Maurice Rondeau, un prêtre exemplaire

Maurice Rondeau (1911-1945) est un prêtre du diocèse de Meaux qui, à la suite de son internement à Buchenwald, a donné sa vie sans réserve à Dieu et à ses frères, et fera partie des cinquante bienheureux célébrés à la cathédrale Notre-Dame de Paris le 13 décembre prochain [1]. De ce prêtre exemplaire qui a si profondément marqué tous ceux qui l’ont approché, je retiendrai trois points parmi beaucoup d’autres [2] :

L’optimisme chrétien

Maurice Rondeau écrit en juin 1934 dans ses Carnets spirituels : « Une âme chrétienne ne peut qu’être optimiste ». Loin d’être un trait de caractère anthropocentré, cette qualité est théologique, voire théologale (liée à l’espérance). En effet, le futur prêtre continue : « Savoir que Dieu est là, qu’il gouverne le monde, que tout aboutira finalement à sa glorification [3] ». Voilà pourquoi, affirme-t-il, « le christianisme est essentiellement jeune [4] ».

Appliquant concrètement cette résolution à l’époque de crise que la France traverse, il compose la prière suivante le 27 septembre de la même année : « Mon Dieu, donnez-moi une âme ardente en dépit des défaitistes, des tueurs d’enthousiasme, des assassins d’âme [5] ». La dernière expression est forte, la précédente est précise (étymologiquement enthousiasme signifie « porté par Dieu »).

Une autre concrétisation en est sa manière d’éduquer. Nommé professeur de 5e au petit séminaire Sainte-Marie de Meaux, d’octobre 1936 à juin 1938, Maurice Rondeau vit de cet optimisme chrétien qui est l’autre nom de l’espérance auprès de chaque élève : « M’appliquer à connaître les âmes des enfants qui me seront confiés et à trouver en chacun ce en quoi il est le reflet de la beauté divine [6] ».

Une autre application éducative dont l’intuition se trouve chez sainte Thérèse de Lisieux et fut soulignée par le pape François dans sa lettre sur celle-ci : gouverner non par la force ni même par la parole, mais par l’irradiation qui appelle l’imitation. Un témoin dit du père Rondeau : « Ce Supérieur ne dirige plus, il rayonne et d’un rayonnement à longue portée [7] ». Autrement dit, quand le professeur aime le Christ, l’élève à son tour se met à aimer le Christ. Un de ses élèves dit de son enseignant : « Nous avions pour lui une véritable dévotion [8] ».

Ce regard bienveillant s’étendra à ses gardiens, même en camp de concentration. André Laviale, un de ses compagnons dans les wagons à bestiaux en direction de Buchenwald, témoigne : « L’abbé a toujours été formidable. Toujours d’humeur égale, sans jamais un mot contre nos gardiens [9] ».

L’abandon

Avec beaucoup de finesse, Maurice Rondeau note dans son carnet spirituel à la date du 5 octobre 1934, un an avant son ordination : « Si l’action m’éloigne de Dieu, c’est que je m’y attache beaucoup trop ». Le diagnostic dicte le remède : « c’est un entraînement à l’abandon plus complet à Dieu, par une confiance plus grande en Lui [10] ».

Cet abandon s’incarne pendant l’ordination dans le rite de consécration des mains par l’évêque et son interprétation non seulement christologique, mais sotériologique : « Impression inoubliable de la consécration des mains : j’ai tendu les miennes à l’évêque, comme Jésus à tendu les siennes à la Croix, en m’unissant à Lui, en m’offrant à Lui [11] ».

Une conséquence en est le détachement de soi. Mettant Dieu en avant, son ego passe au second plan. Donnant la première place à Dieu en amont dans sa propre vie, il lui donne aussi la première place dans celle de ceux dont il a la charge : « Le moi, jamais en avant, jamais en travers de l’œuvre de Dieu, jamais surtout entre Dieu et l’âme qui m’est confiée [12] ».

Le don de lui-même

Un témoignage particulièrement révélateur d’offrande est le suivant. En 1943, le régime nazi instaure le Service du travail obligatoire (STO), afin que les travailleurs français aident à l’effort de guerre en contribuant à la production industrielle. C’est ainsi que plus de 600 000 jeunes de 18 à 25 ans sont envoyés en Allemagne. Outre le but économique, le STO poursuit une intention idéologique : affaiblir le potentiel humain des pays occupés en les soumettant à une propagande. Or, celle-ci est profondément anti-chrétienne. En effet, explique un avocat américain, « les nazis savaient dès le début que l’Église chrétienne était un obstacle insurmontable à leurs mauvaises intentions [13] ». Aussi, le Reich restreint-il de toute manière les activités ecclésiales, comme la présence d’aumôniers. Mais l’Église de France riposte en proposant à certains prêtres prisonniers de se transformer en travailleurs pour rejoindre clandestinement les jeunes, leur apporter un secours spirituel et contrecarrer la propagande. Or, l’influence exceptionnelle de Maurice Rondeau dans le Stalag où il a été envoyé VI-G (près de Bonn), l’écarte. Mais lui-même se propose spontanément. Sa motivation est toute d’altruisme – « En portant aux jeunes qui viennent aujourd’hui nous rejoindre un appui moral et un secours religieux, je crois répondre à un appel supérieur du devoir [14] » – et de compassion – « Tant qu’il y en a un qui souffrira ici, je ne m’arrêterai pas [15] ». Ses supérieurs, l’abbé Rodhain, l’aumônier général des prisonniers de guerre en lien avec le cardinal Suhard, acceptent. En demandant de vivre auprès de ces jeunes spirituellement abandonnés tout en obéissant, Maurice Rondeau consent à une sorte de kénose.

