mais le patron interrompt Sebastian et le licencie sous ses yeux. Mia essaie d’aborder le jeune homme énervé pour le complimenter ; ce dernier la bouscule avant de quitter la salle.

Printemps

Plusieurs mois plus tard, Mia croise à nouveau Sebastian à une pool party où celui-ci, peu investi, reprend avec un groupe des succès des années 1980. Elle se moque de lui et de sa carrière stagnante ; il réplique en ironisant sur ses aspirations d’actrice. Lorsqu’ils repartent ensemble chercher leurs voitures, ils se plaignent d’avoir eu à se recroiser, mais partagent bientôt une danse devant une vue de la ville (A Lovely Night).

Sebastian parvient à lui rendre visite à son café et devenus confidents, ils se font découvrir leurs centres d’intérêt respectifs : Mia lui fait part de la passion ancienne qu’elle éprouve pour les studios qu’ils visitent et plus généralement pour le cinéma ; il l’entraîne dans un club de jazz où il lui avoue son rêve d’ouvrir un jour son propre établissement. Ces moments scellent leur profonde amitié (City of Stars).

Sebastian invite alors Mia à une projection de La Fureur de vivre. Elle accepte, dans un premier temps, avant de se voir rappeler au dernier moment qu’elle a déjà un rendez-vous avec Greg, son petit ami. Le dîner avec Greg et ses proches se révélant ennuyeux, la jeune femme s’enfuit et court rejoindre Sebastian au cinéma, alors que la séance vient de commencer. Leur soirée s’achève par une nouvelle danse dans le planétarium de l’observatoire Griffith, aperçu dans le film qu’ils viennent de quitter (Planetarium). C’est là qu’ils s’embrassent pour la première fois.

Été

Paroi en briques sur laquelle il est écrit The Lighthouse Cafe. On y retrouve aussi une porte brune. Le Lighthouse Cafe, à Hermosa Beach, club de jazz dans lequel Sebastian rencontre Keith. Après de nouvelles auditions infructueuses, Mia, qui déprime, décide de suivre les conseils de Sebastian et se lance dans l’écriture d’un one-woman-show pour se faire connaître. Ils emménagent ensemble (Summer Montage). Keith (John Legend), un vieux camarade de Sebastian, lui a proposé de rejoindre son groupe de jazz-rock. Lui est réticent, mais Mia suggère que c’est peut-être une belle opportunité. Il accepte au vu de l’important salaire promis, mais découvre trop tard qu’il s’agit d’un groupe qui verse dans la pop.

Lorsque Mia assiste à un des concerts (Start a Fire), elle est très surprise de voir son compagnon se compromettre dans un genre qu’elle sait lui déplaire. Alors que Sebastian part en tournée avec son nouveau groupe, elle reste souvent seule à écrire et préparer son spectacle.

Automne

Un soir, alors que Mia rentre chez eux, elle découvre Sebastian de retour pour une brève visite. D’abord heureuse, elle déchante lorsqu’il lui apprend que leur groupe connaît un franc succès et qu’elle comprend que la tournée risque de se prolonger longtemps — probablement plusieurs années. Il est navré d’avoir à effectuer cette longue tournée, mais reconnaît qu’elle lui rapporte enfin un revenu stable. Mia ne souhaite pas le voir partir à nouveau et lui suggère de démissionner. Sebastian lui fait remarquer que c’est elle, à l’origine, qui lui a conseillé de rejoindre le groupe. La discussion s’envenime : il affirme qu’elle l’aimait davantage quand il était un artiste désargenté. Vexée, Mia quitte l’appartement alors que le repas brûle dans le four.

Le soir de la première de son one-woman-show, Mia est terrassée, car non seulement Sebastian, qui avait promis de venir, est retenu par une séance photo avec son groupe, mais aussi parce que seule une dizaine de personnes assistent par ailleurs à sa représentation. En entendant des critiques négatives depuis sa loge, Mia craque et décide d’abandonner, de renoncer à être actrice et de retourner chez ses parents à Boulder City, dans le Nevada (Engagement Party).

Un jour, Sebastian reçoit un appel d’une directrice de casting qui a assisté au spectacle de Mia et a été fortement impressionnée ; elle souhaite la convier à une audition. Il retrouve le domicile des parents de Mia pour lui annoncer la bonne nouvelle mais, traumatisée par ses échecs, la jeune femme assure préférer ne pas y aller pour éviter une humiliation supplémentaire. Sebastian parvient finalement à la convaincre et l’y accompagne.

Les recruteurs présentent à Mia un projet de film centré sur l’actrice principale et qui sera tourné en France. Ils demandent ensuite à Mia d’improviser une histoire : elle commence en parlant puis finit par chanter les aventures vraies de sa tante disparue, une tante dont l’audace et les récits de voyage à Paris l’ont convaincue de devenir artiste (Audition/The Fools Who Dream). Certain que Mia a réussi son audition, Sebastian lui conseille d’avance d’accepter le tournage en Europe. Ils s’assurent alors qu’ils s’aimeront toujours, sans savoir de quoi le lendemain sera fait.

Épilogue : Hiver, cinq ans plus tard

Logo noir sur blanc d’un club de jazz nommé Seb’s. L’apostrophe est en forme de note de musique. Le logo de Seb’s, le club de jazz de Sebastian. Mia a enfin rencontré le succès et la célébrité. Elle est mariée à un autre homme, avec qui elle a une petite fille. Un soir, pris dans un embouteillage, ils décident de dîner au restaurant avant de tester à tout hasard un club de jazz voisin, attirés par la musique. En entrant, elle remarque le logo du bar : Seb’s ; il s’agit du logo qu’elle avait jadis crayonné pour Sebastian. Installée dans le public, elle aperçoit son ancien partenaire sur scène ; celui-ci la remarque et choisit de jouer la chanson qu’il interprétait lorsqu’ils s’étaient rencontrés (Epilogue).

Tout au long du morceau, une séquence onirique suggère ce qu’aurait pu être leur idylle si les choses s’étaient déroulées différemment. Sebastian aurait suivi Mia à Paris et c’est de lui qu’elle aurait eu un enfant ; mais un autre, sur la scène du même club, aurait joué à sa place.

À la fin de la prestation de Sebastian, dans la salle bien réelle, Mia, émue se lève et demande à son mari qu’ils rentrent à la maison. Puis, prête à franchir le seuil, elle se retourne, les yeux humides. Leur carrière accomplie, mais séparés l’un de l’autre finalement, les deux échangent un dernier sourire mélancolique.

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