L’emploi du temps de la journée à Buchenwald dit tout de ce don sans restriction. Le jeune prêtre est affecté aux travaux de terrassement (casser des blocs de pierre et les hisser dans des brouettes sur une colline), de 4 heures du matin à 18h 30, sans manger :

 

« Il fallait attendre que l’interminable appel se termine pour manger le litre de soupe (dernièrement trois quarts de litre), seul repas qui nous était octroyé. Pendant ce long appel, l’abbé essayait de voir quelques camarades, de discuter avec eux, de traiter une question importante, de faire de l’apostolat. Après l’appel, s’il restait un peu de temps avant la rentrée aux blocs (qui était fixée à 20h, heure après laquelle il était interdit de circuler dans le camp), l’abbé Rondeau en profitait pour aller voir tel militant, tel autre prêtre, aller visiter quelques catholiques qui avaient demandé de s’entretenir avec lui, aller confesser d’autres camarades, etc. 20h, il fallait rentrer. L’abbé n’avait pas fini son travail. Il voyait alors ceux qui étaient dans le même baraquement que lui. C’était le seul moment où nous pouvions l’avoir pour nous. Puis il allait se coucher Je m’allongeais à côté de lui, et chaque soir, il profitait des quelques instants où la lumière du dortoir restait allumée pour lire son bréviaire. C’était le juste sommeil réparateur, puis le lever à 4 heures, la distribution de la sainte communion à quelques militants et la journée recommençait [16] ».

 

Bien que libéré du camp de Buchenwald et ayant survécu à l’évacuation dans des conditions inhumaines (600 prisonniers survivront sur les 5 000), Maurice Rondeau  meurt de maladie et d’épuisement le 3 mai 1945. Voici ce que l’abbé Valentin Grillon-Couturier écrit le 13 juin suivant à Mgr Georges Debray, évêque de Meaux, au sujet des derniers moments et mots du saint prêtre :

 

« Tout ce que le Christ a souffert, nous l’avons souffert. Nous avons souffert sa Passion. Nous avons été vraiment d’autres Christ ! Je pourrais dire, des heures durant, ce que je sais […] et faire hurler des foules d’auditeurs. Mon rôle de prêtre n’est pas de propager la haine […]. Ce que je veux dire et ce que je veux que l’on sache, c’est que nous avons vécu dans ces camps un christianisme intégral, tel le christianisme primitif, et que nous avons vu, de nos propres yeux, l’action du diable !… J’ai vu des miracles […]. Dites à mon évêque ceci : ‘J’ai une expérience formidable en main […] au camp de concentration […]. Cette expérience suppose un don total de soi et l’exige. La réforme du clergé de France est à entreprendre et le diocèse de Meaux doit commencer [17] ».

 

Pascal Ide

[1] Je citerai le petit livre réalisé par un séminariste et une vierge consacrée du diocèse de Meaux : Timothée Croux et Marie-Laure Gordien, Le bienheureux Maurice Rondeau. Témoin ardent du Christ pour ses compatriotes, Gorges (44190), Yeshoua Éd., 2025.

[2] Bien d’autres traits auraient pu être relevés, comme sa créativité, née d’une imagination qui est tout au service de la mission. Voici par exemple ce qu’il conseille à ses catéchistes : « Trouvez toujours quelque hose de nouveau qui frappe les gosses. Pour beaucoup, c’est leur dernière année de fréquentation de l’Église. Il faut qu’ils aient des souvenirs qui leur permettent de revenir quand ils seront des adultes » (Gaston Le Couppey, Lettre à l’abbé Pihan, 8 août 1988, cité Ibid., p. 16-17).

[3] Ibid., p. 9.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Carnets spirituels, août 1936. Cité par Lucienne Weston, Une noble figure, Maurice Rondeau prêtre, 1979, p. 32.

[7] Chanoine Georges Bardet (pseudonyme Étienne Dechage), Cadre pour une amitié, 1973, p. 43.

[8] Jean Mazarette, cité dans Le bienheureux Maurice Rondeau, p. 15.

[9] Cité p. 37.

[10] Le bienheureux Maurice Rondeau, p. 10.

[11] Ibid., p. 11.

[12] Carnets spirituels, 18 mai 1937, cité p. 16.

[13] Thomas J. Dodd, Actes du procès de Nüremberg, tome 22, p. 277.

[14] « Un prêtre français l’Abbé Maurice Rondeau », Le pays briard, 25 mai 1945. Cité dans Le bienheureux Maurice Rondeau, p. 31.

[15] Ibid., cité p. 32.

[16] René Loubert, Lettre à Madame Weston, 16 juillet 1945. Cité Ibid., p. 39-40.

[17] Cité dans Le bienheureux Maurice Rondeau, p. 48.

8.12.2025
 

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